Faux tableaux: quand les galeries d’art et les propriétaires se font berner

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Une enquêté édifiante publiée par Jeune Afrique, dévoile les dessous du marché de l’art au Maroc, parasité par les voleurs, receleurs et faussaires de tableaux de grands noms. Parmi eux, O.M, détenu à la prison de Oukacha à Casablanca depuis octobre dernier et accusé -entre autres- du vol de six tableaux de Jilali Gharbaoui valant plusieurs millions de dirhams. 

Révélés par Jeune Afrique dans sa livraison du 17 février, les faits concernent un « magnat de l’immobilier » resté anonyme qui a employé l’escroc pendant 25 ans comme son homme à tout faire. Après avoir été condamné à 8 mois de prison pour vol et abus de confiance, O.M, 57 ans, est à nouveau accusé par son ancien patron de lui avoir volé plusieurs œuvres d’art, parmi lesquelles les tableaux de Gharbaoui précités.

« Depuis quelques semaines, je découvre avec stupeur que des œuvres de ma collection ont été remplacées par de vulgaires photocopies couleur », confie le propriétaire milliardaire à nos confrères. C’est en souhaitant offrir l’une de ces toiles, bien conservées dans sa réserve, au fils d’un ami, que le collectionneur réalise que ce ne sont que des répliques, intrigué par l’aspect excessivement lisse du papier.

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Petits arrangements entre escrocs

 

Devant les membres de la brigade judiciaire retournés l’interroger le 6 février, le détenu reconnaît avoir volé plusieurs œuvres au septuagénaire et les avoir remises à un certain M.B qui avait à sa charge de les revendre. Cet employé de Anfa Cadre, est arrêté devant son lieu de travail le 16 octobre et confirme l’accusation, son principal client étant un voisin, Y.J, marchand d’art informel réputé dans le milieu artistique.

Cet ancien banquier de 35 ans affirme travailler dans les assurances et se présente
également depuis plusieurs années comme un collectionneur et spécialiste de l’art marocain, rapporte Jeune Afrique. En 2012, il se prétend fondateur d’un fonds d’investissement nommé Art’Pège, en collaboration avec des maisons de vente et des galeries d’art. Mais le projet n’a jamais vu le jour, avance celui qui, à la suite de cette affaire, élude même son statut d’expert.

L’enquête met en avant une tout autre version. Y.J négociait effectivement des transactions avec des maisons de vente étrangères, à l’instar de Piasa, célèbre maison parisienne, qui, en avril 2018 citait « l’excellente connaissance de la scène artistique » marocaine de l’accusé.

Impossible de cacher son statut, tant il est réputé dans son entourage. « Des tableaux de sa collection sont souvent déposés dans des ventes aux enchères », témoigne le responsable d’une salle de vente. Même dans son quartier (Racine à Casablanca), un voisin raconte qu’« Il organisait des soirées fastes où les grandes fortunes du royaume défilaient pour admirer des œuvres d’art et parfois marchander leurs prix entre deux coupes de champagne ».

 

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« La police a embarqué mon employé M et Y.J dans une voiture chargée d’œuvres retrouvées au domicile de ce dernier », déclare à Jeune Afrique le propriétaire d’Anfa Cadre, étonné des magouilles révélées entre son employé et son voisin collectionneur.

 

Marché de dupes

 

Toutefois, le marchand informel nie avoir acheté des œuvres volées en connaissance de cause. « Certaines ont même été présentées dans des ventes aux enchères. Vous pensez que j’aurais fait cela si je le savais? », plaide-t-il pour convaincre de sa bonne foi. Or, il y a bien des raisons de s’interroger sur la provenance des œuvres lorsqu’on sait que son intermédiaire M.B ne touchait qu’un salaire de 5000 dirhams et lui a vendu de nombreuses toiles de maîtres sur une période de plus de cinq ans à des prix dérisoires.

En ce sens, Jraifi affirme avoir payé ces œuvres au prix du marché et réaliser des bénéfices de 3000 à 4000 dirhams sur leur revente. Ce qui paraît totalement ridicule pour les professionnels qui le côtoient. Dans cette affaire, le gérant immobilier a finalement pu récupérer 23 pièces, dont 16 remises par Jraifi pour éviter plus de poursuites. Mais l’enquête n’a pas encore livré tous ses secrets sur un monde communément appelé la « mafia casablancaise de l’art ».

La promotion de faux semble être monnaie courante, même au sein d’édition sérieuse. C’est le cas d’un ouvrage consacré à Gharbaoui et édité par le musée de Bank Al-Maghrib. « C’est un faux Gharbaoui ! » s’exclame Fouad Bellamine, lorsqu’il analyse la couverture de cet ouvrage sur laquelle est représentée une œuvre du peintre marocain. L’artiste-peintre et spécialiste de l’œuvre de Gharbaoui explique que « la gestuelle et la technique de peintres comme Gharbaoui, Saladi ou Kacimi sont inimitables ».

La prolifération du marché informel est propice aux arnaques. Le marché de l’art manque de structure, et d’une institution efficiente qui régulerait et protégerait les transactions. « La structure du marché permet au faux de prospérer », constate Mehdi Khalifa, directeur associé à la galerie Venise Cadre. « Les transactions en galeries estimées l’année dernière à quelque 80 millions de dirhams représentent à peine 25 % du volume global du marché, sur lequel des intermédiaires, qui se présentent comme des collectionneurs, font la loi », regrette-t-il.

 

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