Vidéo. Et si l’on supprimait la prison pour les délits mineurs?

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Un gardien transportant des menottes et des clés de cellules dans la prison de Kénitra, le 31 août 2021. Photo: AFP.

En 2022, plus de la moitié de la population carcérale purge des peines privatives de liberté inférieures à deux ans, multipliant les risques de récidive des détenus et causant la surpopulation dans les prisons.

Punir ou corriger ? Historiquement, les peines prononcées visaient essentiellement à châtier et non à corriger et réinsérer. Aujourd’hui, le débat sur leur nature et leur efficacité se poursuit. Si le législateur semble hésiter à trancher, pour la société civile la solution est on ne peut plus simple: l’instauration de peines alternatives.

«Le dossier traine. La question des peines alternatives a été posée en 2004 avec la conférence de Meknès. La charte de la réforme de la Justice en 2013 avait aussi appelé à les adopter et le projet de loi de 2016 a appuyé à son tour cela. Mais en 2022, il y a toujours de l’hésitation, ce qui nous amène à nous demander pourquoi face à une réalité qui ne fait que s’aggraver, les bras sont croisés ?», s’interroge Youssef Madad, membre de l’association Relais-Prison-Société.

Une politique de réinsertion impossible

Mais qu’est-ce qu’un délit mineur ? Ce sont les délits passibles de peines d’emprisonnement allant d’un mois à deux ans. Cela concerne les petits délits tels que le vol sans violence, les actes de hooliganisme, etc. «Grosso modo, ce sont des délits qui peuvent être gérés autrement que par la privation de liberté», souligne Youssef Madad. D’après lui, 51% de la population carcérale est jugée à des peines de moins de deux ans et 30% est jugée à des peines inférieures à un an.

«C’est un constat très grave car les conditions carcérales ne permettent pas une politique de réinsertion au bout d’une durée aussi courte. Donc là, la fonction de la réinsertion n’est pas opérée, ce qui conduit à la récidive. Ce phénomène aux lourdes conséquences grimpe de plus en plus et arrive aujourd’hui à des pourcentages alarmants allant de 65% à 70%», poursuit ce dernier.

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Selon ses propos, pour une capacité de 45.000 détenus, les prisons accueillent aujourd’hui près de 89.000 personnes incarcérées, soit un taux d’occupation d’à peu près 200%. «Le taux augmente de l’ordre de 2.000 à 3.000 détenus par an. L’idée est de sortir de ce cargo pénal, qui a démontré qu’il ne servait à rien. Bien au contraire, il génère d’autres vagues de délinquances», avance Youssef Madad.

D’après notre source, il existe de nombreux facteurs directs ou indirects qui entraînent un plus grand recours à l’emprisonnement, comme il existe également des incitations à modérer cet usage. Dans les pays les plus développés par exemple, ces pressions à la baisse comprennent la contrainte en termes de ressources, pour la simple raison que la prison coûte cher.

«Les échecs de la privation de la liberté comme réponse aux problèmes de société sont de plus en plus reconnus ; il est de plus en plus admis que ces problèmes trouvent mieux leur réponse hors du champ pénal. Et, ouvertement ou non, pour des raisons économiques ou non, certains États ont effectué des choix politiques menant à une diminution du recours à l’incarcération. Une initiative qui a porté ses fruits», explique Youssef Madad.

« La prison n’éduque pas »

Si la prison symbolise pour une grande majorité des citoyens la sanction de référence, efficace et visible, elle n’est cependant qu’une possibilité parmi un éventail de peines qui n’a cessé de s’étoffer et de se diversifier ces dernières années afin de mieux individualiser la peine et prévenir la récidive: le travail d’intérêt général, les jours-amende, les stages, la sanction-réparation, la contrainte pénale, etc.

Ainsi, les peines alternatives à l’incarcération sont l’ensemble des mesures pénales permettant d’éviter ou de raccourcir une détention. Elles visent à réserver la peine privative de liberté qu’est la prison pour les cas nécessaires, et de recourir à ces peines alternatives pour l’ensemble des autres cas. Celles-ci permettent de limiter l’impact désocialisant de l’incarcération, et est assortie de mesures de contrôle, d’aide et d’obligations destinées à lutter contre les effets désocialisant des courtes peines.

En lien avec les mesures d’investigation qui s’effectuent dans la phase pré-sententielle, les peines alternatives à l’emprisonnement peuvent être prononcées grâce à une mesure de contrôle judiciaire socio-éducatif ou une enquête sociale renforcée. Ces investigations permettent aux magistrats de prononcer la peine la plus adaptée, à partir d’éléments fiables relatif au parcours de la personne condamnée.

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«En plus de la stigmatisation, la politique de réinsertion ne s’opère pas car la prison est surpeuplée. Les peines alternatives sont en gestation mais leur instauration devra prendre du temps car lorsque nous parlons de peines alternatives nous parlons aussi d’une partie tierce qui devra s’occuper desdits détenus. Et en plus de toute cette organisation et du budget qu’elle nécessite, il faudra également que la société soit prête pour ce genre d’initiative», fait savoir Fatna El Bouih, présidente de l’association Relais-Prison-Société

Selon ses dires, la prison ne pourra jamais remplir son rôle de correction si elle continue d’accueillir davantage de détenus au détriment de sa capacité d’occupation. «C’est une tendance qui ne favorise pas la réhabilitation des détenus en prévision de leur réinsertion sociale», dit-elle. Elle ajoute que le changement au niveau des lois prend beaucoup de temps et concerne à la fois les volets législatif et sociétal.

«Ce dépendra de si la société est capable d’accepter ou pas lesdites peines alternatives. Car nous avons souvent tendance à croire que la prison éduque, alors que ce n’est pas le cas. C’est surtout le rôle que doivent jouer la famille, l’école ainsi que l’entourage de tout un chacun. Une chose est sûre, l’éducation ne se fait jamais par la violence», conclut Fatna El Bouih.

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