Gouvernement: les annonces du «week-end», nouvelle forme de communication à la sauce marocaine

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Décidément, les vieilles habitudes ont la peau dure. Une fois de plus, le gouvernement a annoncé deux importantes décisions (reprises des liaisons aériennes et date des examens du bac) un dimanche au soir (le 6 juin), bien après 20h. Cette «communication du week-end», raillée par ailleurs sur les réseaux sociaux, semble s’institutionnaliser pour devenir la règle. Une nouvelle forme de communication à la marocaine qui ne serait pas aussi maladroite qu’on voudrait bien le laisser croire.

« C’est maintenant devenu une habitude. Avant de nous endormir le soir, nous prenons la peine de faire un tour sur les sites d’infos, histoire de voir s’il n’y a pas une communication gouvernementale de dernière minute qui risque de chambouler le business le lendemain », s’amuse le directeur logistique d’une multinationale. Mais la confession n’a de blague que le ton. En réalité, les annonces officielles nocturnes ou de dernière minute, qui sont légion depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, embarrassent professionnels et particuliers.

Tout le monde se rappelle du chaos de juillet dernier, lorsque l’interdiction du déplacement inter-villes la veille de l’Aid Al Adha a été annoncée un dimanche soir, créant un mouvement de panique monstre ou en septembre lorsque des milliers d’élèves, cartables sur le dos, se sont rendus compte que leurs écoles étaient fermées lundi matin suite à un communiqué sorti tard la veille qui annonçait que les établissements scolaires dans certaines villes n’avaient pas le droit d’ouvrir leurs portes.

Plus récemment, l’annonce de la réouverture des salles de cinéma, faite elle aussi la veille pour le lendemain, avait pris de court les professionnels du secteur. Dans une déclaration à H24Info, Pierre-François Bernet, distributeur et exploitant du cinéma Colisée à Rabat a tancé le gouvernement: «On avait beau prévenir les autorités qu’un cinéma ne s’ouvre pas du jour au lendemain, mais au bout de 2 à 3 semaines, nous apprenons le soir à 22h que nous pouvons rouvrir pour le lendemain matin !».

 

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Certes, cette communication erratique, qui semble se faire dans la précipitation, plonge tout le monde dans le flou, surtout les acteurs économiques qui naviguent à vue en l’absence de visibilité pour se projeter, mais c’est surtout sa récurrence depuis un peu plus d’un an maintenant que dure cette crise sanitaire qui interroge. Le gouvernement a-t-il une stratégie de communication ? Est-il seulement celui qui prend ces décisions ou attend-t-il des consignes dont il ignore le contenu avant de les recevoir ?

« Il faut faire la différence entre ce qui se passe actuellement et la période précédente où les contaminations avaient atteint un pic », nuance Khadija Idrissi Janati, experte en relations publiques et en communication d’influence contactée par H24Info. « J’étais la première à dénoncer le flou de communication qui avait commencé à régner dès le premier déconfinement. Le tâtonnement avait pris le dessus, ce qui pouvait s’expliquer par une perte de contrôle sur la situation. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, le gouvernement ne tâtonne pas et sait où il va », assure l’experte.

Elle en veut pour preuve les mesures d’allégement prises qui sont toutes cohérentes et semblent se diriger vers une solution d’ouverture à plusieurs niveaux (couvre-feu, déplacement inter-villes, opération Marhaba 2021…).

 

« Les autorités ne sont pas transparentes, mais elles sont intelligentes ! »

 

Cet avis est également partagé par Nourredine Ayouch, publicitaire et spécialiste de la communication pour qui les autorités réagissent de manière « intelligente ». «L’imprévisibilité du comportement du virus et l’évolution de l’épidémie changent la donne en matière de communication, il ne s’agit pas de s’inscrire dans une stratégie fixe, mais d’être agile afin de ne pas subir de revers. Rappelez-vous la dureté avec laquelle le Président français a été critiqué en croyant bien faire en multipliant les sorties. Alors oui, certes, les autorités marocaines ne sont pas entièrement transparentes, elles louvoient un peu, mais je pense que c’est intelligent de leur part. »

Mais ce manque de transparence assumé ne risque-t-il pas d’avoir l’effet contraire en créant plus de frustration chez un citoyen relégué au dernier plan ? «Justement, c’est le contexte positif au niveau sanitaire que nous vivons aujourd’hui qui permet le luxe de ne pas communiquer de manière claire sans que cela ne crée de problème. Et puis, il ne faut pas oublier que les autorités ferment les yeux également», explique Khadija Idrissi Janati en faisant référence aux nombreux déplacements tolérés après Ramadan qui a permis aux restaurateurs et à certains hôteliers de respirer.

 

Communication à la sauce marocaine

 

«En com’ de crise, il ne s’agit pas toujours d’être réactif et de dire les choses clairement, il faut aussi savoir faire le dos rond, car ne pas communiquer est une communication en soit», ajoute de son côté Noureddine Ayouch. Et en terme de « dos rond », le gouvernement marocain est passé maître en la matière. «Au fait, nous avons fini par inventer une nouvelle forme de communication à la marocaine», résume le publicitaire.

Dans cette communication à la sauce locale, les communiquées nocturnes se suivent et se ressemblent sans que cela ne dérange outre mesure. Même les voix contestataires qui pouvaient s’élever trouvent finalement leur compte dans un flou où rien n’est permis, mais tout peut être toléré. Les opérateurs économiques les plus touchés essaient bien de se faire entendre, mais finissent par se faire happer dans un circuit de réunions et négociations, à l’instar des professionnels du tourisme qui avaient prévu une conférence de presse pour présenter leurs doléances avant que celle-ci ne soit reportée sine die après une intervention des groupes parlementaires.

Au final, cette aptitude à naviguer en zone grise, qui a fini par s’institutionnaliser, permet de faire gagner du temps dans un contexte de crise sanitaire marqué par l’approche des échéances électorales et de l’application d’un nouveau modèle de développement. Ce dernier critique justement l’absence d’une communication proactive à l’adresse des populations bénéficiaires des politiques publiques quel qu’elles soient et de l’opinion publique en général.

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