Auto-entrepreneur: du chemin de l’indépendance aux sentiers de la précarité

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Image illustration. Dr

Après la crise liée au Covid, le statut d’auto-entrepreneur a connu un succès fulgurant avec une augmentation de plus de 200%. Créé en principe afin de permettre aux artisans et aux travailleurs indépendants de sortir de l’informel, ce format juridique sert surtout les entreprises qui veulent s’alléger des charges sociales. 

Maniant les hashi avec dextérité, Riad dévore son plat de nouilles tout en gardant un œil sur sa montre. Il est 22h. Coiffé d’un bob, lunettes de vue à montures noires et portant un tee-shirt “One Of Peace”, il est le dernier client de ce restaurant asiatique, situé en plein quartier résidentiel de la ville de Casablanca. Le jeune homme qui semble sorti tout droit d’un manga japonais, travaille pour une agence de communication. Infographiste de métier, ce spécialiste en design a lancé sa propre affaire en 2018 et s’est installé au Technopark. Avec la crise liée au Covid, sa société n’a pas tenu le coup.

Aussitôt rassasié, il repart au bureau. Il doit finir une commande d’un client s’il veut recevoir son chèque. Car même s’il ne travaille plus pour son compte, il n’est pas retourné au salariat. “Je suis actuellement ce qu’on appelle un auto-entrepreneur. En théorie, je suis indépendant, mais pas libre pour autant”, s’amuse-t-il à dire à longueur de journée.

Lire aussi. Le nombre d’auto-entrepreneurs en forte progression en 2021

Le jeune homme est désormais payé au projet. Plus d’heures supp payées, ni encore moins de mutuelle. Un statut qu’il n’a pas choisi, mais qu’on lui a imposé. “C’était une condition à mon embauche. Alors je me suis dit, vaux mieux ça que rien”, déplore cet expert en création graphique.

Le statut d’auto-entrepreneur est entré en vigueur au Maroc en 2015. Il devait en principe permettre à toute personne physique qui exerce, à titre individuel, une activité industrielle, commerciale ou artisanale d’obtenir un format juridique reconnu. Son détenteur peut ainsi facturer ses prestations, déclarer ses revenus et cotiser aux caisses de solidarité et de retraite. L’enjeu étant, bien entendu, de permettre aux artisans et autres travailleurs indépendants (plombier, électricien, serrurier…etc) de sortir de l’informel. Et ils bénéficient au passage des services comme la couverture médicale de base.

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Infographie de l’observatoire marocain de la très petite et moyenne entreprise (OMTPME).

Après la crise liée au Covid, ce statut a connu un succès fulgurant. Le nombre des auto-entrepreneurs a augmenté de 240,5%, selon les chiffres de l’observatoire marocain de la très petite et moyenne entreprise (OMTPME). Sauf que ce ne sont ni les travailleurs indépendants, ni encore moins les artisans qui ont le plus opté pour ce nouveau statut. Selon les statistiques, la plupart des auto-entrepreneurs opèrent dans le commerce (44%). Et ce n’est pas pour autant des vendeurs ou des négociants indépendants. Et la catégorie cible de ce statut ne représente que 4%.

Au centre-ville de la capitale économique, une agence immobilière en emploie une dizaine, dont Rochdi. Crâne dégarni et moustache fournie, ce cinquantenaire a été commercial toute sa vie. De l’immobilier, à la publicité en passant par l’automobile, il a tout fait. “Avant, on gagnait notre vie surtout à la commission avec un salaire minimum qui frôle le smig. Aujourd’hui, tout le monde a basculé dans l’auto-entrepreneuriat qui n’a de l’entrepreneuriat que le nom. Tout le monde, y compris les jeunots », nous dit-il. “On survit grâce aux avances sur commission”, renchérit ce vétéran.

Pratique courante

Faire basculer les salariés vers l’auto-entrepreneuriat est devenu une pratique courante, car elle permet aux employeurs de se soulager des charges sociales. Ils s’offrent ainsi une main-d’œuvre corvéable à souhait dont ils peuvent se débarrasser à tout moment. En plus, ces entreprises ne se soucient plus des deadlines des salaires mensuels. “On est payé au trimestre, parfois plus”, déplore Rochdi.

En gros, que du bonheur pour les patrons au détriment du prolétariat. Tout le monde s’y est mis, y compris des établissements et entreprises publiques comme la SNRT. Actuellement, même certains départements ont recours à ce mode de recrutement. “S’il est autant plébiscité, c’est qu’il permet de contourner les lenteurs bureaucratiques”, s’en défend un responsable du service financier au sein d’un établissement public. Sauf que cet argument ne convainc pas tout le monde.

Dans les couloirs du ministère chargé de l’Inclusion économique, de la Petite Entreprise, de l’Emploi et des Compétences, des bruits courent au sujet d’un projet visant à recadrer ce statut et à mettre un peu d’ordre. Et même le fisc pourrait s’en mêler…

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