Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca: Allal Al Kairouani, le protecteur des pêcheurs (2/5)
Publié lePharmacienne de profession, passionnée d’histoire et guide bénévole aux Journées du Patrimoine de Casablanca depuis sept ans, Chama Khalil nous fait découvrir sa ville natale à travers ses histoires et ses légendes. Focus cette semaine sur les saints patrons de la ville blanche et des mythes qui les entourent. Deuxième épisode de la série, Sidi Allal Al Kairouani, Saint Patron des pécheurs.
Emaillée de petits sanctuaires, Casablanca, malgré sa modernité apparente, regorge de mythes et de légendes.
L’une d’elles fait référence à Sidi Allal El Kairouani, premier saint patron de la ville. Ce serait d’ailleurs sa sépulture qui lui aurait donné son patronyme: une petite bâtisse gardant l’entrée de l’ancienne médina, visible de la mer et surmontée d’une coupole, blanchie à la chaux.
Histoire.
Il était une fois Casablanca… ou plutôt devrais-je dire, Anfa.
Si pour beaucoup l’Histoire de la ville blanche est liée à l’ère contemporaine, il n’en est rien.
Certes, il est admis que le développement de Casablanca n’a commencé que dans les années 1910, avec la construction du port, mais les origines de la ville remontent à fort loin… à l’époque préhistorique.
Je pourrais vous raconter comment la ville de Casablanca a été, il y a 300.000 ans, le lieu de vie de l’homo erectus, ancêtre de l’Homme sage. Comment, au VIIIe siècle, sous le nom d’Anfa, elle a été, durant près de 400 ans, la capitale de l’une des plus puissantes tribus berbères que le Maroc n’ait jamais connues.
Je pourrais aussi vous conter que sous les Mérinides, la ville devint une république corsaire, fief d’intrépides pirates qui semaient terreur et effroi sur les côtes lusitaniennes; vous narrer l’attaque de ces mêmes Portugais, dont la revancharde armada annihila la ville, sous l’œil consterné de Léon l’Africain; ou comment, tel un phénix, la cité tombée dans les abysses de l’oubli durant trois siècles, renaquit de ses cendres et devint, en moins de 100 ans, l’incroyable métropole dynamique et moderne que l’on connait aujourd’hui.
Autant de croustillants détails sur l’Histoire de la ville blanche qui, j’en suis sûre, attiseront votre curiosité… mais laissons ce passionnant récit pour un prochain article.
Reprenons donc: Anfa.
Nom primitif de la ville de Casablanca, les origines d’Anfa restent de nos jours très imprécises. Si pour certains elle a été fondée par les Romains à la même époque que Volubilis, pour d’autres, elle aurait des origines phénicienne ou même berbère.
Une chose est certaine, dès le VIIIe siècle, son nom apparait sous diverses orthographes sur les cartes: Niffe, Anafé, Anife, Anafa, Nafé…
D’ailleurs, que l’on se place du coté arabe ou du coté berbère, l’explication du nom d’Anfa diverge. En effet, certains y voient le mot Anf, traduction de l’arabe nez, bec, promontoire; arguant que le relief du littoral de la ville aurait une forme de nez.
D’autres y verraient plutôt le mot berbère Anifé (mont, cime, sommet), la ville étant construite en hauteur, sur les flancs d’une colline. Pour ma part, l’hypothèse berbère serait la plus plausible, je vous laisse cependant le soin de décider laquelle vous convient le plus.
Comment est-on passé d’Anfa à Casablanca me demanderez-vous?
J’y arrive.
Détruite à plusieurs reprise, abandonnée par ses habitants, oubliée par l’histoire, Anfa sera reconstruite en 1770 par le sultan alaouite Mohammed Ben Abdallah, désirant lui donner son essor d’antan
Il rebaptisera la ville « Casablanca », la dotera d’une mosquée, d’une medersa, d’un moulin et d’un caravansérail. Afin d’en assurer la défense, il y construira un bastion militaire (la Sqala) et l’entourera de hauts remparts.
C’est notamment derrière ces murs, témoins d’une autre époque, dans un labyrinthe de petites ruelles et de maisons chaulées, que repose un saint homme du nom de Sidi Allal El Kairouani.
La légende raconte qu’au XIVe siècle, un riche commerçant de la ville de Kairouan en Tunisie, voulut rejoindre le Sénégal par voie maritime. Celui-ci fit naufrage au large d’Anfa et fut recueilli par les pécheurs de la ville.
A la mort de sa femme, il demanda à son unique fille, réputée pour sa beauté et surnommée Lalla Beida pour la blancheur de sa peau, de le rejoindre.
Mais l’histoire se répéta et à son tour, elle fit naufrage au large d’Anfa, son bateau heurtant le récif à l’entrée du port, et, ne pouvant être sauvée, périt devant la ville.
Terrassé par le chagrin, Allal El Kairouani l’enterra devant la mer et demanda à être enseveli auprès d’elle son heure venue.
La légende raconte qu’au fil des années, grâce à ses connaissances et son amour pour la mer, le saint homme sut gagner la sympathie et le respect des marins d’Anfa.
L’amour des habitants de la ville était tel, que longtemps après sa mort, ils continuaient à visiter le mausolée qui abritait sa sépulture. Celui-ci prit d’ailleurs le nom de Dar El Beida (maison de la blanche) en hommage à sa fille, Lalla Beida.
Ce nom sera d’ailleurs donné à la ville dès 1770, alors que le sultan alaouite Mohammed Ben Abdallah entreprenait sa reconstruction.
Est-ce en souvenir du saint patron des pêcheurs et de sa fille que Casablanca porte ce nom, ou parce que les marins portugais avaient pour repère maritime cette même petite bâtisse blanchie à la chaux et visible depuis la mer; nul ne peut l’affirmer avec certitude.
Ce qui est sûr, c’est que les habitants de la ville blanche portent vraisemblablement un réel attachement au saint homme. Aujourd’hui encore, les marins invoquent sa protection et évoquent son savoir.
Pour l’anecdote, le nom de Casablanca joua sans le vouloir un rôle particulier dans le déroulement de la Seconde Guerre mondiale. Sans une erreur de traduction, celle-ci aurait pu prendre une tout autre tournure.
En effet, du 14 au 24 janvier 1943, Casablanca accueillait la conférence interalliés d’Anfa, réunissant les plus puissants dirigeants mondiaux: Roosevelt, Churchill, de Gaulle, Giraud, Mohammed V et Hassan II.
On raconte que peu avant la conférence, les services secrets allemands et espagnols, interceptèrent un message indiquant le lieu de la rencontre. Traduisant Casablanca en «White House», ces derniers crurent qu’il s’agissait de la Maison Blanche à Washington, les dissuadant ainsi de toute intervention armée.