Abdullah Abaakil (PSU): « Le drame de Nora était prévisible »

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Abdullah Abaakil (PSU): "Le drame de Nora était prévisible"
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Une semaine après le drame de Nora, la supportrice morte le 29 mai dernier après des incidents à l’entrée du Stade d’honneur avant le match Raja-Ahly, comptant pour le quart de finale retour de Ligue des champions de la CAF, aucun responsable n’a encore été désigné.

En attendant les résultats de l’enquete policière, menée sous la supervision du parquet, la gestion de l’événement par la société de développement local (SDL) Casa Events et Animation est pointée du doigt. Pour Abdullah Abaakil, membre du Conseil de la ville de Casablanca, élu sous l’étiquette du Parti socialiste unifié (PSU), le drame était « prévisible ».

H24Info.ma: Est-ce que le Conseil de la ville a selon vous une responsabilité dans la mort de Nora ? 

Abdullah Abaakil: Dans l’incident en lui-même, il n’y évidemment pas de responsabilité directe, mais il y a une responsabilité politique majeure du Conseil de la ville. Les graves difficultés d’organisation des matchs avaient déjà été évoquées il y a un an, pour le même rendez-vous d’ailleurs. C’était aussi le match retour des quarts de finale de la Champions League, entre le Raja et Ahly.

Il y avait alors eu une discussion au sein du Conseil de la ville et beaucoup d’élus étaient extrêmement critiques sur la manière dont les choses étaient gérées par Casa Events. Il y a donc un an déjà, on parlait de surcapacité du stade, on disait que c’était limite, c’est à dire que c’était extrêmement dangereux et qu’il y avait un risque de drame.

Je faisais d’ailleurs partie de ceux qui étaient critiques et un certain nombre d’entre nous avaient demandé le renvoi du directeur général de Casa Events. Mais rien n’a été fait et je suis extrêmement surpris par les mêmes qui étaient relativement fermes il y a un an arrivent aujourd’hui avec un discours tout sucre, tout miel, en disant: vous savez Casa Events, ils font ce qu’ils peuvent… Donc, visiblement, ils étaient briefés.

Quels étaient leurs arguments pour défendre Casa Events ? 

Le problème c’est qu’ils sont coincés entre deux types d’argumentaires. D’un côté, il y a une manière de dire que c’est une sorte de fatalité. Il y a eu même des tentatives de mettre ça sur le dos d’un désordre causé par les supporters, ce qui est peu en rapport avec ce qui s’est produit. Et en même temps, ils n’arrivent pas à dire une vérité, c’est que la responsabilité de la sécurité et du filtrage à l’extérieur revient à la police, qui est donc directement responsable du coup.

On est dans une espèce de jeu au chat et à la souris pour faire noyer le poisson et faire passer ça. Le terme qui m’a le plus choqué, c’est lorsque le vice-président sport a parlé d’accident. Ce n’est pas quelque chose de normal. C’était prévisible, on l’a dit il y a un an quasiment jour pour jour.

Le problème majeur de ce stade, c’est toute sa gestion et non le stade en lui-même. Le problème fondamental, c’est à chaque fois, la surcapacité, l’incapacité à contrôler les entrées.  Ce qui fait qu’on se retrouve à chaque fois avec la même histoire, des gens sans tickets à l’intérieur et d’autres avec leurs tickets à l’extérieur.

Il faut quand même qu’on explique comment avec un filtre extérieur fait par la police, puis un filtre à l’intérieur fait par le prestataire Casa Events, on arrive à avoir des gens sans tickets dans les tribunes et d’autres qui ont leurs tickets à l’extérieur.

Pour la petite histoire, je suis abonné au Raja et il y a un an, jour pour jour, je n’avais pas pu assister au match. Ça nous arrive tout le temps, c’est quelque chose que tous les supporters savent, ça crée évidement des situations extrêmement risquées, avec à chaque fois un risque de mouvement de foule et c’est vraiment parce tout le monde est supporter du même club et que chacun fait un peu attention à son voisin qu’il n’y pas eu de drame jusque-là.

Cette fois, il y a eu un déclencheur qui est cette espèce de canon à eau qui a fait que tout est parti en vrille. Mais, il faut reconnaitre qu’à chaque grand rendez-vous dans ce stade, c’était toujours limite.

