Santé mentale au Maroc: faut-il s’inquiéter?

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Dr Hachem Tyal, psychiatre. DR

Près de la moitié des Marocains présente ou a déjà présenté des signes de troubles mentaux mineurs, rappelle le CESE à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale célébrée lundi 10 octobre. Si le chiffre semble saisissant, faut-il s’en inquiéter? Eléments de réponse avec le psychiatre Dr Hachem Tyal. 

A l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale célébrée chaque année le 10 octobre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu ses dernières recommandations en la matière, pointant du doigt « le sous-investissement de l’État ». L’institution appelle notamment à renforcer le nombre de ressources humaines, lits d’hôpitaux, le cadre légal et juridique, rendre plus accessibles les soins, promouvoir la santé mentale au travail, à l’école, ainsi que la profession de psychologue…

Ces conseils se fondent sur le résultat d’une enquête réalisée entre octobre et décembre 2003 auprès de 5498 personnes des deux sexes (56,2% d’hommes et 43,8% de femmes), âgées de 15 ans et plus, dont le but était de « connaître les prévalences des troubles mentaux et de l’abus de substances dont l’alcool, ainsi que leurs déterminants sociodémographiques ».

Il s’agit de la première (et dernière en date) enquête épidémiologique de santé mentale réalisée sur un échantillon représentatif de la population générale marocaine. Elle a été réalisée par le Service de la Santé mentale et des maladies dégénératives, direction de l’épidémiologie et de la lutte contre les maladies du ministère de la Santé, en collaboration avec l’OMS, et les deux CHU de Casablanca et de Rabat.

Cette étude montre qu’au Maroc 48,9% de la population âgée de 15 ans et plus a déjà expérimenté au moins un trouble mental dans sa vie, soit quasiment la moitié de la population. Si le chiffre peut sembler saisissant, il faut le « situer à sa juste place », souligne le psychiatre Dr Hachem Tyal. Il s’agit ici de troubles psychiques mineurs récurrents, parfois sans lendemain (insomnie, angoisse, tic nerveux, dépression…).

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« Qui n’a jamais eu de crises d’angoisse, qui n’a jamais eu de moments de déprime dans sa vie? C’est de ça dont on parle, et non de pathologies mentales lourdes et graves. Il faut relativiser », tempère le médecin. Selon la même enquête, les troubles de l’humeur représentent la prévalence la plus élevée chez les plus de 15 ans (26,5%). L’épisode dépressif majeur est plus fréquemment repéré chez les femmes avec 34,3% contre 20,4% chez les hommes.

On note une prévalence de 11,3% chez les femmes pour l’anxiété généralisée actuelle, par rapport à 7,7% chez les hommes. Par ailleurs, la prévalence de l’abus d’alcool est de 2%, la dépendance alcoolique est de 1,4%. La prévalence de l’abus de substances actuel est de 3% alors que la dépendance est de 2,8%. Enfin, la prévalence de troubles psychotiques sur la vie entière, qui est quasi identique chez les deux sexes, est de 5,6%. Les personnes célibataires ou divorcées semblent être plus exposées aux troubles psychotiques.

« Dans pratiquement tous les pays du monde, nous avons les mêmes chiffres en termes de pathologie mentale, qu’il s’agisse des dépressions, des maladies bipolaires, etc. Seuls les tableaux cliniques varient », commente Dr Tyal. L’enquête parue en 2005 soulève toutefois que les chiffres sont relativement élevés au Maroc concernant les troubles de l’humeur et psychotiques.

« Si on ne donne pas une priorité absolue à la santé mentale, le pays ne peut pas avancer »

Alors faut-il s’inquiéter? Si les chiffres ne sont pas si différents d’ailleurs, le budget ministériel annuel consacré à l’offre thérapeutique ne dépasse toujours pas les 2% au Maroc tandis que l’OMS recommande 5%. Les recommandations publiées récemment par le CESE sont d’ailleurs « connues depuis longtemps », rappelle Dr Tyal qui alerte: « Si on ne donne pas sa juste place, à savoir une priorité absolue, à la question de la maladie mentale, le pays ne peut pas avancer, les pays comme le nôtre et pas seulement ».

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« Le grand problème de la pathologie mentale, comme je l’ai souvent dit, c’est qu’on ne veut rien en savoir. Elle fait peur, à tel point qu’on fait tout pour ne pas la voir. On l’élimine même de notre schéma représentationnel, ce qui fait qu’on ne lui donne pas sa vraie place. Par exemple, le trouble dépressif est la première cause de morbidité et d’arrêt de travail dans le monde, avant d’autres maladies extrêmement graves organiques. C’est quand même incroyable. La maladie mentale, c’est un million de suicides par an dans le monde, c’est un demi-milliard d’individus qui en souffrent dans le monde. Les chiffres sont énormes », abonde notre interlocuteur.

« La maladie mentale est le domaine sanitaire qui nécessite le plus d’investissements en soins et celui qui entraîne le coût le plus important sur l’économie du pays, la société, c’est un énorme problème », poursuit Dr Tyal qui invite à plus de prévention sur le sujet et dès les plus jeunes âges.

« L’humain a besoin d’une médecine d’excellence, c’est la seule discipline dans laquelle on ne peut se suffire du peu »

« A l’école, il doit y avoir tout un travail de promotion de la santé mentale. La santé mentale, c’est être en pleine possession de ses moyens pour pouvoir les optimiser dans la réussite de ses projets de vie. Si on ne prépare pas cet aspect dès les plus jeunes âges, on aura une société d’adultes inefficients », ajoute-t-il.

L’expert attire également l’attention sur le manque de moyens matériels et humains pour prévenir mais également traiter la maladie mentale. « S’il n’y a pas suffisamment de médecins, et que leurs conditions sont insuffisamment bonnes pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et qu’ils restent dans la santé publique, s’il n’y a pas suffisamment de lits d’hôpital, que les soins ne sont pas -équitablement- accessibles, on ne peut pas parler de prise en charge de la santé mentale », déplore-t-il encore.

Et de conclure: « Nous devons accorder plus d’importance au travail de prévention et de traitement, autant au niveau de la mentalité que de l’aspect financier. L’humain a besoin d’une médecine d’excellence, c’est la seule discipline dans laquelle on ne peut pas se suffire du peu, il faut donc la mobilisation de tous. »

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