« Paroles d’Experts » de Faïçal Tadlaoui. Libertés individuelles: où en est-on en 2023 ?

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Relations sexuelles hors mariage, rupture du jeûne en public, liberté de culte… autant de sujets « sensibles » qui provoquent systématiquement des débats passionnés et divisent davantage les Marocains. Pour en parler, Nouzha Skalli, ex-ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, et Maître Ghizlane Mamouni, avocate militante féministe, fondatrice de l’association Kif Mama Kif Baba.

 

Selon un sondage du Centre marocain pour la citoyenneté*(CMC) paru le 20 novembre, 60 % des Marocains déclarent être favorables à un changement des lois régissant les libertés individuelles. Ce pourcentage passe à 80% chez les personnes de plus de 60 ans et à 71% chez les femmes.

Dans le viseur, l’article 490 du Code pénal qui criminalise toute relation sexuelle entre un homme et une femme non mariés et punit « d’un mois à un an » de prison « toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles« . A noter que dans ce même registre, d’autres textes de loi sanctionnent l’adultère et l’avortement illégal d’un à deux ans de prison et l’homosexualité de six mois à trois ans. Parmi les sondés du CMC, 52% déclarent être en faveur de la criminalisation des relations hors mariage et 54% sont d’accord avec l’interdiction de la rupture du jeûne en public.  Des chiffres  qui démontrent que les opinions sont très partagées sur ces sujets.

D’emblée, Nouzha Skalli s’en prend au Code pénal marocain qui date de 1962 et qui a été inspiré du Code napoléonien. L’ancienne ministre de la famille pointe l’inadéquation entre ce Code pénal et la réalité sociale actuelle, notamment l’âge du mariage et l’initiation aux relations sexuelles. “ On a des études scientifiques du ministère de la Santé qui nous disent que les relations sexuelles commencent très tôt aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Alors, que se passe-t-il  quand les gens ont des besoins sexuels qui sont naturels, et qu’ils ne sont pas mariés”, lance-t-elle.

Hypocrisie sociale et juridique

De son côté Ghizlane Mamouni pointe l’hypocrisie sociale et juridique, et plaide pour une actualisation des lois en accord avec la constitution de 2011. “Le mouvement féministe ne veut pas une révolution sur ces sur ces sujets, mais simplement mettre à jour le Code pénal avec des dispositions de la constitution de 2011 qui prévoit les libertés et protège les libertés individuelles et à laquelle et pour laquelle 99 % des Marocains ont voté”, souligne l’avocate et militante.

Et de rappeler que ce sont les Français qui nous ont transmis leur code Napoléonien auquel ils ont rajouté deux dispositions : les relations sexuelles hors mariage et la rupture du jeûne pendant le Ramadan. Dans des lettres de Lyautey à la résidence publique, rendues publiques depuis, Mamouni révèle que le maréchal suggérait de “laisser aux Marocains autochtones, l’illusion qu’ils maîtrisent la chose religieuse et que notre main n’apparaît pas.”

Schizophrénie générale

Résultat : on se retrouve face à une schizophrénie générale, note l’ex-ministre, avec un écart entre certaines pratiques devenues “normales” et qui restent condamnables par cette loi sur les relations hors mariage ou la loi qui interdit la consommation d’alcool, largement répandue à travers le royaume.

Pour rappel, en 2019, la justice marocaine a poursuivi 15.192 personnes pour « débauche« , 3.270 pour adultère, 283 pour homosexualité et 107 pour avortement. Et en 2020, 20.000 personnes étaient poursuivies pour relations sexuelles hors mariage.  “Il faut dépénaliser les relations sexuelles sauf quand il s’agit d’une mineure ou d’un mineur ou lorsqu’on a affaire à une relation violente non consentie. Cela permettrait de désengorger les prisons et de faire sortir des gens qui n’ont rien à y faire”, suggère notre avocate.

Début octobre, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, s’est insurgé encore une fois contre l’interdiction faite aux couples non mariés d’accéder à un hôtel au Maroc, la qualifiant de mesure «illégale» et ne se basant sur aucun texte juridique. Une prise de position saluée par nos invitées qui restent optimistes quant aux changements de notre société, depuis l’accélération de la réforme de la Moudawana voulue par le roi et l’annonce d’un nouveau Code pénal par l’Executif. Tous les espoirs sont permis.

 

* Sondage réalisé du 9 au 31 août 2023 avec 2.496 personnes de différentes tranches d’âge.

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