Espagne: à l’heure de vérité, Puigdemont a choisi le pragmatisme

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Puigdemont a finalement accepté de contribuer à la victoire du Parti socialiste au Parlement espagnol, une décision pragmatique qui en a surpris ou irrité plus d'un en Catalogne. 
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Après avoir prôné la confrontation frontale avec Madrid, le leader indépendantiste catalan Carles Puigdemont a finalement accepté de contribuer à la victoire du Parti socialiste au Parlement espagnol, une décision pragmatique qui en a surpris ou irrité plus d’un en Catalogne. 

Les sept députés de son parti Junts per Catalunya (JxCat, Ensemble pour la Catalogne) ont ainsi apporté jeudi leurs voix pour permettre l’élection dès le premier tour de la socialiste Francina Armengol comme nouvelle présidente du Congrès des députés lors de la séance inaugurale du Parlement élu le 23 juillet.

Loin d’obtenir, en échange de son appui, une amnistie générale pour tous les condamnés de la tentative de sécession avortée de la Catalogne en 2017 et un référendum d’autodétermination, Puigdemont s’est contenté de gains bien moins ambitieux.

Il a averti sur le réseau X – anciennement Twitter – que l’accord conclu avec les socialistes « ne peut, en aucune manière, être lié à l’investiture » à venir du prochain Premier ministre, pour laquelle le chef de gouvernement sortant, le socialiste Pedro Sánchez, aura de nouveau besoin des voix de JxCat.

Il a aussi admis que l’accord « paraîtra peu » de choses à certains de ses partisans.

De fait, la volte-face de Puigdemont n’est pas passée inaperçue en Catalogne, notamment au sein de l’autre grand parti indépendantiste catalan, ERC (Gauche républicaine de Catalogne), qui dirige le gouvernement régional.

ERC, qui a régulièrement apporté ses voix au gouvernement de gauche de Sánchez durant la précédente législature et est un adepte du compromis, a souvent été accusé de mollesse par l’aile dure du courant indépendantiste que Junts représente.

« Amis de JxCat, bienvenus (dans le monde de) la politique (…) traîtresse », a plaisanté sur X Joan Tardà, député d’ERC au Parlement national entre 2004 et 2019.

« Il faudra bien m’expliquer pourquoi, quand ERC négociait avec le gouvernement espagnol, c’était +lui dérouler le tapis rouge+ », alors que « maintenant que c’est JxCat qui le fait, c’est bien », a commenté sur X un autre responsable d’ERC, Joan Margall.

Les députés d’ERC, au nombre de sept, comme ceux de Junts, ont également voté en faveur de Mme Armengol.

La décision de Puigdemont, exilé en Belgique depuis l’échec de la tentative de sécession de 2017 et qui fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt de la justice espagnole, a été prise en échange de quatre concessions du Parti socialiste.

Deux portent sur la langue catalane. La première a trait à la reconnaissance du catalan comme « langue officielle de l’Union européenne ».

Dans un communiqué, JxCat précise que « le gouvernement espagnol a déjà effectué la demande auprès de la Commission européenne pour que le catalan, le basque et le galicien » soient promus au rang de langues officielles de l’UE. On ignore combien de temps cela prendra et même si cela se fera.

La deuxième concession, elle, a déjà vu le jour, puisque la première décision de Mme Armengol a été d’annoncer que les trois langues auraient désormais droit de cité au Congrès, au même titre que le castillan (l’espagnol).

Lire aussi. Espagne: une rentrée politique sous le signe de l’incertitude

Les deux autres concessions portent sur des questions judiciaires hautement symboliques pour le mouvement indépendantiste, surtout son aile dure.

Il y a d’abord la création d’une commission d’enquête sur un double attentat jihadiste qui fit 16 morts en Catalogne en 2017. Par une étrange coïncidence, ce jeudi marque le 6e anniversaire du premier attentat, une attaque à la camionnette-bélier qui fit 14 morts.

« Il est nécessaire d’éclaircir les liens entre le CNI (NDLR: les services espagnols de renseignement) et l’imam (Abdelbaki) Es Satty », l’imam marocain qui avait endoctriné les neuf jeunes Marocains membres de la cellule jihadiste, affirme Junts dans son communiqué, mettant en avant « le droit à la vérité ».

Une enquête et un procès ont eu lieu et les trois jihadistes survivants ont été condamnés à des peines de prison. Mais le fait que ces deux attentats soient survenus juste avant la tentative de sécession a incité certains à croire, encore aujourd’hui, qu’il s’est agi d’une tentative de l’Etat espagnol de freiner la marche vers le référendum du 1er octobre 2017.

JxCat a enfin obtenu « la réactivation » d’une commission d’enquête sur ce qu’il qualifie de « cloaques de l’Etat », notamment l’espionnage par le CNI d’au moins 18 indépendantistes catalans entre 2017 et 2020 au moyen du logiciel israélien Pegasus, sur lequel le gouvernement de Pedro Sánchez n’a jamais fait la lumière.

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