France: des gardes à vue «arbitraires» de manifestants vivement critiquées

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Un manifestant utilise du sérum physiologique pour atténuer les effets des gaz lacrymogènes alors qu'il fait face à la police anti-émeute lors d'une manifestation à Lyon, dans l'est de la France, le 20 mars 2023 © JEFF PACHOUD / AFP

Des manifestants retenus plusieurs heures au commissariat, puis relâchés sans aucune poursuite: avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats, magistrats et politiques dénoncent des gardes à vue « arbitraires », y voyant, comme lors d’autres mobilisations ces dernières années, une « répression du mouvement social ».

Trois pour cent: sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané jeudi, place de la Concorde, émaillé d’incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi. 283 procédures ont ainsi été classées sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d’infraction.

Le lendemain, 60 personnes ont été placées en garde à vue: 34 procédures ont été classées, 21 ont mené à des mesures alternatives (rappel à la loi, avertissement probatoire…) et cinq à un procès.

« C’était vraiment toutes sortes de profils: étudiants à l’ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d’un colloque et qui ont été nassés », décrit pour l’AFP Me Coline Bouillon, l’une des avocates ayant assisté des manifestants.

Les personnes ont été placées en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences », ou « dissimulation du visage » et sont restées 24h ou 48h en garde à vue, a précisé l’avocate, qui parle de « gardes à vue sanctions », avec des « dossiers irréguliers », « vides en termes de preuve de culpabilité ».

Un groupe d’avocats dont elle est membre entend déposer une plainte collective pour « détention arbitraire » et « entrave à la liberté de manifester ».

Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a lui aussi dénoncé lundi ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une « répression du mouvement social ».

« Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d’exercer cette liberté », estime également Me Raphaël Kempf, qui souligne l’absence de « réparation » ou « d’excuse ».

Plusieurs politiques de gauche, comme les députés LFI Ugo Bernalicis et Mathilde Panot ou l’adjoint à la maire de Paris David Belliard ont critiqué des « arrestations arbitraires » de manifestants.

« Judiciarisation du maintien de l’ordre »

Cette pratique avait déjà été critiquée pendant le mouvement des « gilets jaunes ». « Le nombre jamais vu d’interpellations et de gardes à vue intervenues de manière préventive », avait été relevé par le Défenseur des droits dans son rapport 2018, citant le 8 décembre où près de 2.000 personnes avaient été interpellées dans toute la France.

Amnesty International France a en outre publié un rapport sur les « arrestations arbitraires » lors d’un rassemblement le 12 décembre 2020 à Paris contre la loi « sécurité globale » – 142 personnes et près de 80% relâchées sans poursuite.

Depuis une « quinzaine d’années », il y a une « judiciarisation du maintien de l’ordre », relève Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de ces questions.

Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010 qui crée le délit de « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » – initialement votée pour « lutter contre les violences de bandes et dans les stades » mais utilisée depuis en manifestation.

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Entre le « schéma répressif » et « préventif », où les arrestations ont lieu en amont des manifestations ou avant que d’importantes violences ou dégradations soient commises, « le curseur est de plus en plus du côté préventif », souligne-t-il.

« Il n’y a pas d’interpellations injustifiées, je ne peux pas laisser dire ça », a déclaré le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, sur BFMTV.

« On interpelle pour des infractions qui, à nos yeux, sont constituées », mais « 48 heures (de garde à vue) pour essayer de matérialiser l’infraction, c’est court », a-t-il ajouté.

Des consignes ont-elles été passées pour interpeller massivement ? « Non », affirme un haut gradé de la police, qui ajoute que « lorsque les profils à risques sont interpellés, ils ne sont plus en train d’agiter les autres ».

Mais avec ces nombreuses arrestations, la « manœuvre est risquée », ajoute un autre policier spécialiste de ces questions. Selon lui, elles « exposent les effectifs, monopolisent des agents » et « risquent de radicaliser les manifestants ».

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