Tunisie: la jeunesse de Sidi Bouzid, entre abstention et tentation de l’homme « fort »

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Abstention? Tentation d’un retour à l’autoritarisme? A Sidi Bouzid, ville marginalisée et berceau de la révolte ayant emporté la dictature de Ben Ali début 2011, la jeunesse exprime ses doutes, à l’approche de la présidentielle tunisienne du 15 septembre.

« Tant que nous n’avons pas un vrai leader qui aime son pays, nous n’irons pas voter! », lance Issam Héni, 34 ans, déterminé à boycotter la présidentielle anticipée après le décès de Béji Caïd Essebsi fin juillet.

C’est pourtant dans cette ville de l’intérieur que la première étincelle du soulèvement populaire contre le régime de Zine el Abidine Ben Ali a eu lieu fin 2010, quand le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, excédé par la pauvreté et les humiliations policières.

En 2011, la première élection post-révolution y fut marquée par une participation sans précédent. Trois ans plus tard, la ville a voté au premier tour pour un enfant du pays, l’homme d’affaires conservateur Hechmi Hamdi. Celui-ci est de nouveau candidat en 2019, mais il ne suscite plus guère d’engouement.

 

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D’importants investissements ont apporté davantage de vie dans cette cité symbole. Mais beaucoup d’habitants, parmi lesquels de jeunes adultes qui étaient adolescents en 2011, sont aujourd’hui désenchantés.

La précarité et le chômage continuent de ronger les rêves, tandis qu’une inflation de 7% grignote un pouvoir d’achat déjà restreint.

 « Rêves emportés »

Au-delà du seul cas de Sidi Bouzid, c’est tout l’intérieur du pays, traditionnellement moins bien loti que le littoral, qui reste à ce jour marginalisé, ce qui alimente régulièrement des flambées de mécontentement social.

Les élections sont « un évènement (…) qui ne me concerne pas », clame Issam, dans un café bondé de jeunes désœuvrés.

Il avait pourtant voté lors des précédents scrutins nationaux organisés en 2011 et 2014, ainsi que pour les municipales de 2018.

« Ils veulent le pouvoir et seulement le pouvoir! Ni plus ni moins! », déplore également Nadhmi, chômeur trentenaire qui se dit excédé par les difficultés financières.

« Les rêves de la révolution et l’espoir de l’amélioration des conditions de vie des Tunisiens ont été emportés par une mauvaise gestion d’une classe politique mafieuse », estime-t-il.

Nombre d’habitants disent à l’AFP souhaiter un président « fort » et « responsable », en prenant pour exemple Recep Tayyip Erdogan.

« Quand on aura un candidat comme le président turc, on ira voter sans faute », assure Zied, 29 ans, diplômé en langue anglaise et au chômage depuis cinq ans.

« Sauver les pauvres »

Pour certains, c’est le publicitaire controversé et patron de média Nabil Karoui, candidat récemment écroué sur des accusations de « blanchiment d’argent », qui incarne le mieux ce souhait.

« Qu’il soit un voleur ou un bandit, je m’en fous, l’essentiel est qu’il est le seul à faire des efforts pour aider des gens comme moi », déclare Abir, 19 ans, courbée dans un vaste champs d’oignons sur la route de Sidi Bouzid.

Pour elle, ce quinquagénaire qui s’est bâti une réputation à coup de campagnes caritatives médiatisées, « pourrait sauver les pauvres ».

Mais, parmi la dizaine d’autres femmes s’affairant avec elle à la récolte sous un soleil de plomb, les protestations fusent.

« Ces élections sont des futilités! Il n’y a que le travail de nos mains qui fasse, maintenant et comme toujours, bouillir la marmite. Personne ne se souciera de nous », argue Fatma. Les présidents « n’ont fait qu’enrichir les riches et appauvrir les pauvres! ».

Nabil Jalleli, coordinateur du bureau régional de l’Instance chargée des élections (Isie), reconnaît la forte tentation de l’abstention, « surtout de la part des jeunes ». Lors des municipales de 2018, elle avait atteint 65%.

Une situation que M. Jalleli explique notamment par « le climat politique » et les services insuffisants fournis par les dirigeants à la jeunesse.

Malgré des avancées démocratiques certaines, la Tunisie compte toujours des services publics mal en point, des perspectives d’embauche limitées, et nombre de ses jeunes partent clandestinement chercher un avenir meilleur en Europe.

« Il faut qu’on vote pour que notre pays se redresse! », martèle Haythem, un blanchisseur trentenaire qui, lui, refuse de céder au défaitisme.

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