Vidéo. Entre le Liban et l’Arabie, cinq points pour comprendre l’affaire Hariri

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Près de deux semaines après l’annonce de sa démission, le premier ministre libanais a accepté l’invitation d’Emmanuel Macron de venir en France. Les autorités libanaises estiment qu’il est retenu captif à Riyad. En toile de fond, la rivalité entre Téhéran et le royaume des Saoud.

Saad Hariri, le premier ministre libanais démissionnaire, retenu depuis douze jours à Riyad en Arabie saoudite, a accepté l’invitation d’Emmanuel Macron de venir en France. Le président français a ajouté que ce n’était pas un exil politique, mais «un acte d’amitié».

Hariri avait annoncé sa démission le 4 novembre, refusée par le président libanais, Michel Aoun. Cet événement fait l’effet d’un séisme dans un petit pays dont le fonctionnement politique complexe est pris dans la tourmente de l’affrontement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le Figaro fait le point.

1. À la surprise générale, Saad Hariri démissionne depuis l’Arabie Saoudite

Quand les Libanais ont découvert l’intervention télévisée en Arabie saoudite de leur premier ministre, beaucoup ne l’ont pas reconnu. Généralement calme, souriant et modéré, Saad Hariri, qui dispose aussi de la nationalité saoudienne, apparaissait nerveux tout en tenant un discours virulent contre la «mainmise» sur le Liban de l’Iran et de son allié historique, le parti chiite Hezbollah, qu’il accuse d’avoir «créé un État dans l’État». Le fils de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, assassiné au Liban en 2005, annonce aussi craindre pour sa vie.

Les médias libanais puis internationaux en ont rapidement conclu que Hariri était retenu à Riyad et que sa démission lui avait été imposée. Celle-ci est intervenue au moment où le jeune prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, alias MBS, organisait une vague d’arrestation sans précédent contre une soixantaine de dignitaires saoudiens.

2. Les autorités libanaises demandent son retour et refusent sa démission

À Beyrouth, le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a, dès le lendemain, accusé l’Arabie Saoudite d’avoir contraint Saad Hariri à démissionner, puis de le retenir de force à Riyad. Le président du Liban, Michel Aoun, et celui du Parlement, Nabih Merri – respectivement chrétien et chiite comme l’exige la constitution libanaise – ont quant à eux refusé cette démission, estimant qu’elle était inconstitutionnelle, puisque prononcée de l’étranger. «Nous le considérons comme en captivité et détenu», a lâché Michel Aoun le 15 novembre.

La communauté sunnite, à laquelle doit appartenir le premier ministre, réclame aussi dans sa majorité le retour de Saad Hariri. «Il s’est formé une très large unité au sein de la population libanaise et notamment autour du parti de la famille Hariri, dont seules quelques voix dissidentes ont nié la situation du premier ministre», explique au Figaro Gérard Corm, professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et ancien ministre libanais des Finances. Pour Raphaël Gourrada, membre du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO), la «troïka présidentielle» [l’équilibre confessionnel des pouvoirs entre le président, le premier ministre et le parlement, NDLR] a résisté et, même s’il existe «une cacophonie entre les alliés d’Hariri, les élites ne sont pas tombées dans le panneau».

3. Pourquoi le pouvoir saoudien fait pression sur Beyrouth

Depuis sa création en 1982, le Hezbollah chiite est la bête noire de Riyad puisque le «Parti de Dieu», en arabe, est l’allié indéfectible de l’Iran. Mais, «depuis deux ans, l’Arabie saoudite avait lâché du lest au Liban, acceptant même l’alliance entre Michel Aoun, partisan d’un rapprochement avec le Hezbollah, et Saad Hariri, qui acceptait de devenir son premier ministre», explique Raphaël Gourrada. Cette page se tourne avec «MBS» qui, devenu en juin dernier le nouveau prince héritier saoudien, soutient une diplomatie beaucoup plus offensive dans la région. «Quoi de mieux pour celui qui se veut l’homme fort de Riyad que de brandir la menace de l’Iran?», commente le chercheur.

