Filière laitière: comment en est-on arrivé là?

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Depuis plus de deux mois, une campagne de boycott a pris pour cible trois principaux acteurs dans trois secteurs différents, dont les filières laitières. La campagne, qui est à son troisième mois, a porté préjudice à un secteur déjà très mal en point. Cette situation engendre des dommages collatéraux et un principal bénéficiaire: Copag, la compagnie productrice de Jaouda.
Une hécatombe a mis à genoux les filières laitières au Maroc, pendant que les professionnels du secteur, ainsi que les observateurs et le ministère de tutelle, redoutent le pire. Deux mois de boycott déjà, et la campagne qui vise Central Danone, le principal acteur au niveau national, n’est pas près de s’arrêter. Une stratégie qui, selon les boycotteurs va imposer une revue à la baisse des prix du lait pour éviter la faillite; les concurrents seraient alors contraints de suivre.
Depuis le 21 mars, des militants marocains ont lancé des campagnes électroniques pour boycotter le lait, l’essence et l’eau, pour protester contre la hausse des prix. Cette campagne, qui s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, a ciblé, entre autres, la plus grande société de production laitière au Maroc, Centrale Danone, le groupe qui aurait un plein monopole sur le marché national de production de lait. Cette campagne a été promue par Hashtag « Khellih Yrib » (qu’il pourrisse).
Des internautes MRE font le benchmark
En renfort aux boycotteurs locaux, la communauté des MRE a rejoint la campagne de boycott. En effet, de nombreux internautes ont publié des vidéos sur les réseaux sociaux où ils montrent la différence entre les prix du lait au Maroc et à l’étranger, notamment en Europe et aux Etats Unis.

Réaction timide du ministère de tutelle
Dans sa première sortie en réaction à la campagne de boycott, Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, avait déclaré à la presse que le boycott nuira à beaucoup de citoyens qui sont directement impliqués le secteur du lait. «Plus de 200.000 producteurs de lait et 450.000 personnes sont impliqués dans la production et la distribution de lait. Le secteur est la principale source de subsistance pour 1,4 million de personnes», a-t-il expliqué.
«Ce que les Marocains oublient, c’est qu’il y a 15 ans, nous ne trouvions pas de lait et on devait faire la queue pour s’en procurer. Mais aujourd’hui le lait est abondant et il est de meilleure qualité», a déclaré Aziz Akhannouch, le mardi 12 juin, en réponse aux questions des élus à la Chambre des Conseillers.
Le ministre a souligné que le gouvernement travaille pour soutenir les petits agriculteurs afin de les aider à surmonter les répercussions de la campagne de boycott. Le responsable gouvernemental estime qu’il y a une «problématique» par rapport à ce qu’il considère comme des effets de la campagne de boycott mais le gouvernement se doit d’accompagner les petits agriculteurs. Et d’ajouter: «Nous allons faire tout notre possible pour dépasser cette situation».
Central Danone, le principal concerné
En 2014, le secteur du lait au Maroc est dominé par Centrale Laitière, filiale de Danone avec environ 50% du marché suivi de la coopérative Copag (Jaouda), avec 23%, SafiLait (Jibal) avec 7% et une demi-douzaine de petits acteurs dont Best Milk, Domaine Douiet, Colainord, Colaimo.
Créée en 1939 (avant l’indépendance du Maroc) par la compagnie continentale du Maroc sous le protectorat français, elle est devenue, en 1953, la première franchise du groupe Danone dans le monde. Après l’indépendance, elle rentre dans le giron de l’Etat. Mais ce n’est qu’en 1981 que l’Etat la cède à la holding Groupe ONA. En 1998, Danone en partenariat avec la holding signe son grand retour et met à contribution son expertise pour commercialiser ses yaourts.
En 2012, Centrale laitière retombe dans les mains de Danone: la multinationale française rachète 37,8% de Centrale laitière à la SNI, holding majoritairement détenue par la famille royale du Maroc. Le groupe français détient ainsi les deux tiers du capital de la Centrale laitière.
Le 3 novembre 2014, le groupe Danone monte à 90,9 % de participation dans la Centrale laitière après l’acquisition de près de 22 % de capital supplémentaire pour 278 millions d’euros, auprès de la SNI.
Le 24 octobre 2015, la société change de nom et devient Centrale Danone. A partir du 20 avril 2018, la compagnie est victime d’une compagne de boycott lancée sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, Centrale Danone se retrouve dans une situation délicate. Les trois mois de boycott l’ont mise devant l’obligation de prendre des décisions aux conséquences fâcheuses: réduction de la production de lait, arrêt d’approvisionnement auprès de nombreuses coopératives et le licenciement de 886 des 6.200 employés travaillant sur les différents sites du groupe.
Didier Lamblin, président directeur général de Central Danone, dans une déclaration à radio 2M, dans l’émission Faites entrer l’invité, a recnnu que les ventes de Centrale Danone ont été très affectées, ainsi que les parts de marché.

