Bonnes feuilles. «Cœur berbère», le deuxième roman de Habiba Benhayoune

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Habiba Benhayoune vient de publier son deuxième roman, « Coeur berbère », qui traite de la violence familiale et du déracinement, mais aussi de l’intégration dans le pays d’accueil et la construction de soi. H24Info en publie les bonnes feuilles.

Le récit:

Fascinée par la mer et les bateaux, Aouïcha accompagne avec fierté son père à la pêche au large de Coralès, en Algérie. Les saisons se succèdent et donnent un sens au quotidien de la petite fille évoluant entre les pêcheurs et la magnificence de la nature. Mais les coups que sa tendre mère encaisse sans un mot, atteignent la chair d’Aouïcha et nourrissent sa culpabilité. Ce drame injuste replie la fillette sur sa solitude enchantée. Aouïcha, issue de la communauté berbère du Rif, quitte l’Algérie après l’Indépendance, transite par le Maroc puis s’exile en France en 1969. Avec le déracinement, la violence du père redouble de fureur et il finit par s’enfuir au Maroc. Réfractaire aux codes de sa communauté, Aouïcha décide elle aussi d’entreprendre son voyage vers la liberté

Quelques extraits :

1. Mon destin prit naissance à Mers-El-Kébir, un vendredi, vers six heures trente pendant que des soldats fourmillaient dans la rue. La guerre d’Algérie ne semblait pas vouloir se terminer. J’avançai sur la pointe des pieds comme si mon arrivée relevait d’un délit sous l’occupation de l’armée française. Mon petit être fut propulsé par les eaux en ébullition au milieu d’un rassemblement de femmes déçues de voir débarquer une fille. Je me mis à hurler dans ce monde hostile. Mais les femmes se dispensèrent de faire tout commentaire par respect pour ma mère. Unique fille dans le patio, je n’avais aucune utilité pour la guerre. Mais ma famille m’accueillit avec bonheur. Mon père avait choisi mon prénom dès ma conception. «Si c’est une fille, nous l’appellerons Aïcha». Son choix, minutieusement réfléchi, n’était pas innocent. Sa première fille d’un précédent mariage qui n’avait pas survécu, s’appelait Aïcha. Je ne fus pas baptisée selon la tradition car on avait prohibé le sacrifice de l’agneau pendant la guerre.

2. Dans la journée, pendant que les hommes cherchaient fortune au large, Yemma semblait s’ennuyer, elle se sentait isolée dans cette contrée sauvage. L’angoisse s’emparait d’elle à lui couper le souffle. Elle se créait des tâches pour s’occuper. C’était aussi sa façon de s’évader. Elle ne partait pas pêcher, elle accomplissait son travail invisible (…). Elle confectionnait aussi mes robes sur mesure. Elle reproduisait un patron à partir d’un vieux vêtement qu’elle découpait dans du tissu neuf avant de le transformer en œuvre d’art. Sans machine à coudre, elle cousait à la main. J’étais toujours habillée correctement. Elle se penchait sur l’ouvrage et chantonnait des airs venus d’ailleurs, ceux qu’elle chantait jadis dans son pays. Je les reprenais en chœur. Comme toutes les femmes de la campagne, elle aurait dû se consacrer aux travaux des champs et au tissage des tapis traditionnels. Les filles créaient des motifs géométriques aux couleurs éclatantes de leur région, alliant leur chant d’amour aux rigueurs de la vie dans les montagnes du Rif.