Après la guerre saoudienne au Yémen contre les rebelles Houthis soutenus par Téhéran et le blocus saoudien contre le Qatar, accusé par Riyad de se rapprocher de l’Iran, Mohammed ben Salmane chercherait en forçant la démission de Saad Hariri à faire tomber le gouvernement libanais d’union nationale, qui comprend des représentants du Hezbollah. La manœuvre est risquée. Pour Pierre Berthelot, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), «BMS est coincé car les sunnites ne sont pas en mesure de rivaliser par les armes avec le Hezbollah». Depuis la fin de la Guerre civile, tous les groupes armés ont été désarmés au Liban, sauf la puissante organisation chiite qui fait l’objet d’«une vénération dans le Sud pour sa lutte contre Israël» et qui a «l’appui de beaucoup de chrétiens depuis son accord avec le président Aoun l’année dernière», ajoute Raphaël Gourrada. «L’affaire Hariri se retourne en fait contre l’Arabie saoudite qui l’a manigancée et apporte indirectement de l’eau au moulin du Hezbollah», lâche l’ancien ministre Gérard Corm.

4. Quelle issue à la crise?

Dans une seconde intervention télévisée le 12 novembre, Saad Hariri a nuancé ses propos et a déclaré qu’il allait «très bientôt rentrer dans son pays». Le dirigeant sunnite a même pu laisser croire qu’il pourrait revenir sur sa démission. «Si Hariri revenait, sera-t-il complètement libre de reprendre ses fonctions?», se demande Pierre Berthelot. Saad Hariri est aussi un homme d’affaires. Son groupe Saudi Oger connaît des difficultés financières. «On peut imaginer une forme de chantage des Saoudiens», ajoute le chercheur.

«Riyad a réussi à diviser les sunnites. Ceux qui exigent un dirigeant plus dur vis-à-vis du Hezbollah, comme l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, sont en position de force», commente Pierre Berthelot. «Mais au Liban, il faut toujours un compromis: si les sunnites choisissent un profil moins modéré que Saad Hariri, les chiites et beaucoup de chrétiens s’y opposeront», ajoute le chercheur qui estime qu’un premier ministre intérimaire pourrait être nommé, en attendant les élections législatives de juin prochain.

5. Quelle place pour la France dans la résolution de la crise?

Emmanuel Macron, qui a rencontré le prince héritier saoudien dès le 9 novembre après un voyage aux Émirats Arabes Unis, a été très actif depuis le début de l’affaire Hariri. Par un mandat de la Société des Nations reçu en 1920, la France a administré le Liban jusqu’à son indépendance en 1943. «Par ses liens historiques et culturels, la France jouit d’une place privilégiée au Liban et joue traditionnellement un rôle de médiateur dans les négociations politiques», note Raphaël Gourrada, qui qualifie de «victoire diplomatique» la proposition d’Emmanuel Macron d’accueillir quelques jours Saad Hariri à Paris.

«Paris contribue à la désescalade, mais ce sera vraiment une victoire diplomatique quand la crise sera résolue, ce qui est encore loin d’être le cas», modère Pierre Berthelot qui note que «Mohammed ben Salmane a sans doute voulu adresser un signe de bonne volonté». «Paris a tout intérêt à calmer les ardeurs du prince héritier saoudien, car plus la crise s’envenime, plus elle sera pressée par Riyad de choisir son camp», ajoute-t-il. Pour le chercheur de l’IPSE, la France dispose à l’échelle locale libanaise d’une indéniable influence, mais connaît aussi ses limites à l’échelle de tout le Moyen-Orient. «Paris pourrait privilégier une action concertée avec d’autres pays», conclut Pierre Berthelot, évoquant la Russie et les États-Unis. «La Russie, peut-être plus que les États-Unis», abonde Raphaël Gourrada car «Washington a réduit mécaniquement son influence en se mettant à dos l’Iran».

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