Histoire. Liberté, le gratte-ciel casaoui

Pharmacienne de profession, passionnée d’histoire et guide bénévole aux Journées du Patrimoine de Casablanca depuis sept ans, Chama Khalil nous fait découvrir sa ville natale à travers ses histoires et ses légendes. Focus sur les monuments emblématiques de la ville blanche. Premier épisode de la série, « Sbe3tach étages », le gratte-ciel casaoui.

Sur les hauteurs du quartier Mers Sultan, au croisement entre la rue Hadj Amar Riffi et la rue Al Bassatine, trône majestueusement un ovni architectural.

Engoncé dans son élégante enveloppe galbée, lui donnant l’aspect d’une passerelle de navire, et fièrement dressé sur le boulevard qui porte son nom, l’immeuble Liberté, du haut de ses 78 mètres, domine entièrement la ville blanche.

Devenu un repère urbain incontournable, celui qui fut rebaptisé «Seb3tach étages» (17 étages) par les Casaouis, jouxte les villas patriciennes du quartier des Habous et le souk très animé de Benjdia.

Gagnant la course à la hauteur, il est construit entre 1949 et 1951 par l’architecte suisse Léonard Morandi, et était, à son époque, le plus haut immeuble d’Afrique.

Reconnaissable par son élégante silhouette aux lignes de paquebot, la visite de l’immeuble nous replonge immédiatement dans le Casablanca hédoniste des années 50.

L’entrée est spectaculaire, à double hauteur. L’utilisation des arts décoratifs marocains se combine parfaitement avec les motifs art déco, donnant ainsi naissance à un style original, caractéristique des premières années du protectorat.

En empruntant l’escalier de gauche, on arrive au premier étage, composé d’élégants bureaux.

Les étages suivants comportent six appartements, du simple studio au très confortable cinq pièces.

Mais c’est sans doute au 16 et 17e étages que l’on retrouve les plus beaux logements, des penthouses avec balcons aménagés en terrasses-jardins, offrant une vue imprenable sur la ville de Casablanca.

Ce n’est ni pour sa modernité, ni pour son confort et encore moins pour son architecture avant-gardiste que l’immeuble Liberté porte ce nom.

Dans les années 50, y logeait un certain Jacques Lemaigre Dubreuil, homme d’affaires français et dirigeant du groupe agro-industriel Lesieur.

Fervent militant, il se rapproche des mouvements nationalistes et devient ainsi l’un des plus grands avocats de l’indépendance du Maroc.

Sa détermination et sa conviction font rapidement de lui l’homme à abattre. Il s’attire la farouche haine des mouvements «contre-terroristes», partisans du maintien du Maroc sous protectorat français.

Mais rien n’ébranle son combat. En 1955, Dubreuil rachète le journal Maroc-Presse et s’en sert pour défendre ses positions libérales et antiprotectionnistes, offrant des tribunes libres à des personnalités proches du parti de l’Istiqlal.

Il le paiera de sa vie.

Le 11 juin de la même année, quelques mois avant l’indépendance du Maroc, il sera assassiné au pied de l’immeuble qu’il habitait.

C’est s’en doute pour rendre hommage à son combat, que la place où se trouve aujourd’hui l’édifice porte son nom et que l’immeuble fut baptisé immeuble Liberté car, d’une certaine manière, Dubreuil aura accéléré la machine de l’indépendance, participant pleinement à cette cause qui lui était si chère.

Vous connaissez désormais l’histoire de ce monument casaoui, symbole à la fois de la résistance, de la liberté, et de l’architecture marocaine moderne.