Vidéos. L’histoire de Mohammed Ben Arafa, le sultan des Français contesté par les Marocains

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Le Maroc célèbre ce jeudi le 66e anniversaire de son indépendance. Focus sur un épisode peu connu de l’histoire du royaume pendant le protectorat français: celui du sultan Mohammed Ben Arafa, dit le sultan des Français.

« Nous nous réjouissons de pouvoir annoncer la fin du régime de tutelle et du protectorat et l’avènement de la liberté et de l’indépendance ». Ce sont les premiers mots prononcés par Mohammed V à son retour au Maroc, avec la famille royale, le 18 novembre 1955, après plus de deux ans d’exil passés d’abord à Ajaccio, en Corse, puis à Antsirabe, à Madagascar.

Deux mois plutôt, le 1er octobre exactement, un certain Sidi Mohammed Ben Arafa abdiquait pour laisser place à Sidi Mohammed Ben Youssef. Les deux hommes sont en réalité cousins. Le premier a cependant marqué l’histoire du Maroc pour sa « trahison » et son « impopularité » jusqu’à être considéré comme le sultan des Français. Il était « pourtant un authentique descendant du Prophète », relève Le Monde dans une de ses éditions de juillet 1976.

L’inattendue accession au trône

Petit-fils du sultan Sidi Mohamed Ben Abderrahman, neveu du sultan Moulay El Hassan et arrière-grand-père du roi Hassan II, le sultan Mohamed Ben Arafa a été contesté durant les deux années de son règne.

« Nul, à vrai dire, ne s’attendait à son accession au trône. Au marché de la ville nouvelle de Fès, où il allait, suivi d’un domestique, faire ses emplettes – non sans marchander, – tout le monde fut surpris. Dans la vieille ville, il menait l’existence paisible d’un bourgeois aisé, plus préoccupé du régime des pluies qui arroseraient ses terres que de la conquête du pouvoir. On lui força la main. Le chérif El Kittani, chef d’une confrérie religieuse, l’entraîna à Marrakech, une nuit, à la dérobée. Le pacha El Glaoui y avait rassemblé les tribus de son empire. Les pachas et les caïds qui voulaient destituer Mohammed V, groupe dont, avec le chérif, il était l’animateur, s’y trouvaient également. Ils reprochaient au souverain un comportement contraire, disaient-ils, à la saine religion musulmane et un soutien tacite, mais effectif, au parti de l’Istiqlal, dont la remise en cause du protectorat français les inquiétait », raconte le journal français.

C’est ainsi que le 15 août 1953, Sidi Mohamed Ben Moulay Arafa El Alaoui était proclamé « imam suprême » du Maroc sous le protectorat français. Son arrivée au trône est encore mieux développée dans un « éclairage » de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), qui accompagne un reportage tiré des archives de la télévision française :

« Le 15 août, Mohammed Ben Arafa, cousin falot du sultan, est désigné nouveau commandeur des croyants. Il apparaît, frêle, assis entre Thami El Glaoui et le chérif Abdelhay El Kettani. Le commentateur feint de s’interroger sur l’avenir du sultan privé de son rôle religieux. En effet, le souverain chérifien tire une bonne part de son prestige de son statut de chef spirituel, descendant du Prophète. Le jour même où le reportage est projeté sur les écrans français, Mohammed Ben Youssef est déposé et conduit à l’aéroport par le résident général Guillaume. Indifférentes à l’onde de choc qui traverse alors le Maroc, les Actualités françaises ne consacrent à l’éviction du sultan qu’une brève humoristique sur les ‘vingt épouses’ s’apprêtant à le rejoindre en Corse ».

L’historien maroco-israélien Michel Abitbol donne le ton de l’époque. « Puissamment soutenus par les groupes financiers œuvrant dans le pays et couverts par Georges Bidault qui dénonçait dans ses instructions officielles ce qu’il approuvait dans ses conversations privées, les responsables du coup de force du 20 août passèrent immédiatement à l’acte après l’intronisation du nouveau sultan : dès le mois de septembre, ils firent avaliser par Moulay Mohammed ben Arafa une série de réformes administratives mettant en place la cosouveraineté et enlevant au sultan la quasi-totalité de ses prérogatives législatives et exécutives. La transformation du royaume chérifien en un État franco-marocain, voire en une nouvelle Algérie, était le but affiché des irréductibles de la Résidence conduits par Jacques de Blesson et Marcel Vallat », raconte-t-il dans Histoire du Maroc (2009).