Lire aussi : Littérature. Les bonnes feuilles de «La poule et son cumin» par l’auteure Zineb Mekouar

3. J’étais préoccupée par Yemma. En retrait, tel un animal traqué, ma mère se terrait, recroquevillée en position fœtale, au fond de la pièce. Elle était redevenue un nourrisson. Elle ouvre sa main, écarte ses doigts en éventail pour me dissimuler son visage blessé. Un visage violacé, ensanglanté. Tout doucement je lui prends les mains et les referme autour de mon corps grelottant pendant que Mouhand nous veille en protecteur. Adulte et déjà responsable à onze ans, il essuyait les humeurs capricieuses d’un beau-père qu’il n’avait pas choisi. Mon père, cet homme souriant et drôle qu’il m’arrivait de placer sur un piédestal, saccageait nos liens d’amour. Je nourrissais l’espoir de faire renaître ma douce Yemma dans une autre vie. Elle ne méritait pas d’être le souffre-douleur d’un homme que l’alcool contrôlait sournoisement. Une accumulation de circonstances empêchait Yemma de réagir: l’isolement, l’ignorance de la langue arabe, du français, la solitude. Elle n’avait plus aucune amie à qui en parler. La peur la clouait au sol. Elle s’accrochait à nous comme suspendue à la branche d’un arbre menaçant de se briser. La peur ne lui épargnait aucun répit. Résignée à cultiver les idées reçues et porter le poids des traditions héritées, elle acceptait son sort. Profondément marquée par son déracinement, elle vivait hantée par l’idée de la mort et la crainte d’abandonner ses enfants.

4. Une lumière agonisante éclairait le pont-promenade. D’où je viens et où je vais? l’Algérie, le Maroc, l’Espagne, la France? Des pays que je ne connaissais que de nom. Je n’étais ni Algérienne, ni Marocaine, ni Espagnole, alors qui étais-je? Quoique très jeune, j’avais déjà assimilé le destin de ma communauté. C’était où chez moi? Oui, c’est où chez moi? J’étais Berbère, une Amazighe originaire du Rif et je repensais à mes ancêtres. Moi non plus, je n’échappais pas à notre histoire commencée il y a des siècles. Un continent nouveau nous attendait. L’Europe! Le bateau nous transportait vers un pays de liberté. Il me tardait de faire connaissance avec les cousins nés en France. Ils devaient certainement attendre notre arrivée. Désormais, je me situais à mi-chemin entre l’est de mon enfance, l’ouest natal de mes parents et le nord, mon Amérique.

5. La gorge nouée par la rentrée des classes, je ne pouvais pas avaler mon bol de chocolat ce premier matin. Yemma ramassa mes cheveux et fit une tresse qu’elle noua avec un ruban en satin. J’allais enfin connaître mes camarades. Ma mère, Mimoun et Teresa m’escortèrent à la sortie de notre immeuble. J’attendais un signe d’encouragement dans les yeux de Yemma. Elle m’embrassa et me dit : Tu as une chance inouïe d’aller à l’école. Comme j’aimerais être à ta place! Va, petite et je te souhaite de réussir, ajouta Teresa, la larme à l’œil. Sur le chemin, dans mes chaussures vernies et ma tenue d’écolière, j’étais en train de tourner la page de mon passé. La renaissance enfin ! Le mouchoir blanc brodé par Mimounte avec mes initiales, serré dans la main, j’avançais vers la connaissance. Le carré de tissu me rappelait ses précieux conseils. Le vent en poupe, je jurai de me battre et d’affronter le large.

Qui est Habiba Benhayoune ?

Habiba Benhayoune adopte le sud de la France à l’âge de sept ans où elle partage son enfance entre deux cultures: française et berbère du Rif marocain. Diplômée en psychologie du travail au CNAM de Paris en 2008, elle a poursuivi sa recherche sur les conditions de travail des minorités invisibles notamment des femmes issues de la diversité culturelle. En est sorti un livre: « L’exil dans la vapeur », Harmattan, 2010. « Cœur berbère » est son deuxième roman paru le 22 septembre 2022 aux Éditions ardemment, Paris.

Elle présentera son oeuvre le 25 octobre à La Villa des Arts à Rabat, le 26 octobre, à celle de Casablanca et le 31 octobre à L-l’AMVEF (Association Marocaine de lutte contre la Violence à l’égard des Femmes) à Casablanca.

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