Vidéo. Le producteur Maurice Elbaz nous raconte la musique judéo-marocaine

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Depuis une vingtaine d’années, Maurice Elbaz produit les musiques traditionnelles maghrébines, particulièrement la judéo-marocaine. Pour ce troisième épisode de notre série d’articles consacrés aux Marocains juifs, le spécialiste retrace pour nous les grands compositeurs et chanteurs de la communauté. 

C’est dans son studio casablancais que nous rencontrons Maurice Elbaz, producteur depuis plus de vingt ans de musiques traditionnelles maghrébines. Sa spécialité? Le « chgouri », c’est-à-dire le répertoire de musique traditionnelle marocaine -juive ou non- aimée et interprétée par les Marocains juifs.

A peine entré dans l’univers artistique du spécialiste, l’atmosphère vintage est palpable entre canapés en cuir et collection de vinyles. Avec lui, on remonte le temps à la rencontre des grands compositeurs et chanteurs judéomarocains qui ont marqué la musique marocaine. D’emblée, nous l’interrogeons sur la spécificité de la musique juive marocaine, et, par extension, sur la pertinence de cette appellation.

« Le chgouri est une playlist »

« Il n’y a pas vraiment de spécificité, c’est une musique marocaine », éclaire Elbaz, notant la grande diversité des genres musicaux de la musique marocaine (chaabi, gnaoui, amazigh, influences espagnoles, portugaises, françaises et anglaises), a contrario des autres musiques maghrébines. « Le chgouri, ce n’est pas un style musical, c’est plus une playlist; c’est la musique que les Marocains juifs écoutaient et aimaient jouer dans leurs fêtes », définit-il.

Musicalement, on ne remarque pas de différences entre une musique marocaine et une musique marocaine adoptée par le répertoire chgouri, si ce n’est « de petites variations dans l’interprétation », « une touche musicale un peu plus européenne », et une prononciation reconnaissable des mots. Des subtilités qu’un Marocain connaisseur de son patrimoine musical remarquera tout de suite, explique le producteur.

On cite en premier « le plus grand compositeur » judéomarocain, Albert Suissa, avec plus de 700 chansons écrites à son actif, « notamment le fameux Al ‘atar chanté dans tous les mariages ». Les chansons de Suissa ont donné lieu à de nombreuses reprises, « car il a beaucoup enregistré donc les gens ont pu l’écouter » et le connaître.

De son côté, Samy El Maghribi n’a écrit qu’une dizaine de chansons; il se consacre surtout au chant des « qsayd » du malhoun. Haïm Botbol a un peu écrit mais surtout interprété et enregistré le plus grand répertoire de chgouri (environ 1.500 titres). « C’est le roi du chgouri », insiste Elbaz.

Félix El Maghribi a rendu célèbre « Keftanek mehloul » écrit par Samy El Maghribi mais jamais enregistré par ce dernier.

Côté chanteurs, on nomme Elias Mamane mais parti très tôt en Israël, également Cheikh Mwijo, grand interprète dont la carrière s’est déroulée à 95% en Israël. Salim Halali, Algérien juif, a connu un grand succès en France et au Maroc où il s’installe en 1949. Dans le quartier cosmopolite du Maârif, à Casablanca, il transforme un vieux café en prestigieux cabaret, Le Coq d’Or. « C’est le pape de la musique arabe. En tant que Français, il a pu ouvrir le premier cabaret oriental à Casablanca où ce sont produites toutes les futures stars marocaines des années 1960 », commente Elbaz. Le Coq d’Or sera finalement détruit dans un incendie et Halali reviendra alors en France, à Cannes, au début des années 1960.

Toutes cette effervescence musicale portée par les chanteurs marocains juifs dans les années 1950/1960 a pris fin vers les années 1970 car la plupart des juifs sont partis en Israël ou ailleurs. « Automatiquement, l’histoire a continué en Israël ou dans leurs pays d’accueil mais de moins en moins au Maroc », poursuit Elbaz. Par exemple, « Samy El Maghribi a fini sa carrière au Canada vers 1975 ».

Ce sont donc dans les années 50-60 que tous les standard quasiment ont été produits. « Le dernier morceau enregistré de musique marocaine chanté par un juif était Zin li attik llah, chant traditionnel adapté par Cohen Pinhas en 1984 ou 85, ainsi que Botbol qui a enregistré jusqu’au milieu des années 1980″, renseigne Maurice Elbaz.

 

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La musique judéomarocaine est donc avant tout une musique marocaine. Comment expliquer toutefois la prédominance des juifs marocains sur le marché de la musique à cette époque? « Les juifs étaient très actifs dans ce secteur aux XVIII, XIX et XXe siècles. A part pour la musique andalouse pratiquée également par les musulmans, il y avait beaucoup plus de musiques écrites et produites par des Marocains juifs », explique le producteur, rappelant l’interdit religieux de la musique en islam qui bridait les musulmans dans ce domaine.

Aujourd’hui, cette musique juive marocaine, le chgouri, est très prisée au Maroc comme en Israël où la 3e génération des premiers émigrés marocains continue de la perpétrer et de lui rendre hommage, à l’instar de Neta Elkayam.

Il faut dire que le chgouri se façonne et évolue au gré des reprises. « Les chanteurs prenaient des chansons ou thèmes mélodiques traditionnels et en changeaient les paroles, c’est comme cela que ça fonctionnait et c’est toujours comme ça aujourd’hui », raconte Elbaz qui illustre son propos avec les récents tubes au Maroc de Salma Rachid, Asma Lmnawar (‘andou l’zine) ou encore Saad Lamjarred avec Ana machi sahel, « une composition typiquement chgouri ».

Si les chansons chgouri sont propices à la reprise, c’est « parce qu’il y a déjà eu une digestion moderne donc c’est plus facile à adapter pour les artistes d’aujourd’hui qu’une chanson purement traditionnelle ». Ainsi, ce répertoire se pérennise au-delà de considérations confessionnelles. « Ce sont les jeunes musulmans qui reprennent ce répertoire et ils ne savent pas forcément que c’est composé ou rendu célèbre auparavant par un juif. Pour eux, ce sont des chansons marocaines. Avec internet, les gens redécouvrent de plus en plus la présence des juifs dans la musique marocaine », analyse le spécialiste.

 

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Au Maroc, le festival permanent Hafla représente depuis 2004 les musiques maghrébines traditionnelles, en particulier le répertoire chgouri. « Depuis cinq ans, on a reproduit plus de 200 chansons des années 1950/60/70 », relate Elbaz, producteur du festival qui met en avant de jeunes artistes talentueux dans toutes les facettes de la musique marocaine.

« Sana Jabrane chante tout le répertoire maghrébin et marocain traditionnel des années 1970. Malha Bidawa fait tout le chaabi des femmes juives telles que Raymonde Al Bedawiya et Zohra Al Fassi. Yasmeen Louk reprend Albert Suissa ou Cheikh Mwijo. Zineb Afilal, à Tétouan, chante une partie du répertoire andalou dans la façon juive. La troupe Kabaret chikhat reprend les chansons de l’aïta; ils ont notamment chanté Baba Salah avec Haïm Botbol au festival il y a deux ans… »

 

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