Ramadan au temps du confinement: les conseils d’une nutritionniste et d’un pneumologue
Publié leLe mois de Ramadan débute aujourd’hui. Un Ramadan bien particulier en ces temps de coronavirus et de confinement. Si les veillées spirituelles à la mosquée manquent au programme, les «chiwates» n’auront sûrement pas déserté les tables de ce mois sacré. Une nutritionniste et un pneumologue rappellent l’importance -d’autant plus cruciale en cette pandémie-, de maintenir une alimentation équilibrée et une bonne hygiène de vie.
Chebbakiya, msemen, batbout, harira, baghrir, briwate… Tous ces petits mets traditionnels se dégustent chaque année lors des repas ramadanesques. Incontournables, ils ne présentent pas tous la même valeur nutritionnelle. Si certains parviennent à mesurer leur consommation d’aliments riches et gras, pour d’autres, le mois de Ramadan engendre un véritable bouleversement des habitudes alimentaires. En 2020, nous jeûnons confinés, un paramètre inédit qui nécessite davantage de prendre soin de notre hygiène alimentaire.
«Une double sédentarité»
«Pendant le ramadan, on observe une hausse de la sédentarité dans les modes de vie. Avec ce confinement, c’est encore pire, on assiste à une double sédentarité. On ne va plus au travail, marche plus, sort plus… C’est pour cette raison qu’il va falloir faire encore plus attention aux quantités que l’on mange», explique Valérie Alighieri, médecin généraliste et nutritionniste. Contactée par H24Info, la professionnelle de santé insiste sur le fait qu’il faut essayer de continuer à manger sainement, «les mêmes types de repas que hors ramadan».
Il convient ainsi de préparer des ftours équilibrés composés de légumes, fruits, féculents, produits laitiers… En ce qui concerne les chiwates relativement grasses, il ne s’agit pas de les éliminer totalement mais de «les consommer à petites quantités et occasionnellement». «Quand ce n’est pas ramadan, on ne mange pas tous les jours un éclair au chocolat, donc pendant ramadan, c’est pareil», compare Valérie Alighieri qui souligne que «certaines chiwates ne posent pas de problème» telles que la harira ou les batbouts. Le tout étant de savoir équilibrer son menu: «par exemple si on fait des briwates, on complète avec des légumes».
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Confinement oblige, il faut réduire encore plus la consommation d’aliments gras et très caloriques. «Si on ne bouge pas du tout, il est opportun de réduire la quantité de féculents par rapport à ce qu’on aurait pris en temps d’activité normale lorsqu’on travaille ou qu’on effectue ses déplacements habituels, et qui permettent de brûler des calories», poursuit notre interlocutrice.
Autre variable dû au respect du confinement à prendre en compte dans la composition de ses menus: la nécessité de sortir le moins possible de chez soi pour faire des courses. «Pendant cette période-là, on est censé choisir des aliments qui se conservent longtemps de manière à ce qu’on ne soit pas obligé de sortir chaque jour ou deux jours. On ne peut pas se permette de sortir quotidiennement acheter des produits frais», insiste la nutritionniste qui rappelle que pour la viande ou le poisson, «il y a la solution de la congélation»; pour les fromages, il est préférable d’investir dans du fromage rouge, de l’emmental ou du kiri. Côté fruits, les pommes, oranges, pastèques, melons se conservent plutôt bien et la plupart des légumes se gardent en général une semaine sans problème (carotte, courge, concombre, tomate, poivron…).
«Manger vitaminé pour renforcer ses défenses immunitaires»
S’inscrivant dans un contexte de pandémie, ce mois de jeûne a tout intérêt à présenter des repas riches en vitamines afin de renforcer ses défenses immunitaires, et ainsi mieux prévenir toute maladie. «Les consignes habituelles du ramadan sont augmentées par le risque d’être infecté», énonce Valérie Alighieri pour qui «cette année encore plus que les autres, il faut faire attention à manger de tout».
Ainsi, elle privilégie plusieurs ingrédients pour des menus ramadan spécial confinement: beaucoup de tomates, poivrons, brocolis car très riches en vitamine C; inclure des crudités dans chaque ftour, préférez des chiwates non frites telles que les batbouts garnis d’aliments sains (viande hachée, crudités, légumes, poisson…), préférez également les crudités aux légumes cuits car plus riches en vitamines, eau et fibres. Pour l’apport en glucides, maintenez une quantité de féculents, et de fruits secs (noix, amandes…) qui sont plus nutritifs que des pâtes par exemple; la harira est une soupe équilibrée, un bon atout quotidien pour la rupture du jeûne.
Il est aussi plus intéressant nutritivement parlant de manger un fruit frais plutôt qu’un jus. Le fruit présente plus de fibres et donc un index glycémique plus bas. «Ça apporte autant de vitamines qu’un jus, mais en général les gens ne prennent pas l’équivalent d’un fruit en jus, c’est plutôt trois, donc cela conduit à des excès», explique Dr Alighieri.