Ce n’est pas la première fois qu’un supporter meurt dans ce stade. En 2016, trois supporters du même club avaient trouvé la mort après des affrontements entre ultras à l’intérieur du stade, alors qu’il y avait des travaux en cours … 

Cette affaire-là, on pouvait la qualifier d’accident. Il y a toujours bien sûr tout un cumul de négligences qui conduisent à un accident, ça ne veut pas dire qu’un accident n’a pas de responsable. Mais là, voir toute cette gestion se dégrader sans aucune réaction, fait du Conseil de la ville des complices.

Le stade est sous la responsabilité du Conseil de la ville en termes de gestion, qu’il la délègue à Casa Events ou pas. Et à mon sens, il y a un problème de fond. Là, comme par hasard, (lors de la session ordinaire du Conseil de la ville du jeudi 4 mai), il y avait un point dans l’ordre du jour que j’ai qualifié d’insulte à la victime. Ce point parlait d’élargir les compétences de Casa Events hors des frontières de Casablanca intramuros. Donc, ces gens sont incapables de faire du bon boulot à l’intérieur, il n’y a aucune de raison pour qu’on les impose à l’extérieur.

J’ai demandé le retrait de ce point de l’ordre du jour, en attendant les résultats de l’enquête, mais malheureusement, je n’ai pas été écouté.

Lire aussi: Décès de Nora: convoquée par le Conseil de la ville, Casa Events menacée

En accompagnement, il y avait le PV du conseil d’administration de Casa Events, dont les membres sont le Wali, le président du Conseil préfectoral, la présidente du Conseil de la ville. Et ce qui est très impressionnant dans ce PV, c’est qu’à aucun moment, on n’a parlé de la satisfaction des usagers. Il y a des données financières, mais à aucun moment n’est évoqué ce problème concernant le stade.

Il est absurde de considérer que quelqu’un peut acheter un billet pour aller au théâtre et trouver sa place sans aucun souci, mais quand il s’agit du stade, c’est une épreuve pas possible. Il faut arriver quatre heures avant, gérer le fait de s’assoir dans les escaliers… c’est fou.

Dans une déclaration à la presse, le directeur général de Casa Events et Animation Mohamed Jouahri, a rejeté la faute sur le Raja de Casablanca, qui serait selon lui chargé de gérer la sécurité à l’extérieur du stade. Qu’en pensez-vous ? 

Non, c’est faux. Les clubs ne sont chargés de rien, tout leur a été retiré. Le dernier vestige de la gestion d’évènements par les clubs, c’était à l’époque des stadiers qui dépendaient justement des clubs. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, c’est une société contractée par Casa Events. Les clubs n’ont absolument rien à voir dans l’organisation des évènements. Encore une fois, c’est des tentatives de se défausser.

C’est un mensonge éhonté, puisque les clubs n’ont plus rien à voir avec l’organisation des matchs, ce qui est à mon sens aussi dommageable. C’est une très mauvaise décision parce que les stadiers normalement, qui appartiennent aux clubs, ont l’habitude des matchs et connaissent les supporters.

Quelle serait selon vous la solution pour éviter de genre de drame à l’avenir? 

Qu’on mette la corruption autour de la table. On va être très clairs, il y a des intérêts particuliers liés à la corruption, tout ce qui fait qu’énormément de secteurs ne fonctionne pas au Maroc… le stade en est un exemple. La faute a vite été rejetée. Il y a aussi eu des tentatives de mettre ça sur le dos de jeunes de quartiers populaires qui forceraient l’entrée. Non, c’est absolument faux.

C’est des gens qui, parce qu’il y a énormément de monde sur les tickets, n’arrivent pas à les acheter via la voie normale, et donc paient des gens pour passer. Et ceux qui utilisent ces passe-droits sont des gens qui ont les moyens.

Rejeter la faute sur le pauvre petit jeune d’un quartier périphérique qui a à peine de quoi venir au stade, c’est encore un grave moyen de noyer le poisson et de ne pas parler du problème de fond. C’est assez grave et ça indique que si les filtres des forces de l’ordre laissent passer des gens et qu’ensuite, ceux de Casa Events aussi, tous les points de contrôle sautent. Il y a un grand souci, il y a anguille sous roche et ce n’est pas acceptable.

Et nous, qui avons l’expérience d’aller justement au stade régulièrement, je peux vous garantir que dans des matchs moins tendus, où il y a moins de monde, les contrôles sont très rigoureux. Quand la demande augmente, il y a de l’argent parallèlement au circuit normal de commercialisation des billets.

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