Le pain, une histoire marocaine

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Un marchand de pain au début du XXème siècle au Maroc. Crédit: DR.

A l’occasion du mois de ramadan, H24info revient sur l’histoire de l’alimentation au Maroc et des liens qu’ont entretenu les Marocains avec la nourriture à travers les âges. Dans ce premier épisode, zoom sur ce qui a longtemps constitué, et ce jusqu’à nos jours, l’aliment le plus consommé dans nos contrées: le pain.

Si les Chinois ont eu le riz, les Amérindiens le maïs et les Africains le sorgho, les Marocains, à l’instar de tout le bassin méditerranéen, ont eu le blé comme principale céréale qui y a constitué, depuis des siècles, la base de l’alimentation. L’introduction du blé au Maroc remonte au moins à l’antiquité, lorsque les Romains utilisaient les plaines fertiles d’Afrique du nord pour nourrir l’empire.

Au Maroc, qui portait alors le nom de Maurétanie tingitane, la terre y « est si fertile que, non seulement elle fait pousser en abondance les sortes de céréales qu’on y a semées, mais qu’elle y en produit aussi certaines non semées », écrivait le grand géographe romain Pomponius Mela.

Mais ce n’est qu’au Moyen-âge que la culture du blé s’est largement répandue dans nos contrées, grâce notamment au développement des outils de traction animale. A cette époque, le Maroc devient un important producteur de blé, céréale qui devient dès lors un pilier de la gastronomie marocaine.

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L’importance du blé n’est pas seulement d’ordre agricole ou alimentaire. Cette céréale a également changé le visage des villes marocaines. Au Moyen-Âge, Fès comptait pas moins de 400 moulins, presque autant de fours ainsi qu’une multitude d’échoppes spécialisées dans la vente de farines, a écrit Léon L’Africain.

Dans les grands centres urbains, le blé était essentiellement consommé sous forme de pain, tandis que dans les zones montagneuses on préférait le consommer sous forme de soupes de blé (Dchicha). Mais ce qui marque la particularité du Maroc et d’autres pays du Maghreb, c’est le couscous. Ce plat à base de blé cuisiné à la vapeur est aussi bien répandu dans les villes que dans les campagnes. Pendant des siècles, les Marocains ont adopté ce triptyque: pain, soupe de blé, couscous.

« Meilleur pain du monde »

On sait aujourd’hui que le pain complet est bien plus nutritif que le pain blanc, fabriqué avec du blé raffiné. D’où son prix bas. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Au Moyen-âge, le pain le plus recherché, et donc le pus cher, était le pain blanc, qui était réservé aux habitants des villes et aux notables de la campagne. Son prix élevé s’expliquait notamment par les nombreuses étapes de raffinement qu’exigeait la fabrication de la farine, d’où le nombre important de moulins que comprenaient les grandes villes marocaines comme Fès, Meknès ou encore Marrakech.

Le pain blanc marocain était d’ailleurs réputé d’excellent qualité. Georg Host, qui était consul du Danemark au Maroc entre 1760 et 1768, ne s’y trompa pas. « Le blé marocain est plus grand et d’une plus grande qualité que le blé d’été danois. On y extrait de minuscules granulés très fin, mais dès qu’il est pétri, il se transforme en un pain d’une grande tendresse et blancheur. Et ce pain-là est en vérité le meilleur pain du monde », s’est exclamé le diplomate scandinave dans son ouvrage « Relations sur les royaumes de Marrakech et de Fès recueillies dans ces pays de 1760 à 1768 ».

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Réservé à l’élite, le pain blanc a longtemps constitué un marqueur social, bien qu’étonnement, ce pain est beaucoup moins nutritif que le pain complet, à l’époque largement consommé par les pauvres. N’ayant pas les moyens de raffiner leurs blés par manque de moulins dans les campagnes, les habitants des zones rurales consomment en effet exclusivement du pain issu de blé complet, c’est-à-dire contenant la graine ainsi que le son. Bien leur en a pris puisque ce pain-là, qui constituait d’ailleurs bien souvent leur unique aliment, était bien plus riche en nutriments, vitamines et oligoéléments que le pain blanc prisé par les élites citadines. Ces derniers palliaient la maigre qualité nutritive du pain blanc par leur capacité à se nourri de viandes et autres produits laitiers, explique l’historien Mohamed Houbaida dans son livre « Le Maroc végétarien », qui indique que le pain blanc ne sera démocratisé au Maroc que durant les années cinquante du siècle dernier avec l’industrialisation du pays.

