Interview. Bernard Lugan: «La gauche française déteste la monarchie et ferme les yeux sur l’Algérie»

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bernard lugan
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Plus le temps passe, plus la crise politique entre le Maroc et la France empire et prend des proportions peu rassurantes quant à l’avenir des relations entre les deux pays, pourtant historiquement amis et alliés. En témoigne la fâcheuse réaction d’une grande partie de la presse française après le refus de l’aide proposée par la France par le Royaume du Maroc après le séisme d’Al-Haouz et l’acceptation de celle de quatre autres Etats (Espagne, Royaume-Uni, le Qatar et les Emirats arabes unis), suivie de la réponse d’une source gouvernementale marocaine à la ministre française des Affaires étrangères, qui évoquait une invitation cet été par le Roi Mohammed VI au président Emmanuel Macron. Selon cette source, une visite du président français « n’est pas à l’ordre du jour et n’est pas programmée ». 

Interviewé par H24info, l’historien français Bernard Lugan revient sur les profondes causes de cette crise que traversent les relations maroco-françaises et dresse un tableau à la fois global et détaillé des liens du trio Maroc-France-Algérie.

H24info: A la lumière de tous ces éléments, quelles sont vos prévisions pour l’avenir du couple Maroc-France ?

Bernard Lugan: Je ne crois pas qu’il y a un problème franco-marocain. Il y a un problème macrono-marocain. C’est pas la même chose. Parce que Macron passe, la France reste et le Maroc reste aussi. Je crois que c’est une parenthèse regrettable et j’allais même dire lamentable qui montre la méconnaissance complète de ce qu’est la diplomatie et de ce que sont les rapports diplomatiques.

Je suis un patriote français et je suis en présence d’un média étranger. Mais je dois dire que la simple honnêteté intellectuelle fait que nous constatons depuis un certain temps un nombre de maladresses de la diplomatie française en Afrique, et même en Europe, avec la Russie, l’Ukraine, etc. Donc, il y a une sorte, ou d’amateurisme ou de spontanéisme qui ne tient pas compte des usages diplomatiques. Le problème en France, c’est que le président Macron a supprimé les grands corps diplomatiques. Nous avions une diplomatie mise en place depuis François 1er, le langage diplomatique international était français.

Le départ d’Emmanuel Macron résoudra-t-il cet imbroglio politico-diplomatique ?

De toute façon, Emmanuel Macron n’est là que pour quelques années et ne pourra pas se représenter. Je ne sais pas qui va être son successeur, ni celui qui est en concurrence pour les prochaines élections. Mais en voyant le tableau politique général. Quelles sont les courants politiques qui pourront arriver au pouvoir pour lui succéder? Moi, j’en vois trois. Quelqu’un dans la lignée d’Emmanuel Macron. Donc il ne risque pas d’avoir un changement, ou bien quelqu’un venant de la droite, un homme comme Laurent Wauquiez, ou bien quelqu’un qui vient du courant nationaliste comme Marine Le Pen et là, il y aura du changement. Ces deux courants sont traditionnellement amis du Maroc. Mais je ne dirais pas que l’équipe Macron n’est pas amie du Maroc. Mais elle ne connaît pas. Ce sont des gens qui n’ont pas de culture, de mémoire, des gens qui ne savent pas se comporter (…). C’est difficile à dire, je pense que cet homme n’est peut-être pas fait pour être là où il est.

Selon vous, si demain, il y a une coupure définitive des liens politiques entre les deux pays, les canaux extra-officiels, notamment économiques et culturels seront-ils affectés 

Je ne sais pas. Pour moi, c’est une parenthèse. Les rapports traditionnels entre le Maroc et la France sont bons. Il y a eu des moments de crises sérieuses. Souvenez-vous de l’époque De Gaulle avec l’affaire Ben Barka. Quand il y a avait les problèmes avec l’épouse du président Mitterand et le polisario. Mais, chaque fois, la rupture n’a pas eu lieu parce qu’il y a l’écume et le substrat. Le substrat est les relations qu’ont les uns et les autres. Les excellentes relations militaires. Les bonnes relations des hommes d’affaires. Et puis il y a quelque chose qui est très important également, en France; il y a des associations d’anciens Français du Maroc qui sont très fortes et qui maintiennent des liens très étroits.

C’est une parenthèse, et cela ne doit pas durer trop longtemps. Il ne faudrait pas que ce soit la même chose lors du prochain quinquennat. Le fond du problème, c’est la gauche française. Les médias français qui sont tenus par la gauche. Parce que la France est un pays totalement contrôlé par la gauche. Toutes les chaînes et les radios publiques sont tenues par l’ultra-gauche. La grande presse également (…) qui forment ce que Maurras appelait le « Pays légal » et qui a les yeux de Chimène pour l’Algérie, parce que c’est un pays qui a une histoire révolutionnaire etc. La gauche française déteste la monarchie. Elle est née de la lutte contre la monarchie. Donc, pour la gauche française, le Maroc représente quelque chose aux antipodes de ce qu’elle est idéologiquement.

Elle est donc du côté de l’Algérie et ferme les yeux sur ce que fait l’Algérie. Chaque fois que l’Algérie l’humilie, cette gauche dit que c’est normal, c’est ainsi dans l’ordre des choses (…). Cette gauche qui ne représente que 25% a les médias, l’appareil d’Etat et on verra ce que donneront les prochaines élections.

Quelle 3ème voie pourrait le couple franco-marocain envisager pour se renforcer à part la reconnaissance de la marocanité du Sahara ?

À mon avis, c’est une question de temps et il va bien falloir que la France se décide. Je crois que l’Algérie est en train d’être tellement maladroite dans ses rapports avec la France que ce sont les comportements excessifs de l’Algérie qui vont peut-être faire prendre conscience à une partie de la classe politique française. Chaque fois que Macron fait une concession à l’Algérie, on lui demande davantage. Nous ne sommes pas en présence de rapports entre pays adultes. Nous avons des réactions de pays totalement infantilisés. L’Algérie a deux ennemis éternels : la France et le Maroc, ou le Maroc et la France, ou les deux ensemble (…). Et n’oublions quand même pas qu’en 1962, ceux qui ont pris le pouvoir en Algérie, sont ceux qui ne se sont jamais battus. Bouteflika n’a jamais tiré un coup de fusil et Boumédiène n’a jamais vu un fusil de sa vie.

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