Histoire. Les Saints Patrons de Casablanca: Sidi Belyout, l’homme aux lions (1/5)
Publié lePharmacienne de profession, passionnée d’histoire et guide bénévole aux Journées du Patrimoine de Casablanca depuis sept ans, Chama Khalil nous fait découvrir sa ville natale à travers ses histoires et ses légendes. Focus cette semaine sur les saints patrons de la ville blanche et des mythes qui les entourent. Premier épisode de la série, Sidi Belyout, l’homme aux lions.
Commerçants en manque de chance, jeunes filles rêvant d’un compagnon ou vieux chibani à la recherche d’un remède mystique à une douleur que la médecine moderne n’a pu soulager… Nombreux sont ceux qui se rendent sur les tombes de ces Sidi, Moulay ou Lalla pour se recueillir ou demander leur fameuse baraka (bénédiction).
Si le culte des saints est un phénomène universel, il est particulièrement présent au Maroc et adopte, depuis l’aube des temps, la couleur des trois religions monothéistes, les cultes populaires juifs et musulmans présentant d’évidentes analogies. Le paysage marocain est d’ailleurs jalonné de koubbas, ces mausolées aux formes simples, à l’architecture épurée, souvent blanchis à la chaux et édifiés par-dessus la tombe d’un personnage vénéré, un marabout, un saint …
Certains considèrent ces hommes et femmes défunts comme les protecteurs de la ville, d’autres leur prêtent des vertus thaumaturgiques, leur vouant une adoration que certains « oulémas » moralistes qualifieraient gracieusement de païenne, de parareligieuse et d’hérétique.
Expression d’une superstition poussée à l’extrême, honni par les réformistes politiques et les religieux conservateurs à la barbe souvent trop longue, le culte maraboutique est profondément ancré dans la société marocaine, et sa pratique, aussi bien par le peuple que par «l’élite éclairée» porte parfois des vérités et des légendes qui peuvent ébranler les certitudes de certains. Légendes qui ont toujours nourri les croyances populaires, où profane et sacré cohabitent et sont intimement liés.
L’hagiographie marocaine est d’ailleurs un vaste espace où se mêlent, dans ses pratiques et ses rites, l’animisme, la magie, la superstition, les phénomènes pseudo-religieux, la médecine, les formules magico-religieuses, l’exorcisme… C’est d’ailleurs là tout le paradoxe du Maroc, pays tourné vers l’avenir qui garde jalousement ses rituels ancestraux.
A Casablanca comme dans d’autres villes du royaume, de Sidi Belyout à Lalla Taja en passant par Sidi Allal El Kairouani et Sidi Bousmara, l’histoire de ces personnages réels ou imaginaires, de ces saints hommes et femmes, font pleinement et incontestablement partie du paysage culturel, spirituel et historique, certains quartiers ayant même hérité du patronyme du vénéré qu’ils protègent.
Voici donc une chronique sur les mythes et légendes des saints patrons de Casablanca. Honneur cette semaine au plus célèbre d’entre eux, Sidi Belyout, l’homme aux lions.
Histoire.
C’est indéniablement le saint patron le plus connu de la ville blanche.
Considéré par beaucoup comme le protecteur de Casablanca, il aurait vécu durant l’époque des Almohades. Berger modèle, homme pieux et proche de la nature, il gardait son troupeau en compagnie d’un lion.
La légende raconte que, déçu de la médiocrité des Hommes, craignant d’être souillé par la décadence et cherchant à fuir les bassesses de ses semblables, il se serait crevé les yeux, et aurait choisi d’aller vivre en ermite, en compagnie de ses bêtes, dans la forêt d’Ain Sebaa, la source du lion.
Toujours selon sa légende, Belyout aurait eu un pouvoir de fascination sur les fauves, allant jusqu’à communiquer avec eux. Il avait un don d’ubiquité et se promenait, même aveugle, guidé par son dévoué félin.
À sa mort, ce dernier l’aurait transporté en dehors de la forêt, aux abords de la ville, afin d’être enterré par les habitants, attirant leur attention par ses rugissements endeuillés.
C’est ainsi que le berger fut surnommé Abou Al Louyout (le père des lions), vulgarisé Belyout par les Casaouis.
Son mausolée se situe aujourd’hui sur le Boulevard Houphouët Boigny, ex-Bd Ahmed Al Hansal, non loin de la gare Casa Port et des bazars colorés de la vieille médina. Un chétif palmier, qui aurait poussé dans la nuit ayant suivi son enterrement, protège l’entrée de sa sépulture. Une fontaine magique s’y trouverait: tous ceux qui boiraient de son eau bénite seraient mus par une irrépressible envie de revenir visiter la ville blanche.
L’Histoire de Casablanca et plus généralement du Maroc est étroitement liée à ce lieu.
En 1906, à la suite de nombreux événements dont nous tairons les détails ici, la conférence d’Algésiras place l’économie marocaine sous le contrôle franco-espagnol. L’un des premiers chantiers sera la rénovation du port à barcasse de Casablanca, afin de le doter d’ouvrages modernes de protection et d’infrastructures d’accueil des navires de plus en plus importants et nombreux.
Pour acheminer les matériaux nécessaires à sa construction, un tronçon de chemin de fer reliant la darse du port à la carrière de Roches Noires est construit sur le cimetière jouxtant le mausolée de Sidi Belyout.
Cette profanation fut ressentie comme un manque de respect par la population locale. Elle engendrera de graves troubles, enflammant une ville déjà en effervescence. L’ire des habitants de la Chaouia fut telle que neuf ouvriers européens, employés de la société Schneider, furent assassinés.
L’évènement aurait pu passer inaperçu, mais la France, à l’affut d’un prétexte pour intervenir davantage militairement au Maroc, ne tarda pas à mettre à profit l’incident pour occuper la ville blanche, arguant protéger ses ressortissants étrangers résidant au Maroc.
C’est ainsi, que du 5 au 7 août 1907, Casablanca est bombardée depuis la mer, faisant, selon les versions, entre 1.500 et 7.000 morts, laissant les rues de la ville jonchées de ruines et de cadavres.
Un événement qui ancrera davantage la mainmise économique de la France au Maroc, et, à moyen terme, précipitera le royaume dans l’établissement d’un protectorat qui durera près de 50 ans.