Abdellah Tourabi: la dernière chance de l’école publique

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Abdellah Tourabi. Crédit: DR.

Les écoles marocaines sont devenues des serres géantes bonnes à cultiver l’ignorance, l’illettrisme et l’inadaptation au marché de l’emploi. Premiers à en pâtir: les parents de la classe moyenne qui se saignent pour offrir des études à leurs enfants.  

En discutant cette semaine avec deux amis, universitaires et purs produits de l’école publique marocaine, nous nous sommes rappelés avec nostalgie, amusement, mais aussi un brin d’amertume, de ce que représentait pour nous l’école privée dans les années 90: un bagne pour cancres, le symbole de l’échec scolaire, une déchéance dont on ne se remet jamais. Un élève inscrit dans un collège ou lycée privé (en dehors, bien sûr, de ceux de la mission française) vivait cette situation comme une honte inavouable, un secret qu’il ne pouvait pas divulguer même sous la torture.

L’un de ces deux amis m’a raconté que son père l’avait menacé un jour de le sortir de son lycée public pour l’envoyer dans un établissement privé s’il n’améliorait pas ses résultats scolaires. Il avait été, à l’époque, terrifié par la menace! En quelques années, les valeurs se sont inversées et la honte a changé de camp. La confiance dans l’école publique s’est effondrée et ceux qui la fréquentent maintenant le font par contrainte géographique ou financière. Au lieu d’assurer son rôle de tremplin pour une ascension sociale, elle est devenue un ghetto pour les pauvres et un boulet qui enchaîne l’individu à sa condition de misérable.

Les chiffres de l’expansion de l’enseignement privé dans les grandes villes sont intrigants. Dans certains quartiers aisés de Casablanca par exemple, le taux des élèves inscrits dans le privé dépasse les 60% et les quartiers populaires n’échappent pas à la tendance. La classe moyenne est la principale victime de cette mutation. Les membres de cette classe, conscients du rôle de l’éducation dans notre monde, se saignent aux quatre veines pour assurer à leurs enfants de bonnes études. Penser la nuit aux frais d’inscription et au coût des fournitures scolaires est devenu le moyen contraceptif le plus puissant au Maroc. Ça enlève toute envie et tue la libido, plus efficace qu’une migraine!

Il suffit de provoquer une discussion avec des parents, à propos de la scolarité de leurs enfants, pour mesurer l’étendue du sacrifice et parfois même de la souffrance. Il existe chez la classe moyenne un sentiment d’injustice et d’incompréhension. Composée notamment de salariés et de fonctionnaires, cette classe moyenne est fortement imposée et tout est prélevé à la source. Elle paye à l’Etat des impôts dont la contrepartie est quasiment invisible: elle envoie ses enfants dans des écoles privées, se soigne dans des cliniques privées et habite des résidences dont la sécurité est assurée par des entreprises privées. Pour elle, le contact avec le service public se résume presque au retrait des extraits d’acte de naissance à la Mouqata’a. Il serait équitable de penser à un mécanisme fiscal qui permette d’alléger le fardeau de cette classe moyenne, pénalisée pour avoir choisi d’offrir à ses enfants une meilleure scolarité.

Pour la réforme de l’éducation, nous sommes maintenant à notre ultime chance, une dernière occasion pour sauver un système depuis longtemps à la dérive. Les rapports et les classements se suivent et confirment la même chose: les écoles marocaines sont devenues des serres géantes bonnes à cultiver l’ignorance, l’illettrisme et l’inadaptation au marché de l’emploi. Le dernier rapport de la Banque mondiale nous rappelle que toutes nos réformes politiques et économiques seront vaines si nous n’arrivons pas à réaliser «un miracle éducatif», c’est-à-dire une réforme majeure et profonde de l’école marocaine. Il faut croire à ce miracle, car nous n’avons pas d’autres choix.

 

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