Les coopératives montent au créneau
Touchés de plein fouet par l’impact du boycott, des producteurs et patrons de coopératives de lait ont appelé à une intervention de l’Etat pour créer une unité de production et se passer de Centrale Danone, en vue de mettre fin à une crise qui n’a que trop duré.
Les producteurs de lait sollicitent l’aide de l’Etat à travers l’octroi d’autorisations de créer des unités de production de lait dans toutes les régions du royaume, rapporte le quotidien Al Massae dans sa livraison du jeudi 14 juin.
Selon ces mêmes producteurs, des milliers de coopératives sont menacées de faillite avec pour conséquence une perte d’emplois massive.
« Les opérations de collecte de lait a été réduite de 50%, tandis que le coût de production d’un litre de lait a encore augmenté, réduisant la marge de bénéfice à néant », poursuivent les producteurs de lait.
Par ailleurs, les patrons de coopératives de lait ont été surpris du retard de règlement par Centrale Danone. Face à cette situation, les producteurs ne savent plus où donner de la tête. Ils hésitent entre la poursuite de production dont le coût est de plus en plus élevé ou l’arrêt de la production de lait qui aura des conséquences plus fâcheuses.
La seule solution selon les coopératives de lait serait que l’Etat les autorise à mettre en place une unité de production pour ainsi se passer définitivement de Centrale Danone.
Pas de hausse du prix depuis 2013
En août 2013, le prix du lait a connu une augmentation de 0,20 dirhams le demi litre de lait. La hausse a été initiée par Centrale Danone, qui s’est fait suivre par le deuxième opérateur du secteur, la Copag, producteur de la marque Jaouda, avant que la hausse ne soit généralisée par les autres opérateurs. Cette décision avait provoqué bien des réactions chez le gouvernement et les consommateurs. Les opérateurs justifiaient cette hausse par la flambée des aliments pour bétail.
Suite à une réunion de la Fédération interprofessionnelle marocaine de lait (Fimalait) avec le ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime, Aziz Akhannouch, les opérateurs devront rétrocéder 60% de l’augmentation du prix aux éleveurs. Cette hausse de 6% est la première depuis janvier 2009. Ce qui correspond à une moyenne de près de 1,5% par an, soit un niveau presque identique au taux d’inflation enregistré sur la période et qui se situe à 1,2%. Selon les professionnels du secteur, le but de cette décision est de protéger la filière laitière, notamment les éleveurs, et garantir une autosuffisance sur le marché marocain avec une bonne qualité.
Le lait en poudre: L’Onssa inocente Jaouda 
Dans un contexte agité par les effets ravageurs du boycott sur le secteur du lait, des rumeurs se sont propagées, selon lesquelles, la Copag utiliserait du lait en poudre dans la production de sa marque de lait Jaouda. Mais, d’après l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), il n’en est rien. Dans un communiqué, publié le lundi 11 juin, l’Onssa rassure les consommateurs que le lait et les produits laitiers sont régulièrement contrôlés. Le gendarme de la sécurité sanitaire des produits alimentaires souligne que le lait et les produits laitiers fabriqués au niveau national font l’objet d’un contrôle rigoureux tout au long de la chaîne de production, depuis l’élevage jusqu’aux points de vente. Ces contrôles, précise le communiqué, visent à s’assurer de l’état de santé des animaux, de l’origine et de la qualité des aliments utilisés dans l’alimentation animale, du respect des bonnes pratiques d’encadrement vétérinaire et de la qualité du lait produit et commercialisé par les établissements de transformation. En outre, les points de vente font également l’objet de contrôles pour s’assurer du respect de la chaîne de froid et de la conformité de l’étiquetage. Tout produit non conforme est saisi et détruit, note le communiqué.
A l’import, l’ONSSA relève que les produits laitiers subissent un contrôle systématique au niveau des postes d’inspection frontaliers, pour s’assurer de leur conformité sanitaire et de qualité, ainsi que de leur étiquetage, et que les produits non conformes ne sont pas admis sur le territoire national.
Au cours de l’année 2017, les services de l’ONSSA ont contrôlé 74.688 tonnes de produits laitiers à l’importation et ont refoulé 250 tonnes non conformes. Par ailleurs, ses services ont effectué 162 visites d’évaluation et 332 visites d’inspections des établissements laitiers. Ils ont réalisé 30.635 sorties de contrôle sur le terrain au niveau des laiteries, des points de vente de crèmes glacées, des épiceries et des grandes et moyennes surfaces.
 

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