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Harcèlement scolaire: quand nos enfants vont à l’école la boule au ventre
Publié leSi le harcèlement scolaire a toujours existé, le phénomène devient de plus en plus pernicieux avec la multiplication des espaces pour harceler en ligne. Et l’école n’est pas toujours réactive à la détresse des victimes. Le point avec différents spécialistes.
« Quand ma fille était en classe de CE1, elle a été embêtée pendant un certain laps de temps par son amie qui lui imposait de lui faire des déclarations. Elle lui avait aussi fait mal, jusqu’à lui laisser un bleu. Elle ne m’en a pas parlé sur-le-champ. C’est seulement au bout de 15 jours qu’elle s’est confiée », témoigne Zineb, maman d’une petite fille aujourd’hui en classe de 6e dans un établissement français de Casablanca, et qui a connu un épisode de harcèlement scolaire à l’école primaire.
Le harcèlement, scolaire ou non, constitue une violence répétée qui s’inscrit dans la durée, et qui peut être verbale, physique ou psychologique. A l’école, les enfants chahutent et peuvent être amenés à se taquiner. C’est normal. Mais lorsque cela tourne à l’acharnement avec des agressions, humiliations régulières, on parle alors de harcèlement scolaire. Le cas de la fille de Zineb n’est pas isolé. Selon l’enquête PISA de 2018, 44% des élèves marocains étaient victimes du harcèlement au moins une fois par mois (au cours des 12 derniers mois), contre 30% en moyenne dans les pays de l’OCDE.
Cette rentrée scolaire rappelle à quel point il existe des enfants angoissés de retourner à l’école. L’association Sourire de Reda raconte être « beaucoup sollicitée » en ce mois de septembre, « surtout par des parents, des mères qui se sentent désœuvrés et ne comprennent pas pourquoi la rentrée se passe bien pour l’un de leurs enfants et pas pour l’autre », explique Myriam Bahri, directrice de l’association.
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« La reprise de l’école réveille les phobies, les anxiétés liées au cadre de l’école qui n’est pas assez sécurisant notamment quand l’enfant est victime de harcèlement par ses camarades de classe sur place ou à travers les réseaux sociaux. Il va vouloir changer de classe, refuser d’aller à l’école, somatiser, développer de petites maladies car il intériorise », poursuit la directrice de Sourire de Reda, association créée en 2009 pour aider les jeunes en souffrance et prévenir le suicide.
Face à ce problème, l’école ne répond pas toujours présente. « J’ai appris que ma fille avait sollicité un membre de l’école mais qu’il n’avait rien fait. J’ai eu peur qu’elle n’ose plus se confier à un adulte et c’est ce qu’il s’est passé. Très en colère, j’ai alors demandé à voir le corps éducatif dans sa globalité. Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’il n’y a pas de réelle mesure prise par rapport à ce sujet au niveau de l’école », se désole Zineb dont la situation de sa fille a pu être réglée rapidement, après notamment quelques séances de psychologue.
Pourquoi l’école n’arrive-t-elle pas à endiguer ce phénomène?
« Effectivement, les écoles peuvent parfois être un peu sourdes à la souffrance d’un enfant car elles vont être occupées à autre chose ou ne pas prendre la mesure de la gravité de la détresse de l’enfant. C’est important qu’ils entendent le discours de l’enfant, sinon ce dernier se refermera encore plus et croira davantage que parler ne sert à rien. Certains parents aussi sont sourds à la détresse d’un enfant parce qu’ils sont pris dans leur vie quotidienne », réagit Myriam Bahri.
Selon le sociologue Jamal Khalil, l’école « gère au plus urgent: assurer le nombre de places suffisant pour les élèves, l’enseignement, mais le reste, la protection des élèves, leur suivi, particulièrement ceux qui sont en état de faiblesse, est laissé aux mains des parents, quand ils en ont les moyens ».
« Le harcèlement scolaire a toujours existé mais il y a 20, 30 ou 40 ans, on surveillait un peu plus, on réglait les conflits, les structures de l’école jouaient un rôle tampon peut-être beaucoup plus efficace. Un travail n’a pas été fait quelque part, dans la configuration spatiale de l’école, car ça veut dire qu’il y a des espaces où il est possible de harceler », poursuit le spécialiste qui soulève le fait que pendant l’adolescence s’exprime une volonté d’affirmation des uns et des autres, pouvant véhiculer en filigrane une certaine violence.
« Cette violence est-elle canalisée dans d’autres activités telles que le sport, etc.? Si elle ne l’est pas, et qu’à l’intérieur de l’école il n’y a pas de visibilité sur ce qu’il se passe, automatiquement le harcèlement scolaire va se développer et devenir quelque chose de néfaste pour les plus faibles », analyse le sociologue.
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Et de s’interroger: « Pourquoi harcèle-t-on? Il y a quand même un aspect pathologique dans ce phénomène sur lequel on ne s’est pas assez penché. Si des jeunes en harcèlent d’autres, c’est qu’ils ont des raisons, et quelles sont-elles? Il faut leur poser la question et émettre des hypothèses. Si on étudie les raisons et élimine les possibilités de harceler, il y aura moins de harcèlements ».