«Si je mange des fruits et des légumes, c’est bénéfique car je m’hydrate tout en mangeant des vitamines et des fibres. C’est bon pour les défenses immunitaires et le transit», abonde-t-elle. Au menu du suhur (repas de l’aube), la spécialiste conseille «un petit-déjeuner habituel» (pain, café au lait, œufs, fromage, fruit, lait…) dont les quantités varieront en fonction du degré d’activité physique de la personne dans la journée. «Ceux qui préfèrent manger un repas plus consistant car ont besoin de beaucoup d’énergie pour travailler, cela peut ressembler à un dîner (panini, salade, tajine KBM…)». Et d’ajouter: «Je recommande de ne pas grignoter entre le ftour et le suhur, soit deux repas au maximum et boire de l’eau entre les deux. Il est important de garder un rythme de vie normal».
«S’hydrater, bien dormir et bouger pour mieux lutter contre l’infection»
« Normalement, si on a bien mangé au ftour, on n’a plus faim pour un deuxième repas jusqu’au suhur. Sachant que la digestion dure trois heures, il vaut mieux faire un seul repas afin de parvenir à s’endormir avant minuit et garder également un bon rythme de sommeil », poursuit Alighieri qui incite à essayer de maintenir le même rythme de vie qu’en dehors du confinement. «En ce moment, il est d’autant plus important de renforcer nos défenses immunitaires donc il faut bien manger, bien dormir et bouger pour que notre corps reste en forme. Lorsqu’on jeûne, on n’est pas aussi en forme pour lutter contre une infection car on est fatigué, on a souvent mal mangé, mal dormi, pas assez bu que lorsqu’on a une alimentation régulière» ajoute-t-elle, précisant que «si la personne respecte son confinement, même si elle est un peu plus faible, il n’y a pas de risque particulier d’être infecté».
Le médecin fait partie de ceux qui favorisent l’activité physique avant la rupture du jeûne, une activité adaptée visant à «entretenir et non à performer», donc «beaucoup moins de cardio, plus de renforcement musculaire, stretching, yoga et toujours écouter son organisme». « En ce moment, il faut essayer quand même d’avoir une activité physique chaque jour (20-30 minutes), ne serait-ce que des petits mouvements (marcher dans sa maison, faire des flexions de jambes…) car sinon on ne bouge pas du tout».
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Contacté par nos soins, Dr El Ibrahimi, pneumologue au CMR (centre des maladies respiratoires) de Casablanca, insiste également sur l’importance de maintenir une bonne hygiène de vie pendant ce ramadan corrélé à la pandémie. «Pendant ce ramadan, pour pouvoir renforcer son immunité, il faut premièrement bien dormir, deuxièmement faire du sport et troisièmement, s’hydrater autant que possible la nuit quand on mange», recommande le médecin, appuyant davantage sur ce dernier point, «s’hydrater au maximum, c’est de façon générale ce qui est le plus important pendant le ramadan».
El Ibrahimi préconise ainsi de «limiter la période de jeûne», c’est-à-dire de rompre évidemment au coucher du soleil, mais surtout «d’arrêter de manger et de boire le plus tard possible, juste avant l’aube, afin d’avoir le moins d’heures de déshydratation dans la journée». En effet, «quand vous vous hydratez, vous êtes mieux protégés contre les infections virales et bactériennes donc pour se prévenir des maladies comme du coronavirus, il est préférable d’avoir un bon sommeil, beaucoup boire et faire du sport».
«Je crois que ce qui nous perturbe pendant ce ramadan et qui diminue notre immunité, réactivité et force de travail, ce n’est pas tant le fait de ne pas avoir bien mangé que celui d’avoir très mal dormi. Et pratiquement tous les Marocains vous diront qu’ils dorment très mal la nuit», déclare El Ibrahimi qui invite tout un chacun à respecter au maximum l’horaire de nuit, «entre 22h et 4h du matin, c’est le moment où on profite vraiment de son sommeil». «Franchement, le sommeil est quelque chose qui perturbe beaucoup et qui diminue l’immunité quand il n’est pas respecté».
«Pas de contrindications particulières de jeûner par coronavirus»
«Par rapport au coronavirus, il n’y a pas tellement de contrindications de jeûner. Si vous êtes malade du coronavirus, vous suivez un traitement donc vous êtes obligés de ne pas jeuner. Si vous n’êtes pas malade, ce n’est pas le fait d’avoir jeuné qui va vous mettre en danger d’être atteint de coronavirus», éclaire Dr El Ibrahimi.
Autre cas de figure: une personne testée positive au coronavirus mais demeurant asymptomatique peut-elle jeûner? «A partir du moment où elle n’a pas de symptômes, il s’agit donc simplement d’une réaction sérologique, ça ne veut pas dire qu’elle ne doit pas jeûner. Jeûner ou pas, c’est davantage en fonction de la maladie. Dans le cas d’une PCR positive asymptomatique, ça ne va pas la fragiliser davantage», conclut l’expert médical. «Les infections qu’on peut attraper, qu’elles soient bactériennes ou virales, ont beaucoup plus tendance à atteindre des sujets avec débilités, avec tares cardio-respiratoires ou présentant des maladies chroniques», rappelle-t-il.
Par ailleurs, les patients atteints de maladies chroniques (tension, diabète, bronchopathie chronique…) avec des traitements qu’ils ne peuvent pas arrêter sans danger pour leur santé, ne doivent pas jeûner selon les avis médicaux. Dr El Ibrahimi recommande aussi aux patients atteints de tuberculose de ne pas jeûner le temps du traitement (six mois), surtout les deux premiers mois.