Journée internationale des droits des femmes: un concept purement marketing?
Publié le« Bonne fête de la femme », chocolats, fleurs, cadeaux d’entreprises… Les messages et les cadeaux fusent en ce 8 mars, journée internationale de la lutte pour les droits des femmes. Visant avant tout à mettre en lumière les inégalités entre les genres, cette date n’est-elle pas devenue un concept purement marketing? Réponses avec trois militantes: Ibtissame Lachgar, cofondatrice du mouvement MALI, Souamaya Naamane Guessous, sociologue, et Nouzha Skalli, féministe et ancienne ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité.
Comme la Saint-Valentin ou Noël, la journée internationale des droits des femmes semble parfois réduite à une occasion commerciale d’offrir des fleurs, du chocolat et divers cadeaux. Initialement, cette « fête de la femme » vise à faire le point sur les discriminations faites aux femmes au niveau des droits et les avancées en la matière. Officialisée en 1977 par l’ONU, la journée internationale pour la lutte des droits des femmes est « célébrée » chaque 8 mars.
« Ce n’est pas une surprise que cela devienne une journée de célébration alors qu’on ne célèbre rien du tout. C’est loin d’être une fête, c’est plutôt une journée justement pendant laquelle on met en avant l’oppression des femmes et des filles dans le monde et le fait que leurs droits à la dignité et à la liberté sont bafoués », commente Ibtissame Lachgar, militante des droits humains et cofondatrice du mouvement MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles).
Pour la féministe, il est évident que cette journée est devenue une date marketing « puisque nous vivons dans un système patriarcal et capitaliste, les deux vont de paire, c’est limite un pléonasme ». Elle condamne et dénonce le côté commercial de cet événement en invitant les femmes et les féministes à « se réapproprier cette journée symbolique à travers des campagnes, des actions, des rassemblements, des manifestations ».
Pour la sociologue Soumaya Naamane Guessous, cette journée est « effectivement récupérée par le marketing », une journée « à laquelle on va distiller la notion de présent, de don, de cadeau pour les femmes ». « J’ai été assaillie de messages, vidéos et images qui me souhaitent une bonne fête », témoigne l’écrivaine qui confirme le « caractère mercantile » de l’événement.
« Un geste mercantile de bonne foi »
Contrairement à Ibtissame Lachgar, Soumaya Naamane Guessous voit plutôt d’un bon œil cet aspect. « Si cet événement a été lié à la notion de don, tant mieux, car cela reste quand même une forme de sensibilisation. Une fois par an, toute l’attention est focalisée sur les femmes, c’est un premier volet qui pour moi est très important en ce qu’il représente une sorte de reconnaissance », explique la sociologue.
« Quand vous êtes fonctionnaire et que votre boss vous donne une rose, c’est quand même une reconnaissance, et les femmes ont besoin de reconnaissance parce qu’elles donnent beaucoup plus que les hommes. Elles l’auraient souhaitée toute l’année, mais une fois par an, c’est déjà ça », illustre notre interlocutrice pour qui ces cadeaux « partent d’une bonne intention », et les RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou DRH qui les offrent « sont de bonne foi ». « C’est pour dire aux femmes ‘vous êtes là, vous êtes précieuses, nous prospérons grâce à vous’. Je ne vois que le positif dans cette action, même si ça part d’un geste mercantile, cela donne de l’énergie positive et cela représente une reconnaissance ».
De son côté, Nouzha Skalli, ancienne ministre de la Famille, rappelle « la grande signification » de cette journée. « Quand il n’y avait rien pour les droits des femmes, cette journée a vraiment constitué un point de mobilisation, un moment privilégié pour faire le point sur les avancées en la matière et les obstacles qui continuent à entraver la participation des femmes », déclare-t-elle.
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« Il y a eu régulièrement des tentatives de transformer cette journée internationale des droits des femmes en une fête de la femme, fête des mamans, fête des chocolats, des fleurs, etc., mais régulièrement aussi, il y a des ‘rappels à l’ordre’ pour dire que le 8 mars peut être l’occasion de célébrer la femme et ses droits. On attire davantage l’attention sur les enjeux de cette question », souligne l’ancienne ministre qui se « félicite » de « l’existence du 8 mars » et « espère qu’il continuera à exister à condition que ce ne soit pas le seul jour pendant lequel on pense aux femmes et à leurs droits, il faut chaque 8 mars dresser un bilan qui soit honorable ».
