Après "la sanction" imposée aux ports marocains où toute opération de transbordement ou de transit…
Entretien. Talal Cherkaoui, économiste: « La dépendance aux ports marocains rendait le boycott algérien coûteux et absurde »
Publié leAcculé pour un tas de raisons, essentiellement d’ordre économique et politique, le régime algérien a rongé son frein à contrecœur quelques jours seulement après avoir « boycotté » les ports marocains en interdisant toute opération de transbordement ou de transit à ses opérateurs et importateurs économiques.
Dans cet entretien, Talal Cherkaoui, professeur des Sciences économiques, sociales et politiques à l’Université Mohammed V de Rabat et ancien économiste à Bank Al Maghrib étaie les raisons et les conséquences de ce revirement.
H24info : Quelle est votre première analyse des raisons de ce rétropédalage ?
Talal Cherkaoui : La volte-face de l’Algérie concernant son interdiction initiale de transbordement des marchandises par les ports marocains, notamment pour les produits périssables tels que la viande, a soulevé des questions cruciales quant aux motivations de cette décision, à sa prévisibilité et aux conséquences qui en découlent.
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L’Algérie, influencée par l’Association Bancaire et Financière (ABEF), a émis des directives contradictoires en autorisant le transbordement des marchandises par les ports marocains. Cependant, cette justification semble douteuse, mettant en lumière une sous-estimation flagrante des conséquences économiques et alimentaires de son embargo initial. La dépendance aux importations via les ports marocains rendait cette interdiction non seulement absurde mais également coûteuse, tant sur le plan logistique que financier.
Qu’en est-il des conséquences économiques à court et à long termes ?
Les répercussions de cette décision impulsivement révoquée sont d’une gravité considérable pour l’économie algérienne. Les importateurs sont désormais confrontés à des surcoûts et à des retards significatifs, accentués par les perturbations dans les chaînes logistiques.
Ainsi, il semble que le régime algérien, qui, n’avait pas au préalable tenu compte des répercussions économiques de cette décision «puérile» et «impulsive», s’est heurté aux difficultés liées notamment à l’approvisionnement en produits alimentaires, en l’occurrence les viandes rouges, dont le secteur fait face à des difficultés «paralysantes» et une performance «insatisfaisante», selon l’audit lancé par la cour des comptes et annoncé dans son dernier rapport.
Les avertissements préalables de la Cour des Comptes et des professionnels du secteur sont devenus réalité, avec une pénurie imminente de viande, exacerbant non seulement la rareté du produit mais également les tensions sociales dues à une hausse vertigineuse des prix, atteignant jusqu’à 2300 dinars par kilogramme.
Cette situation s’intensifie davantage à l’approche du Ramadan, d’autant plus que le pouvoir d’achat des Algériens est impacté par une inflation croissante. Ces derniers font face à des pénuries quasi-permanentes au cours de ce mois sacré, entraînant la formation de files d’attente interminables et l’exaspération des citoyens.
Et que vient faire une association dite professionnelle dans une décision en relation avec la sécurité alimentaire du pays?
Le fait qu’une association dicte des ordres aux établissements financiers plutôt que la Banque d’Algérie et le Ministère des Finances semble anormale, une faille dans le processus décisionnel semble être marquante. De plus, les échanges entre l’Algérie et le Maroc sont presque inexistants depuis la rupture diplomatique en août 2021, accentuée par des réductions drastiques des échanges portuaires dès 2016.
L’Algérie est-elle aujourd’hui confrontée à la nécessité de construire des ports modernes pour concurrencer Tanger-Med au lieu de le boycotter ?
En définitive, le rétropédalage observé révèle une prise de conscience tardive du régime algérien quant à l’insignifiance de l’impact sur le Maroc, tandis que ses tractations affectent directement son économie. L’aspiration à influencer de manière significative le port de Tanger Med, crucial pour de nombreux opérateurs à destination de l’Algérie, a manifestement échoué.
Cette volte-face met en lumière non seulement l’inefficacité de l’embargo initial, mais souligne également les conséquences désastreuses sur l’approvisionnement en produits alimentaires, en particulier les viandes rouges, accentuant les difficultés déjà paralysantes du secteur, comme révélé dans le rapport de la Cour des Comptes.
Parallèlement, la nécessité urgente de moderniser les ports algériens est criante. Le retard évident dans cette infrastructure cruciale incite à des investissements massifs pour rivaliser sérieusement avec les ports marocains. Attirer des investisseurs étrangers par le développement de ports modernes et compétitifs devient impératif pour exercer une pression économique significative et réduire la dépendance envers les ports marocains.
En somme, il s’agit d’une mesure vindicative qui ne se repose sur aucune étude économique?
La crise actuelle révèle non seulement les lacunes dans la planification économique de l’Algérie mais souligne également la nécessité d’une vision à long terme pour assurer la sécurité alimentaire et la stabilité économique du pays. L’adage « c’est l’arroseur qui se fait arroser » trouve ici une pertinence frappante, symbolisant la responsabilité directe de l’Algérie dans les défis auxquels elle est confrontée actuellement.
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Le rétropédalage de l’Algérie sur les restrictions d’importation via les ports marocains révèle une prise de conscience tardive des conséquences socio-économiques désastreuses de ses décisions. Cette décision précipitée et malavisée témoigne d’une absence de prévision et d’une méconnaissance flagrante des réalités du marché. La crise imminente dans le secteur de la viande rouge, aggravée par cette volte-face, souligne la nécessité pour l’Algérie de reconsidérer sérieusement sa politique économique et d’adopter des mesures plus réfléchies pour éviter de compromettre la sécurité alimentaire et le bien-être de sa population.