Qui est l’homme derrière le film The Lady Of Heaven, interdit au Maroc?

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Yasser al-Habib
Yasser al-Habib, un koweïtien déchu de sa nationalité, est l'homme à l'origine du film polémique "The Lady Of Heaven". DR

Il s’appelle Yasser al-Habib et se présente comme un dignitaire religieux chiite. Ce Koweïtien, déchu de sa nationalité, est devenu publiquement l’homme à abattre, il le sait et s’en réjouit, alors que son film a été interdit partout dans le monde musulman. Portrait. 

C’est peut-être l’air de Londres, où il vit depuis 2005 : à 44 ans, en tunique traditionnelle vert sombre, châle noir sur les épaules et longue barbe parfaitement soignée, Yasser al-Habib semble droit sorti d’un conte de Shéhérazade. La ville londonienne, terre d’exil plébiscitée par les minorités ethniques et religieuses, y est pour quelque chose.

Dans les rares interviews qu’il a accordées aux médias, le scénariste du film polémique «The Lady Of Heaven» parle de son œuvre comme d’une «ode à la liberté». Or, cette fiction historico-fantastique dépeint des figures importantes de l’islam sous des traits peu élogieux, voire même insultants.

Il est devenu publiquement l’homme à abattre, il le sait et s’en réjouit, alors que son film a été interdit partout dans le monde musulman. Ce long-métrage a été jugé «blasphématoire» en Egypte, au Pakistan, en Iran – pays chiite- et en Irak, notamment. Le Maroc l’a également banni. Sorti le 3 juin au Royaume-Uni, le film a été aussitôt déprogrammé par la chaîne Cineworld après des rassemblements devant les salles de cinéma.

Yasser al-Habib n’a pourtant rien d’un écrivain, encore moins d’un storyteller comme on dit dans la City. Et il préfère qu’on le voit comme un «dignitaire religieux chiite». En témoigne d’ailleurs sa chaîne Youtube, dont les vidéos dépassent rarement les centaines de vues où il s’autoproclame Cheikh. Qui est réellement Yasser al-Habib?

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Né au Koweït en 1979, il a d’abord étudié à la faculté des sciences politiques de l’université du Koweït. Puis en 1995, il s’envole pour la ville de Qom en Iran où il suit des études supérieures en théologie et religion sous la supervision de Sayed Muhammad Ridha al-Shirazi, un érudit chiite irako-iranien assassiné en 2008.
al-Habib a commencé sa carrière assez jeune dans la presse. À l’âge de 12 ans, il avait déjà décroché un stage dans un journal koweïtien arabophone, nommé al-Watan. L’homme a par la suite travaillé pour plusieurs publications telles que Sawt al-Kuwait adwli, The Forefront, The Public Opinion, al Qabas ou encore The Voice of the Gulf.

En 1999, il fonde l’association “des serviteurs du Mehdi” au Koweït qu’il désigne comme “un mouvement mondial de Rafida et du renouveau de la foi chiite”. L’objectif, écrivait-il sur le site de l’organisation, était “de former une future génération de chiites courageux capables de propager la vérité (…), forts dans l’art de la communication et de la propagande chiite ».

Son mouvement a fini par être interdit et son association dissoute. En 2003, il est interpellé, puis condamné à un an de prison, assorti d’une amende de 1.000 dinars koweitiens, soit l’équivalent de 32.000 Dh. L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais l’homme ne lâche rien. Pire encore, il multiplie les provocations. Les journaux koweitiens de l’époque le qualifient de fanatique.

Il finit par se retrouver à nouveau devant la justice. Cette fois, il n’est plus poursuivi pour délit, mais pour un crime. Accusé d’atteinte à la sécurité de l’État, al-Habib écope en 2004 de dix ans de prison. Il sera également déchu, lui et sa famille, de la nationalité koweïtienne.

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Après deux mois en prison seulement, il est finalement gracié, libéré, mais reconduit à la frontière avec l’Irak. Il y passe quelques mois avant d’effectuer un pèlerinage en Iran dans la ville de Qom où il revoit son mentor Ridha al-Shirazi. Un homme charismatique qui l’a toujours fasciné.

En 2005, Yasser al-Habib décide d’immigrer en Angleterre et s’installe à Londres, où il obtient le statut de réfugié politique. Sous le ciel londonien, il recrée son organisation des “serviteurs du Mehdi”. Cinq ans plus tard, il lance Fadak TV, un média qui dit-il fièrement, permettra au monde d’entendre « la voix de Rafida en arabe, en anglais, en farsi et en français ». Il a aussi publié de nombreux livres, dans lesquels il accuse des figures importantes de l’islam d’être à l’origine du terrorisme moderne. Une thèse qu’il a d’ailleurs romancée dans son film mêlant croyances chiites et littérature fantastique.

Au fond, Yasser al-Habib est loin d’être un simple adepte du prosélytisme chiite. C’est un véritable extrémiste, car il qualifie les sunnites de « Bakris », c’est-à-dire les disciples d’Abou Bakr. Et à ses yeux, seuls les chiites sont de véritables musulmans.

Polémiste récidiviste

Lorsqu’en 2010 le guide suprême iranien, Ali Khamenei lance une fatwa contre ceux qui insultent les compagnons et les épouses du prophète, al-Habib se déchaîne en désignant la république d’Iran de “pays oppresseur”. Il s’en prend violemment aux guides de la révolution au point d’être jusqu’aujourd’hui considéré comme persona non grata en terre perse.

Malgré les écrits et les déclarations incendiaires, Yasser al-Habib ne parvient pas à sortir de l’ombre. Sa vie bascule le jour où croise le chemin de Matthew Kuipers, un producteur britannique de films d’horreur et de série B qui, malgré les années, n’est jamais connu le succès. Le courant passe entre les deux hommes. «The Lady Of Heaven» est ainsi né. Le film sort dans l’indifférence totale en pleine crise du Covid, puis remis au placard.

Le tsunami médiatique provoqué par la reprogrammation de cet étrange péplum a permis à al-Habib de se retrouver enfin sous les feux des projecteurs. L’homme s’en réjouit. Il ne cesse de tweeter et retweeter une vidéo d’une manif’ où l’on peut voir des gens qui l’excommunient, lui et ceux qui le soutiennent. Yasser al-Habib rêve-t-il de célébrité ou de martyre à l’image de son maître, Ridha al-Shirazi tué chez lui en Iran?

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