Décryptage. L’engouement des Marocains pour le Bitcoin, un actif pas si illicite que ça !

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Les chiffres donnent le tournis: plus de 8 millions de dirhams ont été échangés en acquisition de Bitcoins en un seul mois et sur une seule plateforme au Maroc. Un record pour une cryptomonnaie censée être frappée du sceau de l’interdiction.

Dans la réalité, les Marocains crypto-enthousiastes sont de plus en plus nombreux et s’en donnent à cœur joie dans un domaine où les limites légales ne sont pas aussi claires qu’on veut bien le laisser croire..

Rarement technologie n’aura en effet suscité autant d’engouement ni autant de craintes que le Bitcoin. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le cours de la cryptomonnaie a dépassé les 60.000 dollars après avoir flirté en début de semaine avec le cap symbolique de 64.000 dollars. Ne valant que quelques millièmes de dollars à son lancement en 2009, avoir un Bitcoin aujourd’hui équivaut à détenir un lingot d’un peu plus d’un kilogramme d’or pur !

Au Maroc, la monnaie virtuelle est la coqueluche des investisseurs en herbe et autres crypto-enthousiastes. « Il y a une hype incroyable autour du Bitcoin, mais également des cryptomonnaies de manière générale. Alors que beaucoup hésitaient à franchir le pas il y a quelques années, ils sont nombreux aujourd’hui à se bousculer pour en avoir », nous déclare Moncef*, jeune cadre de Casablanca qui a également investi dans le Bitcoin.

Et il n’est pas le seul. À en croire Coindesk, le média américain spécialisé dans les cryptomonnaies, le site d’échange de gré à gré, LocalBitcoins, a enregistré une augmentation de 30% des inscriptions d’utilisateurs marocains entre 2019 et 2020, avec plus de 700 nouveaux comptes créés. L’ensemble de ces comptes enregistrés au royaume sur cette plateforme aurait ainsi échangé plus de 8 millions de dirhams en transactions Bitcoins pour le seul mois de février 2021.

« Il y a deux types de personnes qui achètent du Bitcoin », nous explique un analyste financier marocain basé à l’étranger, spécialisé dans le trading des cryptoactifs. « Les premiers le font pour se protéger contre l’inflation. En achetant du Bitcoin, ils font l’acquisition d’une valeur refuge qui ne devrait pas se déprécier avec le temps. » C’était le cas des pionniers du Bitcoin qui voyaient dans une monnaie décentralisée générée par la blockchain et dont le volume est limité un moyen alternatif. « Sauf qu’aujourd’hui, du fait de sa grande volatilité, le Bitcoin ne peut jouer un rôle de valeur refuge. »

 

Lire aussi: Les clients de Tesla peuvent officiellement payer en bitcoin, la devise virtuelle grimpe

 

Et les seconds ? « Ce sont des personnes qui profitent de la fièvre du Bitcoin pour surfer sur la vague de façon à spéculer et à gagner de l’argent en ayant un rendement sur leur capital », précise notre analyste. C’est d’ailleurs ce que nous ont avoué la totalité des personnes que nous avons pu sonder. « Pour mon cas personnel, j’ai de petites économies sur lesquelles je souhaite avoir un rendement rapide. Et comme il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, je diversifie mes acquisitions. J’ai notamment de l’Ethereum, du Cardano et aussi une autre crypto qui est en train de prendre de la valeur, la Safemoon », reconnaît Samir*, 21 ans, étudiant de son état.

Mais qu’est-ce qui explique cette bitcoin-mania ? « Il y a eu beaucoup d’actualité autour des cryptomonnaies qui expliquent qu’elles ont suscité l’intérêt de grands investisseurs qui n’ont plus rien à voir avec les passionnés d’informatiques des premières heures », souligne notre analyste. La plus récente concerne l’entrée en Bourse de Coinbase, plateforme d’échange exclusivement dédiée aux cryptomonnaies.

Faisant ses débuts à Nasdaq le 14 avril, Coinbase a battu le record de la plus grosse valorisation, à 86 milliards de dollars, jamais accordée à une entreprise américaine entrant en Bourse. Le précédent record était détenu par Facebook, dont la valeur boursière s’était élevée à un peu plus de 81 milliards de dollars en 2012 lors de sa cotation initiale.

