Centres commerciaux: touchées par la crise, les enseignes réclament une baisse des loyers
Publié leAvec plusieurs mois de loyers impayés, et un chiffre d’affaires considérablement réduit, les détenteurs de franchises sont asphyxiés et espèrent des bailleurs une aide financière conséquente.
« On absorbe toute la crise et les bailleurs ne veulent rien savoir. Certains essayent de trouver une solution mais les trois quarts ne répondent même pas à nos courriers », explique avec lassitude Hakim*, gérant et propriétaire d’une enseigne de service, présente dans trois centres commerciaux à Rabat et à Marrakech. Dans cette dernière ville, Hakim accuse une baisse de chiffre d’affaires de 60 à 80%, les recettes dépendant majoritairement des touristes.
Fortement affectés par la crise du covid-19, une quarantaine de « retailers » (commerçants de détail), soit 600 magasins installés dans les mall, ont formé une association pour défendre leurs intérêts: le Groupement des retailers du Maroc. Après avoir obtenu l’annulation des loyers pendant la période du premier confinement (mars à juin derniers), tel que prévu par la loi en cas de force majeure, les détenteurs de franchises bataillent depuis plusieurs mois pour « une adaptation du loyer au niveau de l’activité réelle à la reprise ».
« Une baisse d’activité moyenne de 30 à 40% »
« Tous les commerçants se sont réunis pour déterminer les baisses de ventes de l’année 2019/2020. En moyenne, l’activité a baissé de 30 à 40% en fonction des villes, des centres commerciaux et des secteurs. Ils demandent alors aux bailleurs une baisse du prix des loyers correspondante à celle de leur activité », s’exprime un représentant de l’association qui rappelle que « le montant du loyer est lié au chiffre d’affaires ». « Si ce dernier baisse, le loyer doit s’aligner, car son prix est convenu à la base en fonction du taux d’activité. Si l’activité baisse, et que le loyer reste au même montant, on tombe en déficit », ajoute-t-il.
« Quand vous signez le prix d’un loyer, c’est en connaissance de la fréquentation des touristes, des sociétés internationales implantées autour, etc. Avant la crise, mon panier moyen avoisinait les 200/250 DH selon les magasins; aujourd’hui, il a baissé à 160/180 DH. Je cumule cinq à six mois de retard de paiements, sachant que les loyers peuvent s’élever jusqu’à 50.000 DH en fonction des magasins et de leur emplacement », abonde Hakim qui mentionne que le montant des loyers au Maroc est déjà 30% plus cher que dans certaines grandes villes européennes. « Même pendant le confinement alors que les magasins étaient fermés, ils nous ont fait payer les taxes et les charges qui s’élèvent aux alentours de 20% du loyer ».
Couplés à la baisse du pouvoir d’achat, la distanciation sociale et les horaires de vente réduits ont amoindri le flux de clients et espacé les rendez-vous chez les commerçants ou prestataires de service. « Nous n’avons plus les mêmes ressources, c’est une crise qui nous handicape. On ne peut pas payer et les salaires de nos employés, et le loyer », alerte une collaboratrice de Hakim. A ce propos, la plupart des commerçants sondés confient avoir réussi à garder la totalité de leur effectif, dans un souci de solidarité.
« Nous nous sommes arrangés pour ne licencier personne, mais cela a baissé la cadence du développement », témoigne à son tour Farid*, responsable du développement et des ventes de la zone Afrique d’une marque de prêt-à-porter étrangère. Implantée dans six mall répartis entre Rabat, Tanger, Marrakech et Kénitra, la marque a vu la fréquentation de ses visiteurs baisser de 20 à 30%. « Il n’y a pas beaucoup d’achats impulsifs, les clients sont craintifs en l’avenir et ne dépensent pas beaucoup. Notre panier moyen est passé de 180 à 125 DH. Les gens achètent moins et moins fréquemment. Au lieu de trois ou quatre articles par achat, ils en prennent deux ou trois ».
