Stress hydrique: le secteur agricole a beaucoup à se reprocher

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Haidar, un agriculteur marocain dans la région d'Agadir. Crédit: AFP.

Nul besoin de le répéter, mais le Maroc traverse une crise hydraulique sans précédent. Le secteur le plus gourmand, l’agriculture, est un pilier de l’économie du pays, mais n’y a-t-il pas un moyen pour stopper l’hémorragie? Deux experts répondent à H24Info.

Le débat autour du manque d’eau a quitté la table des spécialistes pour s’inviter dans nos foyers. Le citoyen lambda constate de ses propres yeux l’appauvrissement de nos réserves, allant jusqu’à bousculer son quotidien. Plusieurs mesures, parfois drastiques, ont été mises en place, mais d’où vient la principale fuite et qu’est-ce qui est fait aujourd’hui pour éviter la catastrophe ?

Contacté par nos soins, Fouad Amraoui, professeur chercheur en hydrologie à l’université Hassan II de Casablanca nous explique que tous les secteurs requièrent de l’eau. «De l’industrie du papier, au textile en passant même par la santé ou encore l’éducation, l’eau est essentielle. Mais en matière de consommation directe l’agriculture s’accapare la part du lion, avec près de 85% de la consommation directe au niveau national», explique le chercheur.

«Ces chiffres sont variables d’une région à une autre et dans certaines d’entre elles la consommation destinée au secteur agricole peut atteindre les 90%», poursuit notre interlocuteur. «Le Maroc est un pays agricole. Plus de 40% de la main-d’œuvre active est absorbé par la filière, et en matière d’investissements et d’exportations, il est incontestablement le secteur le plus prolifique. Mais lorsqu’on se penche sur la consommation d’eau il y a des lacunes à revoir», estime Pr Amraoui.

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Selon le professeur, «chaque région selon son climat, son type de sol et ses ressources en eau devrait avoir une vocation agricole qui lui est propre». «L’État doit inciter les agriculteurs à se tourner vers des cultures plus adéquates, en cessant d’abord de subventionner les cultures gourmandes en eau dans des régions arides», dénonce-t-il.

Le goutte-à- goutte, un échec au royaume ?

Pourtant, des solutions pour mieux gérer la consommation d’eau existent et ont été introduites au Maroc. Abdelmoumen Guennouni, ingénieur agronome, évoque pour nous notamment le recours au système d’irrigation goutte-à-goutte, entièrement subventionné pour les petits agriculteurs, disposant de moins de 5 hectares et qui représentent plus de 3/4 de la superficie agricole. Ce système permettant de mieux gérer sa consommation est aussi subventionné auprès des grands agriculteurs à hauteur de 80%.

«Une initiative louable, mais qui sur le terrain a échoué, étant donné que le goutte-à-goutte requiert premièrement un savoir-faire qui n’est pas à la portée de tout le monde et deuxièmement, un suivi qui n’est pas mené par nos responsables», fustige l’ingénieur agronome.

Pire encore selon notre interlocuteur, «au Maroc, un agriculteur peut planter ce qu’il veut, là où il veut, en obtenant même des aides étatiques». «Or cette liberté fait que nous nous retrouvons avec des champs de pastèques à Zagoura, des fruits rouges à Agadir et d’autres cultures dans des régions qui ne sont pas appropriées et qui finissent par assécher les nappes phréatiques et déséquilibrer quantitativement les ressources en eau», poursuit Abdelmoumen Guennouni.

«Nous sommes d’ailleurs en surproduction au niveau de plusieurs filières qui sont en plus gourmandes en eau (…) combien de fois nous avons vu des camions entiers de pastèques ou d’oranges détruits, car l’agriculteur ne parvenait pas à les écouler sur le marché», dénonce notre interlocuteur.

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Toutefois, à l’export nos fruits et légumes s’arrachent. Mais pour notre expert, «le Maroc est perdant». «Nous achetons les semences, l’engrais, le matériel, le système de pompage, bref tout le nécessaire et donc au final qu’exportons-nous ? Notre eau», estime-t-il.

Dans ce sens, l’ingénieur agronome dénonce le manque de moyens octroyés pour la recherche, qui pourrait aider à développer des variétés et des espèces plus résistantes à la sécheresse. «Les cadres qui partent ne sont pas remplacés au sein des centres de recherche et les terrains qui étaient destinés à la recherche agronomique ont été soit cédés soit transformés en zones habitable. La recherche agronomique est à l’agonie», se lamente l’agronome.

Manger local et de saison

Pour toutes ces raisons, l’agronome estime que des solutions d’urgence doivent être prises. D’abord en privilégiant certaines cultures plutôt que d’autres, en fonction des régions, étant donné que chacune à un potentiel différent qu’il faudrait exploiter en fonction de ses ressources. Dans ce sens, il faudrait également rationaliser la production, afin de ne pas tomber dans la surproduction et le gaspillage, poursuit notre interlocuteur.

«C’est au ministère de tutelle et aux responsables de guider les agriculteurs vers les cultures les plus adéquates», souligne Abdelmoumen Guennouni, pour qui il faudrait également mettre sur pied des initiatives pour sensibiliser les agriculteurs. «Nous pourrions notamment rouvrir ce qu’on appelait les centres de travaux, qui disposaient du matériel nécessaire et des ressources humaines qualifiés pour prêter main-forte aux agriculteurs sur le terrain», propose l’agronome.

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La sensibilisation passe aussi par le citoyen, affirme Abdelmoumen Guennouni, estimant qu’au-delà des décisions macroéconomiques, le gouvernement doit aussi inciter le citoyen à manger local et de saison, grâce notamment à des campagnes promouvant le «Made in Morocco».

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