Il y a 70 ans en France, le clergé brûlait le Père Noël dans la ville de Dijon

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Dijon (Côte-d’Or), le 23 décembre 1951. Il est 15 heures quand 250 enfants mettent le feu à un mannequin à barbe blanche sur le parvis de la cathédrale Sainte-Bénigne.

Le 23 décembre 1951, une effigie du Père Noël, considéré comme un usurpateur par le clergé conservateur, est brûlée en place publique à Dijon, dans le centre-est de la France, sous les yeux écarquillés de 250 enfants. L’affaire divise le pays, avec des échos à l’étranger.

« Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur »: c’est par ces mots que le clergé dijonnais explique avoir « brûlé le Père Noël » sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon.

« Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant », souligne le clergé alors très conservateur de la capitale de Bourgogne, après avoir mis le feu à une effigie d’environ trois mètres de haut.

Bien plus tard, le prêtre à l’origine de l’autodafé, Jacques Nourissat, expliquera avoir eu cette idée après avoir vu défiler des Pères Noël faisant la publicité d’un grand magasin dijonnais.

« Pour nous qui étions sur la paille, c’était de la provocation », a-t-il expliqué au magazine L’Obs en 2009, avant sa mort en 2014. « Notre paroisse était la plus pauvre. Des femmes se prostituaient pour survivre, des hommes sortaient de prison. Pour eux, le Père Noël signifiait de l’amour gratuit, un don, alors forcément, celui qui faisait de la réclame pour le commerce, ça ne passait pas », a déclaré le prêtre, surnommé le « curé des clochards » pour l’aide qu’il avait coutume d’apporter aux pauvres.

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L’initiative est donc locale mais elle obtient le soutien du clergé national, qui supporte mal la concurrence d’un symbole consumériste venu des États-Unis.

« Le porte-parole de l’épiscopat français a appuyé cette action symbolique sans ambiguïté », rappelle auprès de l’AFP Philippe Poirrier, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, à Dijon.

« Le Père Noël et le sapin se sont introduits dans les écoles publiques alors qu’ils sont la réminiscence de cérémonies païennes qui n’ont rien de chrétiennes tandis que, au nom d’une laïcité outrancière, la crèche est scrupuleusement bannie des mêmes écoles », déclarait le porte-parole de l’épiscopat dans le quotidien France-Soir du 24 décembre 1951.

« Accusé Père Noël, levez-vous ! »

Mais le Père Noël a également ses défenseurs, à commencer par le maire de Dijon, qui n’est autre que le chanoine Kir, inventeur du cocktail du même nom: le prêtre-député, partisan d’un catholicisme social, « s’est désolidarisé du clergé local et a mis en œuvre une contre-manifestation », résume M. Poirrier.

Dès le lendemain du bûcher, le 24 décembre 1951, le chanoine ressuscite symboliquement le Père Noël en faisant apparaître un sapeur-pompier déguisé en Saint-Nicolas sur les toits de l’Hôtel de Ville.

Depuis, chaque 24 décembre à Dijon, un Père Noël descend en rappel depuis la tour Philippe-le-Bon, dominant la mairie, sous les yeux de centaines d’enfants, cette fois émerveillés.

Le bûcher du Père Noël évoque les pratiques du Moyen-Age, quand l’Église brûlait allègrement ceux qu’elle accusait d’usurpation de la gloire divine ou d’hérésie.

A Dijon et au niveau national, le sujet fait débat. Le 26 décembre, Carrefour, un hebdomadaire démocrate-chrétien, titre à sa Une « Accusé Père Noël, levez-vous ! », opposant deux écrivains : le très pieux Gilbert Cesbron, pour qui « la crèche passe avant la cheminée », et le très anti-clérical René Barjavel, qui veut « laisser à l’enfance émerveillée son vieux magicien barbu ».

L’écho de l’exécution de Dijon dépasse les frontières. L’agence américaine AP y consacre une dépêche publiée dans le New York Times du 25 décembre 1951 sous le titre « Une ville française secouée par un conflit à propos du Père Noël ».

L’affaire inspire aussi l’anthropologue Claude Levi-Strauss, avec un essai intitulé « Le Père Noël supplicié ».

Sapins illuminés dans les villes, hommes vêtus de costumes rouges… « tous ces usages qui paraissaient puérils et baroques au Français visitant les États-Unis (…) se sont implantés et acclimatés en France avec une aisance et une généralité qui sont une leçon à méditer pour l’historien des civilisations », écrit-il en 1952.

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