En termes de bilan sur les avancées en matière de droits des femmes au Maroc ces dernières années, les trois militantes s’accordent à dire que s’il y en a eu, elles restent globalement insuffisantes en ce qui concerne la baisse des inégalités entre hommes et femmes.
Cette journée est « une occasion mondiale de faire le point et de comparer ». « Parfois, il y a de petites avancées comparées au reste du monde, mais le pays les présente comme une grande avancée. Globalement au Maroc, la situation des femmes a évolué durant ces 20 dernières années. On peut considérer qu’auparavant il s’agissait des années 0 des droits des femmes. Nous étions avec un statut familial qui ignorait totalement les droits des femmes, en particulier le code du statut personnel qui était particulièrement injuste et scandaleusement inégalitaire au détriment des femmes », retrace Nouzha Skalli.
Sous représentées dans les secteurs économique et politique
« Durant la première décennie de ce siècle, il y a eu de grandes réformes structurantes, en termes de lutte contre les violences faites aux femmes, de représentativité politique ou économique. Jusqu’en 2002, il y avait 0,6% de femmes au Parlement, pratiquement aucune femme au gouvernement, aucune femme n’avait été ministre, jusqu’en 2009 les femmes dans les conseils municipaux ne représentaient que 0,5%… C’était vraiment des années d’exclusion », détaille l’ex-ministre de la Famille qui note a contrario pour la seconde décennie une avancée dans cette voie selon « un rythme très ralenti », avec « des obstacles majeurs qui ont empêché les femmes d’améliorer leur situation de façon sensible ».
Ainsi pour la femme politique féministe, le chantier prioritaire pour les prochaines années est double: « le renforcement des pouvoirs des femmes aussi bien sur le plan économique que politique, deux domaines qui ont un effet de levier sur les autres domaines ». Elle cite le dernier rapport publié par le ministère de l’Economie et des finances, soutenu par l’ONU femmes et l’AFD (Agence française de développement) qui montre que le fait de supprimer les discriminations faites aux femmes pourrait faire gagner 39% du PIB au royaume.
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Si le principe de parité est inscrit dans la Constitution de 2011, Nouzha Skalli et Soumaya Naamane Guessous relèvent l’insuffisance de la représentativité des femmes en politique. « 21,5% des élus communaux sont des femmes et l’objectif est d’atteindre les 25% à travers les réformes en cours. Moins de 1% des communes sont présidées par des femmes », mentionne Nouzha Skalli. « À l’approche des élections, on attend des signaux de la part des partis politiques qui nous représentent, poursuit dans la même veine Soumaya Naamane Guessous, on verra bien le niveau de conscience de la société par les listes et les résultats des urnes au niveau des partis progressistes. Si on reste à un taux compris entre 11 et 20% de représentativité féminine, cela signifie que l’on stagne et il faudra davantage se mobiliser en synergie ».
La sociologue note toutefois « une prise de conscience et une avancée des mentalités » sur la question de l’équité. « Les hommes notamment prennent conscience que leurs filles doivent vivre dans un Maroc qui leur assure des droits », illustre-t-elle. Et de nuancer: « Il y a encore de nombreux chantiers sur lesquels nous souhaitons avancer, notamment au niveau du statut personnel, par exemple certaines lois ou articles à abroger tels que l’article 490 du Code pénal sur l’interdiction des relations sexuelles hors mariage ».
À propos des libertés individuelles, Ibtissame Lachgar se dit « très pessimiste », parce que « rien n’avance ». Au Maroc, je trouve que l’opinion publique reste trop lisse et ne suit absolument pas. S’il existe encore le contrôle du corps et de la sexualité des femmes, on ne peut pas atteindre l’égalité et acquérir nos droits. Au niveau de la société civile, je suis très déçue, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de mobilisation contrairement à ce qui se passe ailleurs, ne serait-ce qu’en Tunisie. Au Maroc, je ne vois pas beaucoup d’avancées, il y a quand même plus de débats qu’avant sur certains sujets, mais ça reste superficiel », conclut la militante féministe.