Cinéma: l’Arabie Saoudite, cet opulent concurrent qui fait de l’ombre à Ouarzazate

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studio ourzazate
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Ouarzazate, Hollywood de l’Afrique où ont été réalisés quelques-uns des plus grands péplums de l’histoire comme Gladiator (2000) et Lawrence d’Arabie (1962), fait face à des concurrents de taille, à la tête desquels se trouve l’Arabie Saoudite.

C’est ce que révèle le mensuel français Le Monde diplomatique, qui a consacré deux pages à « Ouarzawood » dans son dernier numéro du mois d’août.

«En termes de décors naturels, avec la mer, les dunes, le désert, etc., nos concurrents directs restent Malte, le Portugal et l’Espagne, notamment avec les îles Canaries, qui se trouvent en face du Maroc », explique le secrétaire général du Centre cinématographique marocain (CCM) Khalid Saïdi au journal, soulignant cependant qu’aujourd’hui « nous devons faire face à de nouveaux adversaires très sérieux : Abou Dhabi et l’Arabie saoudite ».

Ces deux pays sont le cauchemar des professionnels marocains, écrit le Monde Diplo. Selon Sarim Fassi Fihri, qui dirigea le CCM de 2014 à 2022, et cité par ailleurs par le mensuel dans l’article, « L’Arabie saoudite nous fait beaucoup de mal ».

« Ils débauchent nos meilleurs techniciens en leur offrant des salaires mirobolants. D’ici quatre ou cinq ans, cela va nous poser de vrais problèmes », alerte-t-il.

De gigantesques travaux ont démarré il y a quelques mois dans le nord de l’Arabie saoudite dans le cadre d’un projet de création ex nihilo, en plein désert, d’une ville futuriste qui s’étendra le long d’une ligne de 170 kilomètres, écrit le MD.

Et de poursuivre que « cette «ville», voulue par le prince héritier et premier ministre du royaume Mohammed Ben Salman (MBS), s’appellera d’ailleurs The Line. Tout y est prévu, y compris des studios de cinéma ».

Abordé par le Monde Diplomatique, l’un des professionnels a reconnu, sous l’anonymat, qu' »avec eux, la concurrence est déloyale parce qu’officiellement il s’agit d’un pays ami. Les Saoudiens annoncent un cash rebate, ou remboursement des frais, à hauteur de 40 %, mais en réalité il leur arrive de rembourser 100 % des dépenses des tournages effectués chez eux. Pour eux, l’argent ne compte pas. Tout ce qui compte, c’est l’image du pays à l’international ».

Le célèbre mensuel dans le même contexte que « le Maroc a dû mettre en place des incitations financières, comme le font tous les pays à des degrés divers : allégements fiscaux, mise à disposition gratuite de l’armée, jusqu’à ce cash rebate démarré en 2018 à 20 %, augmenté quatre ans plus tard à 30 % ».

« Où s’arrêtera la surenchère? » s’interroge l’économiste Najib Akesbi dans les colonnes du journal, expliquant qu’à « force d’offrir des avantages financiers aux producteurs étrangers, le Maroc pourrait finir par payer de sa poche pour conserver ses parts de marché ».

Les Saoudiens manquent de « lumière »

Un responsable des studios Atlas à Ouarzazate souligne que chaque année, de nouveaux techniciens formés à l’université Ibn Zohr et à l’Ofppt affluent vers les studios et la ville, et le départ de quelques-uns en Arabie Saoudite n’affecterait pas l’industrie cinématographique marocaine ni le charme de Ouarzazate.

« Le problème de l’Arabie Saoudite qui se veut un concurrent de premier plan du Maroc est la figuration. Les Saoudiens manqueront toujours de figurants ».

Des propos corroborés par une autre source en lien étroit avec les studios de tournage, qui affirme que l’Arabie Saoudite « ne pourrait jamais être un concurrent de taille ».

« Ouarzazate possède l’une des trois meilleures lumières aux côtés de Malte et de la Tunisie », explique-t-il, notant que « les Américains ne viennent pas tourner à Ouarzazate seulement pour l’expertise et le professionnalisme des techniciens, mais aussi pour la température, tandis qu’en Arabie Saoudite ils ne pourront jamais supporter les degrés très élevés de la chaleur qui y sévit tout au long de l’année ».

Pas plus tard qu’hier, Mehdi Bensaid a approuvé la création d’une commission mixte entre le ministère et les professionnels du secteur cinématographique pour identifier les problématiques auxquelles fait face ce secteur, « le but étant de renforcer l’industrie culturelle au Maroc et faciliter les investissements dans ce domaine, considéré comme un secteur prometteur », rapporte la MAP.

