Entretien. Emmanuel Dupuy: «Le Maroc devrait accepter la main tendue de l’Iran»

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emmanuel dupuy
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Il y a deux semaines, l’Iran avait exprimé sa volonté de renouer ses relations diplomatiques avec le Maroc. Le régime des Mollahs, à travers son chef de la diplomatie, s’est dit prêt à se réconcilier cinq ans après la décision du Royaume du Maroc de couper les ponts avec Téhéran en raison de la collusion tripartite Iran-Hezbollah-Polisario et les livraisons d’armes et de drones par le régime chiite aux séparatistes de Tindouf.

Interviewé par H24Info, Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe, affirme que le Maroc doit prendre en compte cette main tendue par l’Iran. Entretien.

Quelle lecture faites-vous de cette volonté iranienne de réconciliation, au moment où le Maroc renforce ses relations avec Israël?

Le Maroc renforce depuis déjà trois ans ses relations avec Israël à travers la signature des accords d’Abraham qui étaient le point initial du renforcement des relations entre les deux pays. Le fait que le Maroc et Israël se sont rapprochés n’est pas quelque chose de nouveau pour l’Iran. C’est quelque chose qui justifie plutôt, non pas seulement le rapprochement avec le Maroc mais aussi avec l’Algérie depuis déjà quelques années comme une sorte de réponse gigogne au rapprochement entre le Maroc et Israël.

Le contexte a un peu changé aujourd’hui. Comme vous l’avez rappelé, les relations diplomatiques ont été rompues et la tension est très vive par rapport à la mobilisation de proxies ou d’organisations liées au régime de Téhéran comme le Hezbollah, très actif dans le soutien et la fourniture de matériel militaire dont le polisario a besoin, notamment des drones.

Mais il y a également un contexte nouveau qui fait que l’Iran revisite sa politique étrangère. Le président Raïssi a été élu en 2021 avec une volonté de remettre en cause les apports de son prédécesseur Hassan Rohani. On le perçoit à travers une tension plus vive vis-à-vis d’Israël et la manière avec laquelle la diplomatie iranienne se positionne au Proche-Orient, notamment avec plus d’acuité au Liban et en gardant ses points d’entrée au Yémen.

 

Les Iraniens sont dans une logique d’une plus grande ouverture avec des pays qui, jusqu’à présent, n’étaient pas des alliés.

 

La nouveauté, c’est que les Iraniens sont dans une logique d’une plus grande ouverture avec des pays qui, jusqu’à présent, n’étaient pas des alliés comme l’Arabie Saoudite. La main tendue au Maroc entre dans le même cadre où l’Iran essaye, autant que faire se peut, de ne pas rentrer dans un affrontement frontal avec un certain nombre de ses partenaires musulmans au sein de l’OCI, parce que la donne a changé avec le rapprochement entre Téhéran et Riyad.

Le Maroc devrait-il réagir à cette volonté de normalisation? Si oui, comment ?

Bien sûr. Je crois qu’il ne faut pas repousser la main tendue. Premièrement parce que le Maroc ne sera pas le seul à le faire. L’Arabie saoudite a renoué ses relations de manière spectaculaire avec l’Iran avec l’ouverture d’ambassades et la visite du ministre des affaires étrangères saoudien à Téhéran, de la même manière que cela se fait entre Bahreïn et l’Iran et les Emirats arabes unis et l’Iran et peut-être demain avec le Koweït. Donc, en plus du royaume hachémite de Jordanie, l’Arabie saoudite qui se rapproche à la fois de l’Iran et d’Israël fait que si l’autre royaume, le Maroc, est le seul à ne pas être dans cette logique, créerait de la dissension au sein de la ligue arabe.

Quelles seraient les potentielles retombées géopolitiques d’une réconciliation entre les deux pays ?

L’État d’Israël s’est rapproché du Maroc et d’un certain nombre de pays qui, jusqu’à récemment, ne regardaient pas Israël comme un Etat avec lequel on ne peut avoir de relations diplomatiques normales. L’Arabie saoudite est, petit à petit, en train de normaliser ses relations avec Israël et d’autres pays l’ont déjà fait. Ceci dit, l’intérêt pour le Maroc est de continuer sur sa diplomatie 360 degrés de ne pas formaliser des oppositions ou des antinomies.

Le Maroc a une politique étrangère d’attraction dans un contexte où l’Iran cherche à multiplier ses partenariats.

Après tout, le fait que la diplomatie iranienne manifeste un intérêt résurgent vers le Maroc, en ne remettant pas en cause sa relation avec l’Algérie, montre à quel point le Maroc a une politique étrangère d’attraction dans un contexte où l’Iran cherche à multiplier ses partenariats. Et je crois que la politique iranienne de la main tendue doit être prise en compte. On n’est pas dans la même logique où le président Tebboune n’a pas voulu, hélas, saisir la main tendue du Roi Mohammed VI au moment d’une très fragile, mais néanmoins certaine volonté de rapprochement de la part du Maroc.

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