Mehdi Alioua : «La violence des jeunes peut parfois exprimer un message politique»

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C’est un véritable drame qui s’est produit vendredi dernier, au festival l’Boulevard à Casablanca. Les actes de vandalisme, les vols, les agressions, ont mis la lumière, une fois de plus, sur l’état d’esprit de la jeunesse marocaine. Doit-on s’inquiéter pour elle ? Eclairage de Mehdi Alioua, sociologue et professeur chercheur à Rabat.

Un drame inédit de par son ampleur. À Casablanca, le mythique stade RUC s’est transformé, le temps d’un concert en un espace de violences gratuites. Et ce n’est malheureusement pas une première au Maroc, car très souvent, des scènes similaires se sont déjà déroulées comme en 2009 où l’on a dénombré  11 morts au concert d’Abdelaziz Stati, ou encore les actes de hooliganisme et de vandalisme lors de plusieurs matchs de football.

Mais si dans l’imaginaire collectif, ces personnes sont des jeunes, mal insérés socialement, délinquants dans la vie ordinaire, drogués, imbibés d’alcool, qui prennent prétexte du festival ou du match de football pour venir commettre leurs méfaits, la réalité sociale du phénomène est, selon le sociologue Mehdi Alioua, toute autre.

H24info : Ces violences sont-elles une spécificité marocaine ?

Mehdi Alioua : Ce n’est absolument pas une spécificité marocaine. De tels événements, bien qu’ils soient particulièrement meurtriers dans de nombreux cas, ne sont pas rares. Ils se produisent majoritairement autour de trois thèmes : les rassemblements religieux, les matchs de football, ou pour faire la fête, comme dans des festivals de musique.

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Car partout dans le monde, l’accumulation d’une grande quantité de personnes dans un petit espace peut générer des bousculades et des mouvements collectifs lorsque la foule devient incontrôlable. Résultat :  des problèmes de violence corporelle, surtout sexuelle allant des attouchements et parfois malheureusement jusqu’aux viols. Au Maroc, on vit exactement la même situation, mais avec une légère différence liée principalement aux écarts de richesse ainsi qu’à la qualification de l’agression sexuelle dans le royaume, car les femmes n’osent pas toujours parler.

Les services de sécurité marocains sont spécialement formées pour ce qui concerne les affaires liées au «terrorisme» et au «hooliganisme», et donc elles arrivent à préserver des attentats et à relativement contenir les mouvements de foule sans drame excessif, mais sans plus.

La jeunesse marocaine est-elle si violente que cela ?

Les sociétés modernes sont composées en partie de violence puisqu’elles sont des sociétés antagonistes. Il n’y a pas d’intermédiaire entre la classe bourgeoise et la classe prolétaire et des rapports de force et de domination extrêmement forts se sont installés entre les deux. Résultat : des colères sociales peuvent s’exprimer d’une manière non politisée.

Les agressions, le vandalisme, la violence peuvent parfois revêtir un côté politique que nous préférons omettre et qualifier de « tchermil » au lieu de lire le vrai message politique. Les sociétés comme la nôtre sont le plus souvent fondées sur des frustrations à grande échelle. Car une partie de la société n’a pas accès aux ressources tel que la société moderne le promet, que ce soit en Allemagne ou au Maroc. Sauf qu’en Allemagne, les gens ont accès à un peu plus de richesse minimisant les cas de déviances sociales.

Si au Maroc elle est très présente, c’est que nombre de citoyens ont accès aux minimums sociaux. On ne peut pas avoir une société avec des gens qui ne savent pas quoi manger la journée et d’autres qui se permettent le luxe. Dans une société comme celle-ci, il y aura forcément des violences qui vont s’exprimer, c’est inévitable.

Faut-il arrêter les rassemblements ou du moins limiter leur accès en imposant un ticket d’entrée ?

Au contraire. Cette solution est la pire et la plus stupide. Elle peut accentuer la fracture et la séparation sociales. Le civisme, s’apprend par les parents, à travers l’école, dans le quartier, ainsi que dans ce genre d’endroits, en étant en plein milieu d’une foule. Empêcher les plus pauvres de se divertir sous prétexte qu’ils sont plus déviants c’est dire qu’ils ne sont pas égaux et que certains sont des humains alors que d’autres ne le sont pas. La réponse pourrait être donc bien pire que le vandalisme.

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Le problème, c’est que nos services de police ne sont pas suffisamment formés pour ce genre de situations, surtout lorsqu’il s’agit des relations sociales dans l’espace public telles que les agressions sexuelles et sexistes.

Si les femmes au Maroc ne se sentent pas complètement en sécurité dans l’espace public, pourquoi reprocher ces violences à un festival de musique ? Si dans une société, des hommes de tous les milieux sociaux, se permettent de siffler des femmes et des enfants et de les associer à un bout de viande, pourquoi s’attendre à une différente réalité ailleurs ?

Quelles solutions pour limiter ce genre de « dérapages » ?

D’une part, ceux qui réclament plus de violence se trompent, puisque ça ne règlera pas le problème. Au Brésil par exemple, en plus de frapper les citoyens, la police peut même les assassiner. Et pourtant, le plus grand nombre de viols à l’échelle mondiale, est enregistré à chaque édition du carnaval de Rio. A ceci, s’ajoutent les assassinats, les meurtres, les actes de violence, etc.

D’une autre part, l’usage modéré de la violence par les forces de l’ordre lors des événements rassemblant un grand public tels que les matchs de football, a fait ses preuves. Il empêche les débordements des effets de foule à condition de s’imprégner des spécialistes. En tabassant les gens n’importe comment, ces derniers peut s’affoler et courir partout, ce qui provoquerait la mort de plusieurs d’entre eux à cause de la bousculade.

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