Le Bitcoin a également profité du soutien affiché de plusieurs célébrités du monde des affaires ou du milieu musical. Ainsi, Elon Musk, patron de Tesla, n’a jamais arrêté de vanter les mérites de la monnaie virtuelle allant même jusqu’à annoncer que sa société avait acheté pour 1,5 milliard de dollars de bitcoins et qu’elle envisageait la possibilité de l’accepter comme moyen de paiement. Le 12 février 2021, Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, et le rappeur Jay Z ont annoncé la création d’une fondation pour financer le développement du bitcoin comme «devise d’Internet».

Sans oublier des initiatives étatiques comme le gouvernement éthiopien qui travaille avec Cardano et leur token « Ada ».

 

Les Marocains ne sont pas les premiers de la région MENA

 

Toute cette effervescence n’a pas manqué d’attirer des particuliers marocains, en quête de gains rapide, pour acquérir du Bitcoin. Ainsi, selon les données de Usefultulips, un site spécialisé qui compile les transactions en bitcoins réalisées sur les plateformes de gré à gré, les achats en dirham de cette cryptomonnaie ont atteint, sur les 30 derniers jours, un montant de 1,48 million de dollars. Le royaume se classe même en tête de la région MENA, devançant l’Arabie saoudite, qui totalise, sur la même période, 1,44 million de dollars de transactions et les Émirats arabes unis avec 822.182 dollars.

Les Marocains sont-ils devenus en quelques jours les champions de la région en échange de cryptomonnaie ? Pas si sûr, nous répond un expert consultant en Internet et qui s’intéresse de près aux cryptomonnaies. « Les chiffres de Usefultulips sont à prendre avec des pincettes. Il est inconcevable de comparer le Maroc, où les institutions régulatrices disent interdire les cryptomonnaies, à un pays comme les Émirats où le Bitcoin et autres monnaies sont tout à fait légales. »

En effet, tous les chiffres concernant le Maroc présentés jusqu’à présent dans la presse visent les transactions de gré à gré. Ces plateformes ressemblent donc plus à des sites d’annonces où des particuliers offrent ou demandent du bitcoin contre un paiement en espèce ou un virement bancaire en dirhams. Or, ce mode de transaction, utilisé presque exclusivement au royaume, car les autorités bloquent toute autre opération, n’est pas le plus utilisé dans d’autres pays où l’acquisition de bitcoin n’est soumise à aucune contrainte.

 

« Les transactions en cryptomonnaies ne sont pas illégales »

 

D’ailleurs, poursuit notre expert, l’interdiction de l’usage des cryptomonnaies est abusive. « Tout le monde parle d’interdiction et relaie sans vraiment questionner les communiqués des autorités. Or, ce qu’on oublie d’évoquer, c’est que le communiqué de Bank Al-Maghrib et de l’Office des changes sont de simples mises en garde et ne se basent sur aucune loi précise. De fait, il n’y a réellement aucune interdiction formelle d’utiliser le Bitcoin au Maroc. »

Une position à contre-courant du ton adopté par le régulateur et qui semble confirmée par l’autorité judiciaire marocaine. Dans son numéro de juin 2020, le ministère public s’intéresse à la question dans une étude signée par Abderrahmane Lemtouni, chef du service des affaires criminelles.

« Les positions contradictoires des tribunaux du royaume dans le jugement des affaires de cryptomonnaies sont principalement dues à la nature de ladite cryptomonnaie retenue par les juges. Ceux qui considèrent que c’est une monnaie à part entière s’adossent au Code des changes et à l’article 339 du Code pénal pour incriminer les accusés alors que ceux qui considèrent pas que ce n’est une monnaie jugent que les transactions de cryptomonnaies ne constituent pas un crime en l’absence d’un texte pénal explicite. La vérité est que cette seconde approche juridique reste la plus plausible et recevable », tranche le magistrat.

De quoi pousser la Banque centrale à accélérer ses consultations concernant les cryptomonnaies. « L’hésitation de BAM a fait rater au Maroc plusieurs opportunités. Vous imaginez si le Maroc avait franchi le pas et converti une partie de sa réserve de change en bitcoins il y a 5 ou 6 ans ? », déplore notre consultant.

Il n’empêche qu’en attendant une décision plus claire, le nombre d’utilisateurs continuera d’augmenter malgré tout…

 

*Les prénoms ont été modifiés.

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