Diapo. D'où vient "Boujloud", cette fête populaire menacée de disparition?

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Si vous étiez à Agadir ou dans le Haut atlas le jour suivant l’Aid, vous avez peut-être aperçu un individu portant une peau de mouton ou de chèvre, le visage peint en noir ou arborant un masque. Il s’agit de «Boujloud», un personnage qui perpétue un rite ancestral, traditionnellement lié à l’Aid-El-Kébir. Mouna Hachim, écrivaine et chercheuse, nous parle de l’histoire de ce rite.
Herma (de la racine HRM évoquant la vieillesse), Chouiekh (littéralement, Le petit vieux), Bilmawen (en amazigh), Bou-l-btayn , bou-hidour ou Bou-jloud en arabe (soit l’homme aux peaux). Toutes sont les appellations d’une fête populaire qui se déroulait depuis des lustres dans les villes et campagnes du Maroc, avant de disparaitre petit à petit, sauf dans la région du Souss, du haut atlas et de l’anti atlas, où cette tradition est enracinée.
La fête de Boujloud commence généralement le lendemain de l’Aid El Kébir. Le personnage principal de ce rite, habillé en peau de mouton ou de chèvre, la tête ornée de cornes ou de gueule de mouton, s’arme d’un long bâton et sillonne les ruelles tout au long des journées. Comme dans un geste de conjuration des influences néfastes, Boujloud a pour mission de toucher, voire de frapper petits et grands. Il est généralement accompagné d’autres individus ou d’enfants qui collectent de l’argent et des dons, seul gage pour échapper aux coups de pattes de «Boujloud». Cette ambiance dure plusieurs jours. L’argent récolté tout au long de ces jours est investi, le dernier soir, pour organiser une grande fête.
Dans certaines régions, un festival de «Boujloud » y est organisé. Ce dernier est marqué par des spectacles de rue se prolongeant jusqu’à des heures tardives sur la place publique. C’est de ces spectacles que vient le nom laissé à Bab-Boujloud, un des principaux accès de la médina de Fès ou à l’esplanade de la fameuse porte Boujloud à Marrakech.

L’histoire de Boujloud
Dans son article «Survivances carnavalesques au Maroc», paru dans la revue d’Horizon Théâtre de la maison d’édition publique Presses universitaires de bordeaux, Mouna Hachim, écrivaine et chercheuse, explique que les voyageurs et ethnologues étrangers ont décortiquées cette ancienne tradition depuis le début du XXe siècle, essentiellement sous le prisme des survivances du paganisme dans la civilisation musulmane.
Ainsi certains chercheurs français comme Edmond Doutté ou Emile Laoust voient dans le cérémonial de Boujloud, les débris de rites magiques berbères, symbolisant l’alternance des saisons, la mort et la résurrection du dieu de la végétation. Laoust considère par ailleurs que «Boujloud» est «la survivance de pratiques zoolâtriques dont l’origine se perd dans les âges obscurs de la préhistoire».
Pour sa part, l’anthropologue finnois, Edvard Westermarck explique ces rites en remontant aux fêtes des Saturnales romaines. Les Saturnales et Lupercales étaient jadis des fêtes de la fertilité de la terre et des êtres vivants, caractérisées par la réunion de luperques (membres chargés de célébrer les lupercales), vêtus de peau de bouc ou de chèvres sacrifiés avant la fête, courant autour d’une colline et fouettant de leurs lanières les passants. La ressemblance entre Boujloud et ces traditions est tellement frappante que l’on pourrait supposer que le culte de Boujloud est une survivance d’un rite antique transmis au fil des années.
Il est à noter que les spectacles de Boujloud avaient une portée politique pendant l’indépendance. Ces spectacles parodiaient la justice, la politique avec un tel sens de la dérision que les autorités coloniales n’ont pas tardé à les interdire craignant les dangers de leur regard critique sur l’organisation sociale et politique et leur inversion des normes établies, avec les risques de contestation et de débordement qui en découlent.
De même, l’Indépendance amènera des soubresauts réformistes qui ont tenté d’interdire l’expression de ces représentations populaires au nom de la morale, condamnant ce qu’ils jugeaient être des vestiges primitifs et traitant ce rite de régression vers une forme animale. C’est pour cela que cette tradition a fini par disparaitre petit à petit au grand dam de ses admirateurs.
 

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