D’autres types de pains étaient également largement consommés au Maroc, à l’instar du Msemmen et du trid, ingrédient indispensable à l’élaboration de la célèbre R’fissa.

Le couscous, un marqueur identitaire

Parler du blé sans évoquer le couscous serait une gageure. Le Couscous est en effet le plat national par excellence au Maroc, et plus largement en Afrique du nord, jusqu’aux confins de la Tripolitaine. Des recherches ethnographique ont attesté de l’élaboration de la préparation du couscous au troisième siècle de notre ère puisque des restes d’ustensiles servant à la préparation de ce plat ont été découverts par des archéologues dans des tombes de rois amazighs, écrit Mohamed Houbaida dans son livre.

Quant au Maroc, ce fameux plat est notifié au treizième siècle sous le règne mérinide. Le couscous a depuis des siècles été largement consommé au Maroc, chez toutes les couches sociales, aussi bien à la campagne qu’en ville. Souvent constitué de semoule de blé, le couscous pouvait également être élaboré avec de l’orge ou du maïs, depuis son introduction au Maroc à partir du dix-septième siècle. Pas moins de 52 recettes de couscous au Maroc ont été inventoriées par l’historienne Magali Morsy, dans son livre  « Recettes de couscous ». Chaque région était connue pour son propre couscous. D’autres types de couscous ont été inventés au Maroc comme la S’fa, préparée avec de la semoule de blé sur laquelle on enduisait du beurre ou du S’men (beurre rance, ndlr.)

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Les Européens ont souvent été intrigués par le couscous. Ce n’est qu’à partir du dix-septième siècle que ce plat est découvert en Europe, grâce aux ambassadeurs mais également aux nombreux captifs emprisonnés au Maroc, à l’instar de Germain Mouette, qui, dans son livre autobiographique « Relation de la captivité du Sr. Mouette dans les royaumes de Fez et de Maroc », ne cache pas son admiration par le travail fourni par les femmes pour préparer la semoule du couscous.

Bien souvent, le couscous n’était agrémenté que de légumes. Seules les riches familles pouvaient y ajouter la viande de pigeons, largement répandue dans les cours sultaniennes. Dans le reste du pays, la consommation de viandes était anecdotique, puisqu’elles n’étaient accessibles que lors de l’Aïd Al Adha. C’est ce que nous allons voir dans le prochain épisode de cette série.

Napoléon et le blé marocain

Peu de temps avant de prendre le pouvoir en France, Napoléon Bonaparte, alors en plein campagne militaire en Méditerranée, débarque en 1798 à l’île de Malte et fait libérer quelque 2.000 captifs et esclaves marocains. Une libération qui se voulait politique car le futur empereur espérait nouer des relations commerciales avantageuses avec le Maroc, alors important producteur de blé. « Cette libération tenait moins à un souci humanitaire qu’à une préoccupation pratique: Malte dépendait de l’Afrique du Nord, Maroc inclus, pour ses approvisionnements en céréales et Bonaparte avait besoin de nourrir la population sur place. Une lettre des Affaires Etrangères de Paris au Consul de France à Tanger, datée du 5 Vendémiaire an VII, fait ainsi appel à la fourniture de grains du Maroc« qui doit avoir été sensible à la libération de sujets qui ne tarderont pas à retrouver leur pays ». Même demande faite en juillet 1798. Mais aucune de ces deux demandes n’obtint de réponse du Maroc, qui par ailleurs se montra très réservé ensuite sur l’Expédition d’Égypte de 1800, contrairement à ce que la propagande de l’époque veut faire croire », raconte à ce propos Jean-Louis Miège dans « Bonaparte, l’Egypte et le Maroc ».

 

 

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