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Pourquoi le nombre de prisonniers se rapproche d’un record historique au Maroc
Publié leEn cette fin d’année, les prisons marocaines font face à un taux d’occupation sans précédent. Selon la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR), cette situation est due à deux facteurs principaux. Explications.
Début novembre, le délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohamed Salah Tamek, a indiqué qu’entre octobre 2021 et octobre 2022, le nombre de prisonniers au Maroc a augmenté de 10%, passant de 89.000 à plus de 98.000 détenus.
Selon lui, ce nombre pourrait même atteindre 100.000 d’ici la fin de l’année, ce qui constituerait un record jamais atteint jusqu’ici au Maroc. Ces chiffres ont été dévoilés lors de la présentation du budget de la DGAPR, devant la Commission de justice, de législation et des droits de l’Homme à la Chambre des représentants, dans le cadre du PLF 2023.
Contactée par H24info, une source autorisée à la DGAPR nous a détaillé ces chiffres (tableau ci-dessous).
La moyenne d’augmentation annuelle du nombre de prisonniers au Maroc, selon des chiffres qui nous ont été fournis par la DGAPR (2017-2021)
Année | Nombre de détenus | Taux de variation |
2017 | 83102 | – |
2018 | 83757 | 655 |
2019 | 86384 | 2627 |
2020 | 84990 | -1394 |
2021 | 88941 | 3951 |
Fin octobre 2022 | 98277 | 9336 |
Selon la DGAPR, deux raisons principales expliquent la surpopulation carcérale au Maroc. Il y a d’abord le « recours accru à la détention provisoire », puis « l’augmentation de la durée moyenne de détention », nous explique notre source.
40% en détention provisoire
Le nombre de prisonniers faisant l’objet d’une détention provisoire représente en moyenne 40% du total des détenus actuellement au Maroc. Selon des données de la DGAPR, ce pourcentage était de 39% en 2019, avant de passer à 45,7% en 2020, puis de redescendre à 42,19% en 2021.
La durée moyenne de détention, elle, est passée de 8 mois et demi en 2017, à près de 10 mois en 2021.
Le pourcentage des détenus en détention provisoire de 2019 à 2021
Année | Pourcentage |
2019 | 39.00% |
2020 | 45.70% |
2021 | 42.19% |
La durée moyenne détention de 2017 à 2021
Année | Durée moyenne de détention (mois) |
2017 | 8.50 |
2018 | 8.93 |
2019 | 9.21 |
2020 | 9.72 |
2021 | 9.84 |
Une « crise pénitentiaire »
« L’augmentation incessante de la population carcérale au Maroc, ou ce que j’appelle une inflation carcérale ascendante depuis plus de quatre décennies déjà, reflète, de l’aveu même des responsables institutionnels, une crise pénitentiaire qui s’éternise malgré toutes les tentatives de réformes menées jusqu’ici par les autorités législatives, politiques et institutionnelles, ainsi qu’une certaine implication de la part de la société civile », estime Youssef Madad, membre de l’association Relais Prison-Société, qui lutte contre « la récidive par la réhabilitation juridique et l’aide à l’insertion des sortants de prison ».
Pour lui, les origines de cette crise sont multiples et « reflètent essentiellement l’échec des politiques pénale et pénitentiaire menée jusqu’ici au Maroc ».
L’institution carcérale « perçue comme une simple institution d’exécution des décisions de justice, continue de subir les dysfonctionnements de tout le système pénal et judiciaire ».
En cause selon lui: une » inflation des textes d’incrimination et de sanction comme principal mécanisme de lutte contre le crime, la non-rationalisation de la détention préventive et l’insuffisance de vérification des règles justifiant le placement en garde à vue, le défaut de mise en œuvre optimale du principe de l’opportunité de la poursuite, des mécanismes alternatifs à la détention et de l’absence des peines alternatives à la privation de liberté pour les délits mineurs ».
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« L’approche sécuritaire dans laquelle, le législateur, le pouvoir judiciaire et les différentes institutions impliquées opèrent avec le phénomène criminel, et ce, dans le cadre d’une culture répressive, a dominé les quatre décennies qui ont suivi l’indépendance du Maroc et fait osciller la détention préventive entre 40 et 44 % de l’ensemble de la population carcérale au Maroc », estime Youssef Madad.
De nouvelles prisons
Pour remédier à la surpopulation carcérale, la DGAPR a « prévu dans sa stratégie la construction de nouveaux établissements », mais aussi « le réaménagement ou la restauration d’autres » établissement pour « améliorer les conditions de détention », nous explique notre source.
Mohamed Tamek a fait savoir début novembre que les travaux de construction de la prison Al Jadida 2 et de réhabilitation de celle de Khémisset sont achevés. Deux nouveaux établissements pénitentiaires sont en construction également à Laayoune et Tamesna et Essaouira.
Selon l’Observatoire marocain des prison, à fin 2021, le Maroc comptait 75 prisons au lieu de 78 un an auparavant.
Outre la construction des prisons, la DGAPR dit aussi avoir « participé à la reformulation de certains articles de la loi relatifs aux peines alternatives ». Elle est « en attente de réformes législatives qui pourraient contribuer à la diminution de la surpopulation carcérale ».