L’avis tranché de Hamid Basket

Selon le célèbre producteur et réalisateur marocain Hamid Basket, « Ouarzazate, capitale africaine du cinéma n’est pas un simple titre ou une appellation hasardeuse. Quand on parle de Ouarzazate c’est en fait de longues et longues pages de l’histoire du cinéma international que l’on évoque et ce pour plusieurs raisons ».

« Ouarzazate est une ville qui jouit d’un climat à part, il y arrive qu’en une seule journée, on peut y vivre les quatre saisons, ce qui n’existe nulle part ailleurs. La lumière du jour y a un timbre particulier et une clarté spécifique de cet espace unique. C’est aussi un désert clément et des bâtisses typiquement marocaines, ses Ksours et ses Kasbahs en font un plateau naturel ouvert à toute suggestion et à toute vision de cinéaste quelle que soit sa nationalité, son école ou sa conception du cinéma », estime-t-il.

Il rappelle à juste titre que « C’est dans ce cadre que depuis des années déjà Ouarzazate a accueilli des centaines de productions étrangères et pas des moindres. C’est par Ouarzazate que sont passés de grands noms du cinéma mondial, africain et arabe ainsi que des stars d’Hollywood et c’est aussi à Ouarzazate qu’ont été tournés des chefs d’œuvre du cinéma qui font encore date à ce jour ».

Il est vrai que la gestion et le marketing de cet espace a été pour quelque chose, fait-il remarquer, notant que c’est « le grand cinéaste marocain Souhail Benbarka qui, du temps où il présidait à la destinée du CCM (Centre Cinématographique Marocain) avait su comment faire profiter Ouarzazate de ses connaissances des gens (cinéastes et producteurs) et du domaine dont il maitrisait les rouages ».

Et ce fut une période très fructueuse en dépit d’une concurrence qui déjà dans le temps se montrait très rude de la Tunisie par exemple, ou encore de Malte ou celle dont vous parlez aujourd’hui de l’Arabie Saoudite, relève Hamid Basket, scénariste et acteur par-dessus le marché.

« Il ne va sans dire que sous l’influence des répercussions du printemps Arabe et puis de la période de la pandémie doublée d’une gestion très moyenne pour ne pas dire catastrophique de la chose cinématographique au Maroc, la productivité en a pris un coup ce qui s’est également répercuté sur la manière de drainer davantage de productions étrangères et de savoir bâtir une promotion de Ouarzazate en mesure de réussir une reprise à la hauteur », dit-il.

Et Basket de poursuivre que cela nous ramène à la question de la concurrence, notamment arabique que vous avez relevé. « Je dirai, dans ce sens que ceci est une expérience, déjà vécue avec d’autres pays, mais les responsables marocains ont toujours su tirer leur épingle du jeu et assurer tout son éclat et son rayonnement à Ouarzazate qui aussi bien dans le moyen ou le long terme saura comment rester à la tête des sites cinématographiques les plus réputés et les plus importants dans le monde », souligne-t-il.

Evoquant le côté du technique,  celui qui a contribué à faire connaître le cinéma italien au Maroc indique que « nos techniciens sont assez conscients, assez doués et dotés d’un bon sens et d’un esprit nationaliste qui les poussera toujours à réussir chez eux et à faire montre de leur compétence pour consolider l’idée que la réussite part du Maroc et de Ouarzazate qui est et qui restera sans conteste la capitale du cinéma africain ».

Toutefois, et pour en arriver là et afin de capitaliser sur ces acquis, il est nécessaire d’avoir une politique étatique et une stratégie sur le long terme en mesure de soutenir cet axe important de la production cinématographique. En impliquant les professionnels, les secteurs intéressés notamment la communication, les finances, le Tourisme etc.

Concrètement, la concurrence se fait remarquer sur le plan des prix, affirme-t-il.

« Personnellement je me suis débattu à plusieurs reprises pour faire venir de grandes productions italiennes mais dont certaines ont opté ensuite pour la Tunisie vu que l’offre était moindre que la nôtre notamment pour ce qui est de l’hébergement, de la location d’espaces, de véhicule, des prestations des techniciens…etc », regrette Hamid Basket.

« C’est fâcheux, car quand j’y pense, nous avons les meilleurs décors, une figuration déjà aguerrie, des cavaliers et des cascadeurs de renom et des techniciens compétents et très professionnels. Il est vraiment malheureux de priver tout ce monde d’un instant cinéma qui enrichira leurs palmarès certes mais ajoutera bien des points à notre cinéma et à Ouarzazate comme ville du cinéma par excellence », conclut l’artiste aux multiples talents.

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