Décryptage. Réseaux sociaux, le QG des nouveaux gardiens du patriotisme marocain

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Décryptage. Réseaux sociaux, le QG des nouveaux gardiens du patriotisme marocain
Une infime minorité, de plus en plus active sur les réseaux sociaux, s'octroie de nos jours le droit de décider qui est patriote (Et même Marocain) de qui ne l'est pas. © Unsplash

C’est un fait, les Marocains figurent dans les classements mondiaux parmi les nations les plus patriotes et jalouses de leur pays. Toutefois, une infime minorité, de plus en plus active sur les réseaux sociaux, s’octroie de nos jours le droit de décider qui est patriote (Et même Marocain) de qui ne l’est pas. De quoi est-elle le nom ? Décryptage !

Pas assez « Courageux » pour assumer pleinement leurs idées, quoique la plupart de leurs commentaires versent plutôt dans l’insulte, l’ostracisme et le pathos et s’éloignent amplement du logos et de l’éthos qui font appel à la logique et l’éthique, l’écrasante majorité de ces comptes sont anonymes, notamment sur X (ex-Twitter).

L’anonymie est leur petit lait. Souvent, ils s’en servent comme un blanc-seing pour désigner quiconque n’épouse pas leurs idéaux à la vindicte populaire et l’accuser, non sans attaque ad hominem, de « traitrise à la patrie ». Pis encore, ils se mêlent de tous les sujets, allant de la diplomatie marocaine jusqu’au football, en passant par l’histoire et la culture.

Le leitmotiv dans toute sa splendeur de leur mindset s’est manifesté ces derniers jours lors de deux événements saillants : le choix fait par Soufiane Diop de porter le maillot national du Maroc, et la promesse par Bourita de riposter avec « sagesse » aux attaques d’Es-smara.

S’agissant du premier exemple, l’obsession qu’est la leur de distribuer des labels de patriotisme et d’appartenance, tout court, au Maroc a pris un dangereux virage. Le joueur et sa famille ont fait l’objet de commentaires à la fois racistes et misogynes. Son péché ? Né d’une mère marocaine et d’un père sénégalais. Ipso facto, il ne méritait pas selon eux sa place chez les Lions de l’Atlas parce qu’il n’a pas hérité la nationalité marocaine de son père, mais seulement de sa mère.

Concernant la réponse apportée par le ministre des Affaires étrangères, ceux-là mêmes qui ont lynché Soufiane Diop sur les réseaux sociaux, ont tiré à boulets rouges sur Bourita, tantôt avec des propos insultants, tantôt via des commentaires où ils lui reprochent d’avoir « peur » de riposter fermement aux attaques du Polisario. Certains d’entre eux sont allés jusqu’à regretter, disent-ils, l’époque du roi Hassan II.

L’analyse de la psychologue

Rim Akrache, psychologue contactée par H24info, pense que « ce phénomène est multi-factoriel, et pourrait avoir des racines psychiques individuelles, psychosociales et cognitives ».

« Comme vous dites, c’est une division simpliste et polarisée entre ce que l’on peut considérer comme faisant partie d’une communauté (ici les patriotes) et ce qui s’en extrait. En cognition sociale, à travers les biais, on simplifie les choses, pour mieux traiter leur complexité. Cette vision est d’ailleurs soutenue par ce qu’on pourrait lire sur les réseaux sociaux, et qui constituent un grand facteur d’adhésion, et de confirmation », explique-t-elle.

Selon la chercheuse en psychopathologie, « au delà de la peur de l’inconnu, une explication individuelle possible est celle de la projection de ce qui est inconciliable chez soi : “l’autre est mauvais, je suis bon”, qui montre surtout des préoccupations narcissiques, qui ne sont pas toujours pathologiques d’ailleurs. L’autre est alors perçu comme une menace ».

« J’ai eu beaucoup de discussions avec des personnes qui accusent les personnes étrangères, objets de leur racisme et de leur xénophobie : de criminalité, de délinquance, de recherche de domination (notamment à travers “le mariage et le remplacement”)…etc. Et toute personne qui n’adhère pas à cette vision est taxée de traîtrise pour rester dans cette vision simplifiée », poursuit la spécialiste.

Pour revenir sur le narcissisme malgré les idées reçues, « Le narcissisme sain qui cherche un regard positif sur soi-même se distingue du narcissisme pathologique qui lui cherche un adversaire, avec très peu d’empathie. D’où la quantité de violence qui ne s’arrête pas qu’aux réseaux sociaux », dit-elle.

De l’avis de la Psy, « on cherche un coupable à ses difficultés, à ses blessures narcissiques, ou à un sentiment d’insécurité et on se trouve un groupe où tous ces mécanismes défensifs sont dissimulés en valeurs défendables : une lutte contre l’ordre mondial, un moyen de se protéger, et de protéger les siens, le patriotisme ».

« C’est pour cela que malgré toute la violence perçue, très peu se considèrent eux-mêmes comme violents ou sadiques, ou xénophobes. L’autre, l’étranger est tout de même toléré à partir du moment où il reste loin et “inférieur” », fait-elle remarquer, ajoutant que « ces groupes sont ensuite portés par un mouvement de foule, de nature émotionnelle et impulsive, où l’individu n’existe plus, où on peut dire ou faire des choses qu’on n’aurait jamais cru imaginer dire, ou faire, individuellement ».

Pour elle, « certains groupes se créent et se donnent une identité, non pas dans la conviction par des valeurs qui les portent mais dans l’opposition à un autre groupe ».

Cela étant dit, Rim Akrache revient sur le cas de Soufiane Diop et souligne que l' »on pourrait même parfois aller contre les représentations sociales et culturelles du “respect dû à la mère”, religieuses du respect et de la tolérance, pour porter des propos agressifs envers la mère d’un joueur qui va porter les couleurs de son équipe nationale, oubliant complètement cette identité qui rassemble ».

« Les propos racistes sont plus faciles derrière l’écran »

L’anthropologue Khalid Mouna fait observer de son côté que « les réseaux sociaux ne sont pas différents des autres médias traditionnels, les propos racistes sont plus faciles à exprimer une fois derrière l’écran, et les gens utilisent les réseaux sociaux pour remplir une certaine envie, et se faire passer pour ce qu’ils imaginent être ».

« Ainsi, être un vrai Marocain peut être défini à partir d’un critère très subjectif, mais les usagers savent que leurs propos violents et discriminatoires visant à déclasser ou à classer les gens peut avoir une influence sur l’utilisateur de ces réseaux », relève ce professeur à l’Université Moulay Ismaïl.

Pour lui, « le monde virtuel a comme objectif de modeler une nouvelle version de soi et présenter une image idéale dans le monde virtuel », relevant que « pour cela, les objets comme l’identité et l’appartenance font l’objet de spéculation sur les médias sociaux, au-delà de la question de qui est derrière ces comptes ».

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