Même constat auprès de Adam*, détenteur de 28 points de vente d’une franchise de prêt-à-porter dont 21 installés dans des centres commerciaux. « Mon panier moyen est passé de 800 DH avant la crise à 500 DH. J’ai été contraint de fermer deux points de vente. Depuis juin, on paye le tarif normal alors que nous faisons une baisse de 50% du chiffre d’affaires. Beaucoup d’enseignes n’ont pas pu payer les trois derniers mois et on est menacés d’aller en justice. Les gros bailleurs ne nous considèrent pas. Ils ont fait quelques concessions pendant le confinement, mais aucune baisse de loyer par la suite », témoigne le professionnel, accablé.
« Des petits gestes »
Jusqu’aujourd’hui, les commerçants se plaignent du « mutisme » des directions des mall face à leurs doléances. Certains ont toutefois accordé « des petits gestes », au cas par cas. « Il y a quand même des choses qui ont été faites; la plupart des bailleurs ont accepté qu’on ne paye pas pendant la fermeture. Post-confinement, on essaye de négocier avec chacun d’entre eux une réduction des loyers », reprend le représentant du Groupement des retailers du Maroc.
Pour sa part, Farid a obtenu une baisse de loyer de 25% au niveau de trois mall. « Ils pourraient au moins réduire les charges au regard de la baisse des rentrées d’argent. Nous, nous avons le soutien du groupe international, donc on arrive à gérer sinon ce serait très difficile. Depuis juillet dernier, on survit, sans aucune aide de l’Etat hormis celle de la CNSS accordée aux salariés pendant les trois mois de confinement l’année dernière (une indemnité forfaitaire mensuelle nette de 2.000 DH a été accordée aux employés déclarés à la CNSS pendant la période allant du 15 mars au 30 juin 2020, ndlr) ».
« Un centre commercial marrakchi m’a accordé personnellement une réduction de 40% parce que j’ai toujours été ponctuel dans mes paiements. Un autre a baissé de 25% les loyers à toutes les enseignes mais ce n’est pas suffisant dans une ville comme Marrakech où les commerçants dépendent de 60 à 80% du tourisme. D’autres mall ne veulent rien entendre et nous menacent d’aller en justice si nous ne payons pas », abonde Hakim.
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Parmi les différentes directions de centres commerciaux contactées par H24Info, le groupe Aksal, propriétaire à Casablanca du Morocco mall hébergeant plus de 350 enseignes, confirme avoir « alloué une franchise de loyer pendant toute la période du confinement durant laquelle les tenants n’ont pas payé de loyer ». « C’est un sacrifice important que nous avons consenti afin d’aider les tenants, un geste commercial qui n’était pas une obligation mais que nous avons estimé nécessaire par solidarité. Le Morocco Mall a également reporté l’augmentation triennal sur les loyers qui a coïncidé avec 2019 jusqu’à 2022 », poursuit la communication du mall.
« Aussi, durant la période de confinement, le mall a accompagné et assisté plusieurs enseignes qui ont pratiqué le e-commerce gratuitement à partir de leurs boutiques en bénéficiant de l’ensemble des structures mises en place. Le mall n’a réclamé ni loyer ni dédommagement à ces enseignes pour ce service. Post-covid, un échéancier en collaboration avec chaque tenant et sur mesure, dépendant de sa situation, a été mis en place pour le recouvrement et régularisation des situations », ajoute notre contact chez Aksal.
« Un échéancier ne résoudra rien, car nous avons un problème de rentabilité, et non de trésorerie. Ce n’est pas parce qu’on va nous donner plus de temps pour payer que cela va régler le problème du manque d’argent », réagit le représentant associatif. « Nous avons besoin de remises conjoncturelles, d’une baisse de loyer correspondante à la baisse d’activité, comme ce qui a été fait dans le monde entier », réitère-t-il.
L’association envisage de mener diverses actions pour faire entendre la détresse de ses membres auprès des bailleurs en espérant une solution rapide.