Un collectif féministe marocain a décrété mardi une "journée de deuil" sur les réseaux sociaux…
Vidéo. Au Maroc, l’incompréhensible bloquage de la dépénalisation de l’avortement
Publié leA l’heure où certains pays souhaitent inscrire l’avortement dans leurs constitutions, au Maroc le dossier bloque toujours. Pourquoi reste-t-on à ce point insensible à cette question? Interview croisée de Chafik Chraïbi et Sonia Terrab, deux militants favorables à la légalisation de l’avortement.
L’affaire de la petite Meryem avait fait beaucoup de bruit. La jeune adolescente de 15 ans est morte lors d’une opération clandestine d’avortement. Enceinte après un viol commis par un homme de 10 ans son ainé, Meryem est décédée d’une hémorragie. Et ce scandale n’est malheureusement pas nouveau au Maroc. Car au royaume, la question de l’interruption volontaire de grossesse reste tabou, alors que le nombre d’avortements clandestins, estimé entre 600 et 800 par jour médicalisés et 200 autres non médicalisés, lui ne faiblit pas.
« Une loi archaïque »
Il faut savoir qu’au Maroc, le code pénal punit l’avortée ou qui a l’intention d’avorter, de six mois à deux ans et d’une amende de 120 à 500 dirhams et d’un an à cinq ans, en plus d’une amende de 120 à 500 dirhams, quiconque, par n’importe quel moyen, a procuré ou a tenté de procurer, l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte. Toutefois, l’interruption volontaire de grossesse (IVG), comme dans tous les pays où elle est illégale, est largement pratiquée.
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« C’est une loi archaïque qui punit l’avorteur, l’avorté, l’intermédiaire et même l’intention d’avorter sauf si l’avortement constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu’il est ouvertement pratiqué par un médecin. Il faut la changer car les victimes subissent les conséquences d’un blocage que nous ne comprenons toujours pas. Ce n’est plus possible de voir des victimes se faire du mal et mourir tous les jours, ainsi que de voir des enfants souffrir dans la rue », explique Dr Chafik Chraïbi, gynécologue-obstétricien, fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac).
Bien que le dossier traîne toujours, le débat sur l’IVG ne date pas d’hier car le nombre de ses victimes peine à reculer. Et l’assouplissement des lois répressives sur l’avortement traine depuis de nombreuses années. Il a d’abord connu une grande avancée à la suite d’un documentaire sur le sujet diffusé sur la chaîne de télévision française France 2, le 11 décembre 2014, avec un tournage réalisé dans une maternité publique de Rabat et qui a conduit au limogeage de Chafik Chraïbi, à l’époque, gynécologue responsable de la maternité en question, de sa fonction de chef de service.
Une forte mobilisation des réseaux sociaux et de la presse en faveur du gynécologue limogé s’en est suivie. Un débat public a été entamé et s’est clos par la réintégration du gynécologue dans sa fonction de chef de service, et surtout par l’intervention du roi Mohamed VI et une modification de la loi le 15 mai 2015. «Le Maroc s’était engagé en 2015, après le discours du roi, à assouplir urgemment sa législation autour de l’avortement. Une commission officielle avait même dans la foulée recommandé que l’avortement devienne autorisé dans certains cas de force majeure. Mais depuis, le dossier traîne», se désole Sonia Terrab, romancière, réalisatrice et cofondatrice du mouvement «Hors-la-loi».
«Au début, je pensais que le PJD était la cause du blocage du dossier, jusqu’à ce que l’ancien chef du gouvernement, Saad Dine El Otmani m’appelle pour me prouver le contraire. Je ne comprends toujours pas pourquoi une mesure aussi urgente soit traitée avec autant de légèreté alors que plusieurs centaine de femmes et d’enfants meurent tous les jours au Maroc à cause de cela », s’attriste le gynécologue.
En effet, l’avortement n’a jamais franchi la barrière du Parlement. Ce projet de loi visait à élargir ces conditions au viol et à l’inceste, mais le texte inclus dans une réforme controversée du Code pénal, n’a jamais vu le jour. Sept ans plus tard, les difficultés sont toujours les mêmes. Jusqu’à aujourd’hui, la seule condition qui permet aux femmes de pratiquer l’avortement est « la mise en danger de la santé de la mère ». Aucune loi n’est depuis venue entériner ces recommandations ardemment soutenues par les activistes des droits des femmes.
« Ce que nous souhaitons le plus, c’est de faire de l’avortement une affaire d’opinion publique pour faire pression sur le gouvernement qui ne bouge toujours pas à cause d’une certaine raison que nous ignorons jusqu’à présent », espère Sonia Terrab.
Dans son livre qui n’est toujours pas sorti, le Dr. Chafik Chraïbi, relate plusieurs histoires de femmes désespérées, prêtes à tout pour échapper au jugement sans pitié de la société dont font partie leurs familles. En voici quelques exemples:
K.T, 19 ans, est admise à la maternité : le col de l’utérus déchiré par l’introduction d’un objet contondant dans le vagin. Quasi exsangue, ravagée de surcroît par l’infection, elle décédera 48h plus tard de choc septique.
F.M, est admise aux urgences de la maternité pour hémorragie génitales incoercibles ; l’examen du vagin retrouve des sphacèles vaginaux à l’emporte-pièce dus à la mise en place de comprimés de permanganate de potassium. Son traitement nécessite une réanimation intensive et une intervention de plusieurs heures. Elle s’en sort avec une synéchie vaginale totale.
B.S, 19 ans est admise aux urgences de l’hôpital Avicenne pour tétanos, l’examen révèle des plaies vaginales en rapport avec l’utilisation d’instruments souillés ; elle en meurt 48h plus tard.
R.T admise aux urgences de l’hôpital Avicenne pour syndrome d’intoxication aiguë : elle est en détresse respiratoire et insuffisance hépatique aiguë. L’interrogatoire retrouve la consommation de produits abortifs conseillés par la voisine. Elle en meurt le jour même.