Terrorisme: les raisons de la haine

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Abdellah Tourabi. Crédit: DR.

C’était en 2003. Pour un travail de recherche, et par la suite un documentaire, j’étais parti à la rencontre des familles et voisins des kamikazes qui avaient commis les attentats du 16 mai à Casablanca.
On ne sort jamais indemne de ce genre de contact. Une rencontre en particulier m’avait particulièrement bouleversé et continue de me hanter.
Il s’agit d’une heure passée avec la mère d’Abdelfetah, le chef du groupe de kamikazes. Celui qui avait égorgé le portier de l’hôtel Farah et actionné sa charge explosive à l’entrée.
Il avait, à l’époque, le même âge que moi. Il était le fils unique de cette femme, grande de taille et peu bavarde. Son père était décédé depuis longtemps et les deux vivaient ensemble dans une baraque en tôle à Sidi Moumen.
Elle était la personne la plus proche de lui. Ils partageaient le toit, les repas, les confidences, les moments de bonheur et de détresse.
Elle m’avait raconté que la veille de l’attentat, le jeudi après-midi, Abdelfetah était revenu avec des bidons remplis d’eau potable, il avait fait des courses et lui avait dit qu’il a prévu de dormir chez des amis, qu’il serait de retour le lendemain et qu’il ne fallait pas s’inquiéter pour lui.
Deux jours plus tard, c’était une armée de policiers  qui est venue perquisitionner la maison et interroger une femme sous le choc. Cette mère n’avait jamais imaginé que son fils unique put être le chef d’une bande de criminels et de fanatiques qui avait fait une quarantaine de victimes.
«Rien de plus douloureux que de vivre avec quelqu’un dont on ne sait pas ce qu’il se passe dans sa tête», m’avait-elle dit.
J’ai appris plus tard qu’elle avait quitté le quartier et qu’elle était morte, probablement dans le chagrin d’avoir perdu son unique enfant et la honte d’avoir mis au monde un criminel.
Pourquoi est-ce que je repense souvent à cette rencontre ? C’est parce qu’elle me rappelle qu’aucun de nous n’est immunisé contre cette rage criminelle qui est le fanatisme et le jihadisme. Il n’y pas de gène héréditaire de l’intégrisme et aucun ADN n’a la forme du drapeau de Daech. C’est la combinaison de plusieurs éléments qui conduit vers cette extrême radicalité. Son explication est toujours complexe et il faut se méfier des raccourcis et des schémas binaires.
Tout d’abord, il y a le rapport à l’Islam en tant que texte religieux et fruit de plusieurs siècles de production théologique (Le Fiqh). Affirmer que l’Islam est à l’origine directe du jihadisme est une absurdité. Prétendre que ces tueurs fanatiques n’agissent pas à l’intérieur de l’Islam et en son nom est un aveuglement. L’Islam en soi n’est ni une religion de paix ni de guerre. Il est ce qu’en font ses croyants et, en cela, il n’est pas plus différent des autres religions. Le christianisme a enfanté l’inquisition, les Croisades et une grande partie de l’extrême droite xénophobe et violente se réclame de lui, mais il est aussi derrière la charité chrétienne, la théologie de la libération en Amérique latine et les vertigineux textes de Saint Augustin ou de Sainte Thérèse D’Avila. Des criminels de guerre, des colons racistes et des assassins (Baruch Goldstein par exemple) agissent sous la bannière du judaïsme, la même religion qui a donné naissance à Maimonide, à la riche mystique juive et aux saints vénérés au Maroc à la fois par les juifs et les musulmans. Rien de définitif ni d’intéressant ne découle des affirmations sur l’essence d’une religion.
«Le Coran est muet, ce sont les Hommes qui le font parler», disait le calife Ali, assassiné d’ailleurs par un fanatique convaincu qu’il était plus musulman que lui.
Le Coran et les hadiths contiennent un nombre infini de textes qui incitent à l’amour, à la compassion, au respect de la vie et à la tolérance, mais ils sont également truffés de passages qui appellent au meurtre, à la guerre et à la conquête des terres d’autrui. Des passages qui sont le résultat d’un contexte, d’une histoire et d’un rapport au monde qui n’est plus d’actualité, mais qui fournissent l’argument religieux et moral des jihadistes. Dire que ces derniers sont ignorants et ne savent pas lire le Coran est une imposture et ne correspond pas à la réalité. Les mouvements jihadistes se basent sur un corpus solide d’arguments religieux qui puisent leurs fondements dans le Coran, la Sounnah et le Fiqh. Il faut avoir le courage moral et l’honnêteté intellectuelle de l’admettre et de l’affronter.
Ensuite, il y a les conditions économiques et sociales des individuels qui cèdent à l’appel du fanatisme et de l’intégrisme violent. Là aussi, il faut se méfier des poncifs et du prêt à penser.
Parmi les explications qui reviennent souvent figure le raccourci misérabiliste et crypto-marxiste qui attribue la radicalisation à une question de pauvreté et de précarité. Cette explication soulage les consciences, rejette la responsabilité sur les politiques publiques de l’État et permet à celui qui les formule de passer pour le pourfendeur des injustices et de la domination. Une posture rhétorique qui ne cache au fond qu’une imposture intellectuelle.
La réalité est plus nuancée et moins binaire. Les membres des mouvements jihadistes appartiennent à des milieux sociaux différents: on y croise des étudiants, des ouvriers, des vendeurs ambulants, de la classe moyenne urbaine, des artisans…même en 2003, où l’on pensait que les attentats de Casablanca étaient le résultat de la misère et la marginalité, les choses étaient plus complexes. Les profils socio-économiques des kamikazes de Casablanca n’étaient pas entièrement homogènes, car il y avait parmi le groupe de douze personnes un enseignant, un comptable, un ouvrier et un commerçant. Fatiha Mejatti, responsable de l’accueil des familles de jihadistes chez Daech en Syrie, a fait ses études dans les écoles de la mission française, de même que son mari, ancien dirigeant d’Al Qaida tué par les forces de l’ordre en Arabie saoudite.
Hicham Doukali, qui avait essayé, en 2007 à Meknès, de se faire exploser devant un bus de touristes, était ingénieur d’Etat. Les exemples comme ceux-là sont légion. L’explication du fanatisme ne réside pas dans la misère ou le métier que l’on exerce, mais plutôt dans la représentation du monde que l’on se fait, de la mission historique que l’on pense accomplir et de la rétribution divine que l’on rêve de recevoir en retour. C’est une question de convictions, de construction mentale et idéologique. La  pensée radicale et extrémiste est le produit d’une époque, d’une condition historique et non du rang social ou statut économique de ceux qui y croient.

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