Et de poursuivre : « Blessée dans son sentiment religieux et national – la déposition de Sidi Mohammed, le jour-même de l’Aid Al Kebir étant un sacrilège religieux aussi bien qu’une atteinte à la souveraineté marocaine –, la population musulmane resta indifférente à ces élucubrations institutionnelles ».

Double attaque

Pendant son exil, la popularité de Mohammed V, considéré comme icône de la résistance, n’a fait que se renforcer. En parallèle, le sultan Mohamed Ben Arafa lui est de plus en plus décrié et survit même à deux attaques. D’abord, le 11 septembre 1953 par Allal Ben Abdellah. « Bousculant le service d’ordre, il fonça alors à vive allure sur le cheval monté par Sidi Mohammed ben Moulay Arafa. L’animal, heurté brutalement, s’affaissa. C’est alors que l’adjudant-chef King, de la garde noire, sauta sur l’homme, qui avait à la main un coutelas. Il saisit l’arme et parvint à la jeter à terre, après avoir été frappé à l’épaule gauche », relate Le Monde.

Cinq mois plus tard, le 20 février 1954, le pacha El Glaoui est visé par une tentative d’assassinat à la mosquée Koutoubia. Quelques jours seulement après, le sultan toujours impopulaire était attendu à Marrakech.

« Malgré un dispositif sécuritaire exceptionnel, le sultan est visé par une grenade en plein prière du vendredi, à la mosquée Berrima. Si les Actualités françaises n’hésitent pas à taire la contestation politique, elles traitent systématiquement les attentats qui leur permettent de discréditer les nationalistes. Mais les images se révèlent ici catastrophiques pour la France coloniale et même le commentaire rassurant ne peut masquer l’ampleur du désastre marocain », souligne l’INA dans ses archives.

Mais « heureusement, les blessures du sultan ne devaient être que légères, et il pouvait à la sortie de la mosquée, soutenu par le pacha de Marrakech, esquisser un sourire en saluant la foule », estime le journaliste dans le reportage ci-dessus.

Eviction et exil à Nice

« Dès son retour à Rabat, Sidi Mohamed Ben Arafa, ayant constaté que la Maqsoura traditionnelle ne constituait plus une protection efficace, a donné l’ordre au Vizir des Habous de faire dans toutes mosquées où il devait présider la prière solennelle du vendredi de nouveaux aménagements pour le mettre à l’abri de tout attentat », raconte de son côté Joseph Luccioni, ancien fonctionnaire des Habous, puis conseiller de Mohammed V et de Hassan II, dans un article qu’il a écrit pour la Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée.

Lire aussi: Le Mouvement kabyle indépendantiste (MAK) souhaite créer une antenne au Maroc

La nuit du jeudi 29 septembre, ce dernier a reçu l’ordre de se rendre d’urgence à Meknès, où un avion l’attendait pour l’emmener à Rabat. « Je suis arrivé à 18h45 à l’aérodrome de Rabat où une voiture m’attendait pour me conduire à la villa du délégué à la Résidence. J’y ai trouvé Maitre Cherif, avocat au barreau de Tanger, qui m’a mis au courant de la situation: M. le ministre, M. Lipkowski et le capitaire Aoufkir étaient au palais pour demander au sultan de sceller deux documents préparés à la Résidence et portant l’un son effacement du Trône et l’autre, délégation de ses pouvoirs à un chérif alaouite ».

Face aux contestations, les Français avaient décidé d’évincer Ben Arafa. Le 1er octobre, le sultan se retirait du Palais et du Trône pour s’installer quelque temps à Tanger, qui était alors considérée en zone internationale, avant de rejoindre Nice. Il y mourra le 17 juillet 1976.

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