Moudawana/Nouzha Skalli: « Le champ religieux doit s’investir dans la culture de l’égalité »

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Nouzha Skalli, ancienne ministre et militante, le 18 février 2022, lors de la 5e édition du Forum national de l'orphelin. Crédit: Ayoub Ouajib/H24Info

Le débat sur la réforme de la Moudawana reprend de plus belle après la saisine royale des membres du Conseil supérieur des Oulémas au sujet des propositions soumises par l’Instance chargée de la révision du Code de la famille.

Vingt ans après la première réforme, qualifiée de “révolutionnaire” à l’époque, voilà que le Royaume dépoussière ce texte qui attise les passions pour le rendre davantage conforme au monde actuel, tout en garantissant équité et justice entre les composantes de la société marocaine. Sur la base de l’ijtihad constructif et en respectant les principes et les  finalités de la religion musulmane, les oulémas et alimates sont appelés à soumettre au Souverain leurs fatwas-conclusions.

En effet, le timing revêt une charge symbolique: après deux décennies, l’actuel code a montré ses limites et surtout ses failles. Les exigences de notre temps dictent un texte de loi qui va de pair avec les profonds changements sociétaux que vit le Maroc. Il s’agit surtout d’une reconnaissance, ferme et solennelle, de la contribution de la femme marocaine à la société, couplée à une réponse à ses aspirations.

Le Roi a récemment ordonné aux Oulémas de se pencher sur certaines dispositions contenues dans les propositions de l’Instance chargée de la révision du Code de la famille. Mais faut-il s’attendre à des divergences d’opinions, voire à des résistances ?

Au malheur des femmes

La militante Nouzha Skalli ne s’est jamais départie de son optimisme à tout épreuve pour évoquer ce dossier et les luttes qui doivent être menées pour parvenir à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes au Maroc. Pour l’ancienne ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, le jeu en vaut la chandelle. Les combats menés pour promouvoir les droits des femmes ont certes apporté des améliorations, mais l’heure est venue de remédier aux failles de l’actuel texte législatif. “La première réforme était une révolution tranquille, mais elle a été vidée de son sens au fil des ans”, confie-t-elle, non sans regret.

“Paroles d’Experts” de Faïçal Tadlaoui : Réforme de la Moudawana V2

Cette grande figure de la lutte pour les droits des femmes sous nos latitudes rappelle que le roi Mohammed VI a une double casquette qui lui est conférée par la Constitution de 2011: il est Commandeur des croyants, et à ce titre président du Conseil supérieur des oulémas, mais il est aussi garant des droits et des libertés et a donc la mission de veiller au respect des droits de l’ensemble des citoyennes et citoyens.

Ainsi, le Roi a ordonné l’examen de certains textes émanant de l’Instance chargée de la révision du Code de la famille, sachant que le Conseil supérieur des oulémas a participé à l’élaboration de ces propositions, et de lui soumettre des propositions de fatwas. Bien entendu, le dernier mot revient au Souverain en sa qualité de Commandeur des croyants.

Mais cette saisine a bien été cadrée par le contenu de la lettre royale adressée au Chef du gouvernement, le 26 septembre 2023. En effet, parmi les fondements de la réforme attendue, figure l’harmonisation du texte de la Moudawana avec les mutations sociales, les engagements de la Constitution et les conventions internationales dûment ratifiées par le Maroc. C’est là un éclairage très important!

Parmi les points sur lesquels devrait statuer le Conseil, l’on retrouve également la tutelle exclusive accordée au père au détriment de la mère. “Des femmes, indignées, me disent: ‘Comment est-il possible, de nos jours, que je porte mon enfant, le mette au monde, l’allaite et l’élève, mais que je n’aie aucun droit sur lui? Suis-je une mère porteuse?’ Cette tutelle accordée exclusivement aux pères est une injustice contre les femmes et les enfants et il va falloir y remédier de toute urgence”, lance, d’emblée, Skalli.

La paternité des enfants nés hors mariage fait aussi partie des sujets chauds. “Les statistiques au Maroc soulignent que l’âge moyen de mariage des hommes est de 32 ans. Alors, comment la société tolère-t-elle que les hommes puissent avoir des rapports sexuels, mais les décharge de leur responsabilité quand un enfant naît de cette relation? En même temps, la même société interdit à la femme d’accéder à l’avortement”, s’indigne la parlementaire du PPS qui rappelle l’engagement de la Constitution de garantir les droits de tous les enfants quelle que soit leur situation familiale.

En attendant la grande révolution

Et la liste des griefs est loin d’être exhaustive. Skalli relève quelques aberrations dans ce sens: « Prenons par exemple le mariage d’une musulmane avec un conjoint non-musulman. Pourquoi ce dernier doit-il se convertir alors que nous n’exigeons pas cela des hommes qui contractent une relation matrimoniale avec une non-musulmane? S’agit-il de rendre la vie plus difficile aux femmes? Surtout si on sait que près de 5 millions de nos compatriotes vivent en dehors de nos frontières et sont susceptibles de se marier avec des non-musulmans», s’interroge-t-elle. Et d’ajouter: « Comment est-il possible qu’une femme non-musulmane ayant partagé une vie commune avec son conjoint musulman ne peut hériter des biens de ce dernier après sa mort? Est-ce juste? »

Lire aussi. Révision du Code de la famille: le Roi saisit le Conseil supérieur des Oulémas

Les questions liées à l’héritage sont parmi les plus controversées, déclenchant bien des polémiques. Seulement, pour notre interlocutrice, les textes auxquels l’on se réfère pour présenter une explication religieuse ne figurent guère dans le corpus coranique: « Ce sont des hadiths dont l’authenticité n’est pas formellement vérifiée. Par contre, les dispositions coraniques concernant le testament ne sont pas repris dans le texte de la Moudawana. »

Le mariage des mineurs aussi a la peau dure, malgré les garde-fous mis en place. En 2023, plus de 14.000 demandes de mariage de mineurs, en grande majorité des filles, ont été déposées. Parmi elles, 8.452 ont reçu un traitement favorable, selon le Ministère public. Il s’agit d’un combat collectif, auquel devraient s’unir les juges qui autorisent ces unions, mais l’on se demande également pourquoi l’on n’instaure pas tout simplement une interdiction de ces pratiques et qu’on en finisse, une fois pour toutes, avec les dérogations.

Cette question du mariage subi par des mineures a été contournée à travers le mariage coutumier, basé sur la lecture de la fatiha et qui a prospéré alors qu’il ne donne aucune garantie légale pour l’épouse et ses enfants. La même méthode a été utilisée pour contourner les dispositions légales contraignantes pour la polygamie« , précise Skalli pour mettre l’accent sur les défaillances de l’ancien texte.

Tout en reconnaissant les efforts consentis par l’Etat marocain pour diffuser la culture de l’égalité, la militante regrette toutefois le manque d’implication de toutes les parties concernées. « Il faut des mesures d’accompagnement, afin d’agir sur les mentalités et de promouvoir la culture de l’égalité à tous les niveaux. De même, le champ religieux doit s’investir davantage et participer activement pour démentir les idées archaïques dévalorisant les femmes et portant atteinte à leur dignité« , recommande-t-elle, en guise de conclusion.

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