Pour aborder cette dimension « pathologique », nous avons contacté Hayat Karimallah, psychologue clinicienne, spécialiste en thérapie cognitive et comportementale. « Harceler un enfant représente une jouissance malsaine, explique-t-elle, la lutte contre ce fléau doit commencer dés la petite enfance en installant des outils pédagogiques permettant aux enfants de se familiariser avec des notions telles que le partage, le respect des pairs, et l’acceptation de la différence ».
Elle insiste sur le fait que « le harceleur a tout autant besoin d’aide que le harcelé »: « le harceleur exprime une forme de détresse vécue et exercée sur les autres, particulièrement les profils qu’il estime faibles, car lui-même a besoin de décharger une maltraitance. Il vient donc exercer ‘un pouvoir’ pour se sentir plus fort. On constate que le travail de transformation qui nécessite la reconnaissance de « l’autre que je suis » se trouve entravé par un milieu peu sûr (amour conditionné, manipulation, comparaison, rejet…) et empêche l’accès à certaines valeur morales. »
Alors que faire si l’on pense que son enfant souffre de harcèlement scolaire? « La première chose qu’on conseille absolument à tous les adultes, parents et enseignants, c’est d’amener l’enfant à parler, exprimer ce qu’il ressent, verbaliser, ce qui peut désamorcer un peu la tension. Selon la gravité de la situation, cela peut aller jusqu’à porter plainte. Une fois qu’on l’a amené à parler, il faut voir s’il a des ressources ou s’il faudrait l’emmener chez un psychologue. Le harcèlement peut correspondre avec un moment charnière de la vie de l’enfant, une séparation ou autres, ce qui va le rendre encore plus difficile à vivre pour l’enfant, davantage vulnérable », conseillle Myriam Bahri, directrice de Sourire de Reda.
« Le problème aujourd’hui est aggravé par le cyberharcèlement »
Des études menées par Sourire de Reda ont révélé que 62% des jeunes Marocains ont été, à un moment ou à un autre, victimes d’intimidations ou d’un harcèlement en ligne. 58,5% des jeunes interrogés ont été témoins d’un acte de violence contre quelqu’un et 47,7% d’entre eux ont admis être eux-mêmes à l’origine de tels actes de violence (sondage ouvert commencé en 2012, chiffres actualisés de 2021, correspondant à un panel de 2683 jeunes environ).
« D’année en année, c’est assez exponentiel, surtout en ce qui concerne le cyberharcèlement, commente Myriam Bahri. Avant internet, les enfants avaient une soupape de déconnexion après l’école. Ce qui est très vicieux dans le cyberharcèlement, c’est qu’il s’agit d’un continuum. Même après l’école, l’enfant est exposé au harcèlement via son smartphone ou ordinateur. Il n’a plus de moment de répit ».
« Le cyber harcèlement s’est accentué avec l’augmentation du temps passé sur les écrans, et cela a été décuplé pendant la période covid avec l’enseignement à distance et le manque d’activités extrascolaires, donc l’enfant n’a aucun exutoire. On a vu se cristalliser tous les facteurs aggravants avec presque impossibilité à trouver des relais ou ressources à qui parler », poursuit l’actrice sociale.
Sourire de Reda mène plusieurs types d’actions pour sensibiliser la société au phénomène du harcèlement scolaire, notamment au sein des établissements: protocole complet de plusieurs mois avec l’équipe encadrante, ateliers avec les enfants, conférences pour parents et équipes pédagogiques. « C’est important que tout le monde ait accès à la même information », souligne Myriam Bahri.
L’année dernière, Instagram et Sourire de Reda (SdR) se sont associés pour lancer «Click & Protect», une campagne de sensibilisation nationale qui vise à lutter contre le harcèlement en ligne. Ce partenariat vise à sensibiliser les utilisateurs des médias sociaux quant à l’impact néfaste du harcèlement en ligne, tout en proposant un riche arsenal d’outils anti-harcèlement disponibles sur Instagram: restriction des commentaires, paramètres de confidentialité, etc. Ces outils aident les gens à mieux protéger leurs comptes contre les intimidateurs et contacts indésirables.
Enfin, l’association propose depuis 2010 une helpline, Stop Silence, soit une ligne de soutien émotionnel anonyme, gratuite et confidentielle accessible à tous les jeunes de moins de 21 ans partout au Maroc via le site: www.stopsilence.org et via l’application Stop Silence sur Android et IOS. Elle permet à des jeunes en détresse d’être mis en relation avec des écoutants qualifiés, pour leur venir en aide et soulager leur souffrance.
Stop Silence s’adresse notamment à ceux qui ont des pensées suicidaires, l’association étant spécialisée dans la gestion des attitudes suicidaires. Interrogée sur le nombre de suicides qui seraient corrélés au harcèlement scolaire, Myriam Bahri répond que cette donnée est encore inconnue mais que « ça fait partie des choses que l’on va essayer de traiter à l’avenir car ça devient un motif d’appel récurrent ». « Même si on ne saura jamais réellement car le suicide est souvent multicausal », conclut la directrice de Sourire de Reda.