Affaire des caricatures. Abou Hafs: « Les musulmans vivent une crise profonde »
Publié leDe la bande de Gaza au Pakistan, des milliers de musulmans sont sortis manifester pour condamner les propos d’Emmanuel Macron sur la liberté de caricaturer et de blasphémer. Un appel au boycott contre les produits français a été lancé et, plus récemment, un jeune musulman a assassiné trois fidèles dans une église de Nice. Pour comprendre cet engrenage, l’islamologue Mohamed Abdelouahab Rafiki, alias Abou Hafs, nous éclaire sur les causes de la « réaction émotive » de milliers de musulmans à travers le monde, parfois guidés par certains chefs d’Etat qui détiennent un agenda éminemment politique.
H24info: Comment expliquez-vous la colère du monde musulman après les propos de Macron sur la liberté de caricaturer et de blasphémer?
Abou Hafs: Je constate que la plupart des réactions des peuples musulmans sont des réactions émotionnelles plus que rationnelles. C’est un constat qui se répète à chaque événement lié à l’islam et pas seulement aux caricatures du prophète ou aux dessins de Charlie Hebdo. Je crois qu’il y a plusieurs manières de montrer son désaccord avec la publication des caricatures sans verser dans l’hystérie. On en a d’ailleurs vu le résultat, avec l’attentat à Nice. C’est le résultat de toute cette atmosphère qui n’est pas seine, ni raisonnable.
Cette colère est-elle selon vous spontanée ou bien attisée par des mouvements politiques?
Ces réactions sont dirigées par certains pays, certains régimes politiques, par des mouvements d’islam politique, qui ont des comptes à régler avec la France et avec Macron. Alors, je ne trouve pas que ces réactions soient innocentes. Oui, je sais bien que la plupart des musulmans réagissent spontanément, par émotion et qu’ils n’ont aucun agenda, mais je suis sûr qu’ils sont poussés par des régimes politiques, par des mouvements, et ce qui me dérange le plus, c’est qu’on joue avec les émotions des musulmans pour les diriger vers des buts politiques.
Certains hommes politiques ont sauté sur l’occasion pour appeler au boycott de produits français alors qu’ils n’ont pas appelé à boycotter des produits chinois après la répression des Ouighours. Comment expliquez-vous ce deux poids deux mesures?
Oui, vous avez tout à fait raison. La plupart des musulmans croient qu’un chef d’Etat, sans citer son nom, défend leur prophète. Mais la réalité, c’est qu’il réalise ses propres projets, ses propres agendas. Si on veut boycotter ce qui est français, on doit également boycotter les Américains à cause de leur soutien indéfectible à Israël, on doit boycotter la Chine à cause des Ouighours etc… Il y a pas mal d’hypocrisie dans tout cela.
Pourquoi beaucoup de musulmans ont du mal à accepter que l’on caricature le prophète? Pourquoi ne prennent-ils pas plus de la hauteur pour réagir plus calmement?
Tout d’abord, je trouve inacceptable certains agissement du gouvernement français. Je veux bien qu’un journal indépendant dans un pays libre publie des caricatures, cela ne me gêne pas. Mais qu’on affiche ces caricatures géantes sur des vitrines de bâtiments gouvernementaux, ce n’est pas la meilleur façon de gérer cette crise, surtout par rapport aux musulmans français qui sont 4 ou 5 millions.
Mais je trouve la réaction de certains musulmans suscitée par les caricatures tout aussi inacceptable et qui va à l’encontre des enseignements du prophète. Durant sa vie, le prophète a eu beaucoup d’ennemis et les a souvent négligés, ignorés. Il a souvent appelé à faire preuve de patience et de mansuétude. La meilleur manière de réagir devant cette situation est de prendre exemple sur le prophète et d’ignorer ces attaques. Au contraire, en réagissant d’une manière agressive, on fait de la publicité à ces caricatures. Cela a un effet contre productif.
Ces réactions ne sont-elles pas symptomatiques d’une crise de l’islam?
Oui, je dirai plutôt une crise des musulmans. On a vu que des musulmans sont allés jusqu’à tuer des innocents. On voit ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux, beaucoup de violence, d’agressivité. C’est grave. À mon avis les musulmans vivent une crise profonde. Les musulmans doivent faire des efforts et chercher à gérer ce genre de situations en cherchant des solutions plus raisonnables, plus rationnelles.
Ces réactions parfois violentes de mécontentement ne risquent-elle pas finalement de desservir l’image de l’islam?
Oui c’est sûr. Ces réactions desservent évidemment l’image de l’islam. Parce qu’on vit dans un monde globalisé. Il n’y a pas d’un côté les musulmans et la France, ou les musulmans et les occidentaux. Le monde est bien plus diversifié. Plusieurs nations, plusieurs peuples regardent ce qu’il se passe. Ils remarquent que la réaction des musulmans est très agressive, qu’ils ont tué des gens innocents… On doit se remettre en question et changer beaucoup de choses: notre discours, plusieurs de nos idées si on veut donner une bonne image de l’islam.