MRE: «C’est la première fois qu’on passe l’été en France, c’est déprimant»
Publié leLa pandémie du covid-19 a provoqué un phénomène inédit dans l’histoire des Marocains résidents à l’étranger (MRE). Pour la première fois, ils ne peuvent pas rentrer au Maroc durant les vacances d’été, soit un rendez-vous hautement symbolique pour la plupart d’entre eux. Témoignages de Français et Belges d’origine marocaine.
«L’autre jour, quand j’ai sorti les valises, mes enfants se sont enthousiasmés, « on va au Maroc? » m’ont-ils demandé… Pas du tout, nous allons à Rennes et à Poitiers», raconte Amel, l’air dépité. Originaire de Fnideq, cette aide médico-psychologique de 37 ans prépare habituellement son voyage avec sa mère et sa sœur plusieurs mois à l’avance. Mais l’annonce du confinement en mars dernier l’a «bloquée dans son élan». «Au début, j’étais très déçue car j’avais acheté pas mal de choses à envoyer à notre appartement là-bas, donc pour le moment c’est en stand-by. Et puis la famille, l’odeur du Maroc, tout ça nous manque… Dès l’atterrissage, on se sent bien», poursuit-elle, précisant que ses deux enfants aussi sont tristes, «d’autant plus qu’ils ne voient la mer qu’au Maroc». «fih l’kheir w l’baraka*», lui lance sa mère derrière le combiné du téléphone, rongée par le mal du pays et la peine de ne pas retrouver ses sœurs cette année.
Les «vacances d’été au bled», c’est sacré pour beaucoup de Marocains résidant à l’étranger, qu’ils soient immigrés ou issus de la 2e, 3e, voire maintenant 4e génération. Il s’agit souvent de l’unique période de retrouvailles avec la famille et la terre d’origine. Hichem, 29 ans, originaire d’Oujda, se dit «profondément déçu» de ne pas pouvoir «rentrer dans le pays de son cœur». «En tant que MRE, le fait de me rendre l’été au Maroc, c’est une façon de me ressourcer, pas seulement passer des vacances. C’est vraiment quelque chose de l’ordre du spirituel et d’une redécouverte de soi, de sa culture, de son identité. En être privé cette année, c’est assez lourd», confie-t-il.
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Une privation d’autant plus lourde que depuis plusieurs années, l’Aïd El-Kébir tombe pendant les vacances d’été. Chaque année, les Marocains du monde rejoignent leurs familles respectives au Maroc pour célébrer ensemble la fête la plus importante de l’islam. C’est le cas d’Ahlam dont la famille est originaire de Demnate, dans les environs de Marrakech. Malheureusement, l’étudiante de 24 ans a passé la dernière fête du Sacrifice virtuellement avec sa famille au Maroc, «via FaceTime». «Nous allons au Maroc chaque été. Même avec le coronavirus, on avait réservé nos billets d’avion pour fin juillet, quelques jours avant l’Aïd, sachant qu’on a une maison là-bas où rester confinés. Trois jours avant notre départ, Air France a annulé nos vols sans les remplacer», raconte la jeune femme. Et d’ajouter: «C’est la première fois qu’on passe l’été en France, c’est déprimant, surtout pour ma mère qui travaille toute l’année dans le but de retrouver sa famille l’été».
«Nous avons eu plusieurs fêtes qui se sont succédées sans pouvoir assister à aucune d’entre elles», renchérit Nihed, contrariée. La juriste à Paris de 25 ans avait réservé en janvier déjà un billet d’avion pour le 20 mai afin de passer la nuit du Destin avec ses sœurs au Maroc, ainsi que l’Aïd El-Sghrir. «C’était extrêmement symbolique car ma mère nous a quittés lors de la nuit du Destin l’an dernier. Pour moi, c’était important de revenir célébrer cette nuit au Maroc, où ma mère est enterrée», explique-t-elle, assurant que ça lui semblait «inconcevable de passer l’Aïd seule en France». Confinement et fermeture des frontières s’en sont suivis, et Nihed « a compris très vite que la nuit du Destin, ainsi que les deux Aïd se dérouleront en France».
Entre crainte de rester bloqué et « maktoub »
Même si depuis le mois dernier des vols spéciaux ont été affrétés par les compagnies nationales (RAM et Air Arabia) ainsi que des bateaux au départ de Sète et Gènes (Italie), la plupart n’ont pas souhaité prendre le risque de voir leurs billets annulés comme pour Ahlam, ou au retour de rester bloqués au Maroc. Yasmine, pharmacienne belge de 28 ans, a préféré passer ses vacances en Espagne avec sa famille. «Mes parents sont tristes et nostalgiques de ne pas pouvoir rentrer sur leur terre d’origine mais ils craignaient de rester bloquer là-bas car nous n’avons aucune garantie de retour, malgré les vols spéciaux. On a tous des amis qui sont restés bloqués plusieurs mois sans pouvoir revenir», s’inquiète la jeune femme originaire de Tétouan, mentionnant aussi son «inquiétude quant aux soins hospitaliers au Maroc».
Amel partage cette crainte de tomber malade au Maroc. «Par sécurité sanitaire, on n’y va pas. On ne voudrait pas être contaminé au Maroc et ne plus pouvoir rentrer. Même pour ma mère et les personnes âgées de notre famille, nous n’avons pas voulu prendre ce risque», confie-t-elle. «Ça fend le cœur. Personnellement, j’ai mis beaucoup de temps à l’accepter, mais aujourd’hui j’ai fait le deuil de ces vacances».
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Comme Amel, beaucoup se sont fait une raison. S’ils n’ont «pas voulu prendre le risque de [se] contaminer et de contaminer [leur] entourage par un acte égoïste qui aurait pu avoir des conséquences regrettables», Imane, entrepreneuse de 26 ans, et son mari, «ont pallié ce manque en multipliant d’avantage les visioconférences avec la famille et les amis». «Ça nous a offert un semblant de proximité aussi bien pour les moments difficiles durant le confinement que pour les moments de joie comme l’Aïd».
«Mes parents ont l’habitude de venir au Maroc au mois d’août, c’est un rituel depuis plusieurs années. Ils ressentent de la frustration», témoigne à son tour Laila, psychopraticienne dont les parents sont originaires de Casablanca et d’Agadir. «En même temps, nous comprenons la situation et Dieu a voulu quand même qu’ils retournent aux sources, en Corse, où tout a commencé…», se console cette Française née et ayant grandi sur l’île de beauté où ses parents avaient émigré dans les années 1970.
«Tu es déçu mais en même temps en tant que croyant, quand tu perds quelque chose, tu sais que Dieu la compense par autre chose. Cet autre-chose peut parfois être un rien, mais un rien positif. Pour moi, l’événement de l’année, c’était vraiment d’aller au Maroc mais au final maktabch**. Ça ne nous a pas détruits non plus car nous acceptons le destin. Mine de rien, ça reste matériel, hamdoullah*** on est en vie», se résigne Nihed avec espoir.
*Le Maroc bénéficie de beaucoup de bienfaits et de la bénédiction de Dieu (traduction rapprochée)
**Ce n’était pas destiné
***Grâce à Dieu