Témoignage: le casse-tête de l'intégration des subsahariens au Maroc

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Etudiants subsahariens au Maroc (image d'illustration). Crédit: DR

Le Maroc est devenu un modèle en matière de politique migratoire dans le monde, mais des peurs persistent.
Situé au croisement des continents africain et européen, le Maroc est une plaque tournante de l’immigration. Le pays voit arriver chaque année sur son territoire des milliers de personnes, principalement des Africains subsahariens, qui nourrissent le rêve de rejoindre l’Europe, en traversant le détroit de Gibraltar ou en pénétrant dans les présides occupés de Sebta et Melilia. Mais au fil des années, le royaume est passé d’un simple pays de transit à un pays d’accueil pour ses migrants, même si nombre d’entre ces derniers n’ont pas abandonné leurs rêves d’Europe.
D’autre part, le Maroc accueille également chaque année d’importantes vagues d’étudiants de tous les continents. Ces derniers peuvent décider, au terme de leur cursus académique, soit de rentrer dans leur pays d’origine, soit de rester et travailler dans le pays d’accueil, ou encore de partir vers d’autres destinations pour continuer leurs études ou mieux monnayer leurs talents professionnels. Et n’oublions pas les réfugiés. Ce qui nous amène à la présence d’une forte communauté étrangère au Maroc. Quant aux migrants, ils représentent 0,24% de sa population totale (34 millions d’habitants) selon des chiffres officiels.
Le Maroc a dû s’adapter à ces changements, en adoptant une « politique solidaire » avec une « approche humaine », comme a précisé le roi Mohammed VI dans un discours prononcé en août 2016. Plusieurs mesures ont ainsi été lancées ou mises en œuvre par les autorités marocaines. L’une des plus notables est la campagne de régularisation des étrangers en situation irrégulière. Le 31 décembre dernier marquait la fin de la deuxième édition de cette opération, avec environ 26.000 demandes de régularisation déposées à fin novembre, dont 58,32% par des hommes, 32,95% par des femmes et 8,73% par des mineurs. À l’instar de la première opération, 82% des dossiers seront traités, a promis le président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), Driss El Yazami.
Un grand changement
Le Maroc se veut donc un modèle en matière d’intégration, à côté d’une Algérie où les expulsions de migrants ne se comptent plus. Et même si la cohabitation entre populations locales et migrants clandestins est loin d’être idéale (cas d’Ouled Ziane), il faut avouer que la situation a beaucoup évolué au fil des années. Les étrangers sont de plus en plus acceptés et s’intègrent plus ou moins bien dans la société marocaine. «Il y a eu une évolution notable dans l’attitude des Marocains vis-à-vis des étrangers», confirme Jean-Noël. Pour cet Ivoirien installé depuis 9 ans au Maroc, on note une nette différence entre le regard des Marocains il y a quelques années et celui d’aujourd’hui. «Nous sommes beaucoup mieux acceptés».
Mais l’on ne saurait malheureusement en dire autant pour son enfant, né au Maroc en 2012. Inscrit dès ses 3 ans dans une crèche à Casablanca, le petit garçon n’a pas vraiment de problèmes avec ses camarades marocains; il s’est même fait des amis. C’est au niveau des adultes, en l’occurrence ses enseignantes, qu’il y a un hic. Un jour, une enseignante a appris les couleurs aux enfants en prenant des aliments comme exemples: «la pomme est verte», «la banane est jaune», ou encore «le chocolat est marron». Mais dans ce dernier exemple, elle a ajouté, s’adressant au fils de Jean-Noël: «comme toi». Si l’intention n’est pas forcément malsaine, elle marque déjà à l’enfant sa différence. Une exclusion qui peut aussi se ressentir au niveau de la langue: les enseignantes de la crèche ont le réflexe de tout dire en arabe, qui est néanmoins enseigné dans l’établissement.
«Je ne peux pas élever mon enfant ici»
Nous avons posé une question sensible à Jean-Noël: «Penses-tu pouvoir élever ton enfant au Maroc?». En d’autres termes, pense-t-il continuer l’éducation de son enfant, à commencer par le primaire, au Maroc? Sa réponse est directe: «Honnêtement, non». Cet employé d’une importante compagnie de téléconseil de la place avance deux raisons. D’abord le coût du privé, «parce que je n’imagine pas un seul instant le mettre au public», et ce, même si on pourrait assister – infime probabilité – à une ouverture de l’école publique marocaine aux enfants étrangers.
Deuxièmement, au primaire, «ça devient plus terrible pour les enfants», continue Jean-Noël. Il en veut pour preuve le cas de la fille d’un couple d’amis également ivoiriens, scolarisée dans une école privée à Hay Hassani. «Elle revenait souvent à la maison en larmes, et refusait pendant des jours de retourner à l’école. Elle se sentait isolée, dans son coin, on la traitait souvent de « azia ». Tout cela m’a fait m’inquiéter pour mon propre enfant». Et lorsqu’il s’est renseigné auprès des missions étrangères (françaises, belges, etc.), notre trentenaire a été découragé par le montant des frais de scolarisation. Aujourd’hui, il s’est fait une raison: scolariser son fils en Côte d’Ivoire, ou dans un pays où l’éducation est plus accessible et plus inclusive.

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