Interview. Violence dans les stades: l'éclairage du sociologue Abderrahim Bourkia (1ère partie)

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Abderrahim Bourkia, sociologue spécialiste de la violence dans les stades et auteur de « Des ultras dans la ville », analyse en détail les récents heurts au Grand Stade de Marrakech, le mouvement des ultras au Maroc et les limites de leur interdiction par les autorités. Entretien.
Le Grand Stade de Marrakech a été le théâtre d’affrontements violents entre les forces de l’ordre et les ultras du Raja de Casablanca, qui affrontait le KACM local en Botola, dimanche 25 février. Un événement qui a remis à la une le débat sur la violence dans nos stades. Abderrahim Bourkia, sociologue spécialiste de la violence dans les stades et auteur de « Des ultras dans la ville », analyse en détail les récents heurts au Grand Stade de la Ville ocre, le mouvement des ultras au Maroc et les limites de leur interdiction par les autorités.
H24Info: A Marrakech, les ultras rajaouis ont réagi violemment à une tentative de confiscation de leur bâche par la police. Que pensez-vous de cette réaction?
Abderrahim Bourkia: Le point de départ de ces actes déplorables est la tentative de confiscation de la bâche, dont on sait parfaitement la valeur symbolique quasi sacrée pour les ultras. Nous savons parfaitement l’ambiance électrique qui existe entre les supporters et les forces de l’ordre et, généralement, avec tous les symboles de la répression étatique. Mais nous ne savons pas grand-chose sur les circonstances de l’ordre de confisquer la bâche. Qui l’a donné? Pourquoi? Comment? Et surtout, pourquoi ne pas l’avoir fait avant le début du match?
Les actes se sont déroulés à la mi-temps, ce qui montre qu’un élément a déclenché l’étincelle. Et chaque camp peut nous donner sa version et sa lecture du processus du déclenchement des actes. De même, les réponses à ces actes de violence peuvent être expliquées sous divers angles. Et face à cette violence, il est normal de s’interroger sur les réponses institutionnelles pour freiner cette spirale. Les forces de l’ordre ont toujours été un acteur générateur de la violence au lieu de la contenir, l’amplifiant au lieu de la réduire avec des actions préventives. Mes enquêtes de terrain ont confirmé ce constat. D’où la nécessité d’aller plus vite, au-delà d’un simple dispositif sécuritaire. La prévention socioculturelle est recommandable, voire capitale, pour endiguer cette violence autour des stades qui n’est que le reflet des maux de notre société. Et c’est malheureux de voir ce genre d’incidents ternir l’image du football au Maroc.
Il faut appréhender cela comme la manifestation du dérèglement social. Certains de ces individus ne sont pas à leur premier coup d’essai, et trouvent leurs motivations dans un autre espace-temps. Les facteurs sociaux sont nombreux: situation familiale, échec scolaire, habitat insalubre, absence de perspectives, etc. Tout cela appelle à une démarche qui s’appuie davantage sur l’éducation, la responsabilisation, et surtout l’accompagnement et l’encadrement des supporters.
Il y a deux ans, l’État a décidé d’interdire les activités des ultras. Etait-ce la bonne solution?
Non, car ce n’est pas une solution. La preuve: on a encore des actes de violence gravitant autour des stades. Et là, je réitère ce que j’ai déjà dit sur le récit sécuritaire qui cherche à contenir toute action collective qui échappe à son contrôle. Le terrain de recherche nous dit que tous les jeunes supporters ne sont pas belliqueux.
Les supporters inquiètent par leur nombre, mais tous ne menacent pas l’ordre public. Seuls les plus militants, les «ultras», peuvent user de la violence lorsque les interactions symboliques s’enchaînent, et le processus d’incivilités et d’intimidations réciproques débouche sur des affrontements. Et à Marrakech, nous avons eu une réponse plus au moins irréfléchie des sécuritaires ce qui a provoqué ces tristes actes.
Le combat contre cette violence est-il l’affaire de l’État, des ultras, ou des deux?
Tout d’abord, la violence et son usage sont condamnables. Il faut toutefois se dire que ce qui est observable actuellement est le résultat d’un dysfonctionnement social. La violence attire la violence. Ouvrons une parenthèse sur les conditions de vie et de travail des deux camps. Ce supporter subit déjà une violence sociale, économique et institutionnelle, et le «supporterisme» lui offre un mode d’expression pour la dénoncer. Et il faut surtout savoir que la quasi-totalité des groupes ultras et des supporters ne se reconnaissent pas dans la violence et la condamnent. La question que l’on doit se poser est donc: est-ce que les acteurs impliqués sont des supporters, des « délinquants » ou bien les deux?
Quant à l’élément des forces de l’ordre, il ne se diffère du supporter que par son statut de gardien de la paix. D’ailleurs, les deux peuvent être issus du même milieu. Un sécuritaire subit les pressions de son métier et les ordres de sa hiérarchie. Et ce métier répond à une posture et une image, d’une part celle qu’il se fait de lui-même, et de l’autre celle renvoyée aux autres. Et aussi, il faut voir les conditions de travail des sécuritaires les jours des matchs, l’heure de déploiement, etc.
La violence et la répression ne sont justifiées sous aucun prétexte. D’où la nécessité de trouver d’autres moyens pour contenir les dérives.
Après avoir côtoyé les ultras pendant une longue période pour l’élaboration de votre livre, quel profil pouvez-vous dresser d’eux?
Il n’y a pas de profil type de supporters. Si l’on se réfère à mes travaux de recherche, trois types de supporters «potentiellement violents» empruntent le chemin vers le stade. Tout d’abord, le dysfonctionnement social général peut conduire certains individus à s’adonner à des actes de violence et de dégradation dans les stades et dans la rue où il y a peu ou pas de contrôle policier. Ce type de violence cache des attentes légitimes non satisfaites, souvent sous une forme sporadique et non préméditée sans but explicitement prononcé.
Ensuite, la violence peut être considérée comme un moyen et un instrument en vue d’atteindre certains objectifs. C’est en quelque sorte le cas des affairistes «zerammas» qui profitent des rassemblements sportifs ou culturels pour s’adonner à des vols et des actes de rackets.
Enfin vient la violence attribuée aux supporters militants eux-mêmes, individuellement ou collectivement. Dans ce cas, seuls eux-mêmes peuvent nous donner le sens et l’explication des actes qui sont inhérents à l’univers et aux codes du «supporterisme» et des ultras.
Il faut avant tout s’interroger sur ces différents types de supporters et détecter ceux qui s’adonnent à des actes de violence. Sont-ils supporters, ultras, désœuvrés ou délinquants qui profitent des rassemblements aux abords des stades pour se défouler ?

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