Argan: un partenariat Maroc-Israël pour relancer cette culture prometteuse?
Publié leCulture traditionnelle au Maroc, l’arganier a été introduit il y a quelques années en Israël dans le désert du Néguev (sud) où il s’est bien adapté. Israël a réussi non seulement à faire pousser cet arbre capricieux, mais aussi à le rendre plus performant. Une coopération avec l’Etat hébreu va t’elle relancer ce secteur au Maroc, habitué à ses techniques ancestrales ? Réponses de spécialistes et professionnels.
Deuxième arbre le plus abondant au royaume, l’arganier est sacré, adulé et respecté pour ses ressources naturelles et ses bienfaits. Riche en vitamine E, en antioxydants, elle est aussi employée pour ses propriétés cosmétiques. Son rôle et son importance socio-économique dans le développement de bien des régions est indéniable. L’huile, production la plus répandue de cet arbre, est d’ailleurs inscrite depuis 2009, comme produit agricole protégé par une indication géographique par la Commission européenne.
Et bien qu’il soit le premier produit africain à bénéficier d’une telle protection au niveau international, il pousse depuis quelques années dans d’autres contrées bien lointaines et où l’on ne pariait pas beaucoup sur son devenir au départ.
Dans le désert du Néguev, considéré comme l’un des plus grands laboratoires high-tech au monde, une société locale s’est lancée dans le pari fou de faire sortir de terre des arganiers. L’exploit est raconté par le ministère israélien des Affaires étrangères, dans une publication datant de 2012.
«Une société israélienne, Sivan, a fondé une entreprise basée sur l’Argan 100, une « super » souche d’arganier développée dans des pépinières israéliennes qui est tolérante au climat méditerranéen et peut produire 10 fois plus de noix que l’arbre moyen au Maroc», lit-on sur le site du ministère israélien des AE.
La souche israélienne serait meilleure que la marocaine selon l’agronome en chef de la société, Chaim Oren. «Nous avons pollinnisé des plants et avons réussi à produire de meilleurs arbres que ceux du Maroc. Les nôtres résistent aux maladies du sol, ce qui leur donne un rendement régulier chaque année», expliquait l’agronome, qui se vantait même de fabriquer «la seule huile garantie pure à 100%».
À l’époque déjà 2.500 arganiers ont été plantés dans les régions d’Ashkelon, d’Arava et du Néguev, zones où poussent généralement les palmiers dattiers, indique le site du ministère israélien. Mais le plan de Sivan est bien plus grand. «Le plan éventuel est de vendre l’Argan 100 à d’autres pays. L’augmentation du rendement des fruits à coque peut également créer de la concurrence à l’industrie artisanale au Maroc», lit-on sur le site du ministère israélien.
Le Maroc déjà dépassé ?
Contacté par H24 Info, Shimou Abdelaziz ,ingénieur agronome installé à Agadir, souligne qu’à ce jour le Maroc demeure incontestablement «le leader mondiale» dans ce domaine. En effet, le royaume dédie «une superficie totale de 830.000 ha à la culture de l’arganier, ce qui représente 17% de la superficie forestière».
«Par hectare, 50 à 100 arbres y sont plantés, ce qui donne un nombre total de 50.000.000 d’arbres», poursuit l’ingénieur, notant que ces chiffres devraient sensiblement augmenter durant les prochaines années. De plus, la production annuelle au Maroc est de 4.000 tonnes, selon les derniers chiffres de la Fédération Interprofessionnelle de la Filière de l’Argan.
En ce qui concerne Israël, «la superficie n’est encore que de 200 à 350 hectares, et donc bien loin de la capacité marocaine. Le nombre d’arbres n’est que de l’ordre de 20.000», souligne notre interlocuteur, notant que «leurs travaux ne sont qu’au stade de recherche et de développement, basé sur le clonage et la sélection de variétés les plus très productrices».
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Aussi, l’huile d’argan est protégée et selon les termes de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ; «L’indication géographique protégée identifie l’huile d’argan comme un produit issu d’une région spécifique, avec des propriétés uniques qui en découlent, et indique aux consommateurs que cette production répond à des critères stricts. Elle permet également de protéger le savoir traditionnel et de promouvoir les droits collectifs des producteurs».
Par ailleurs, bien qu’une concurrence ne puisse être que bénéfique, l’ingénieur agronome souligne qu’en 2014, «le chiffre d’affaires de cette filière au Maroc était de l’ordre de 100 milliards de dollars, en 2022, il devrait être de 600 millions de dollars».
Une éventuelle coopération ?
Du côté des producteurs, les avis sont partagés et les anecdotes sont nombreuses. Oussama, de la coopérative Marjana à Essaouira affirme avoir «déjà entendu parler des recherches en Israël, mais pensait que jusqu’à présent leurs arganiers ne donnaient pas de fruits».
«Il y a quelques années nous avons appris qu’ils prenaient notre huile pour en faire un sérum qu’ils revendaient par la suite. Ils avaient d’ailleurs réussi à donner à ce fameux sérum une renommée internationale», poursuit notre interlocuteur.
À l’époque, la coopérative avait scellé un contrat avec des clients chinois qui vendaient auparavant le sérum israélien et avaient choisi de commercialiser directement l’huile marocaine. «Nos clients chinois avaient alors constaté que leurs clients redemandaient le sérum, car ils jugeaient que notre huile sentait fort», relate Oussama.
La coopérative a d’ailleurs même analysé ce fameux sérum, «qui ne peut nullement être comparé à notre huile marocaine obtenue grâce à des méthodes ancestrales qui ont prouvé leur efficacité», défend Oussama, allant jusqu’à dénoncer «une concurrence déloyale». «La vraie huile d’argan n’est produite qu’au Maroc et eux ne vendent qu’un sérum (…) alors pourquoi devrons-nous travailler avec eux ?», s’interroge-t-il.
D’un avis moins tranché, Mohamed de la coopérative Kaouki, affirme avoir eu connaissance à travers les médias qu’«Israël pouvait fabriquer, deux, cinq et jusqu’à dix fois plus d’huile que nous». Notre interlocuteur ne voit pas «cela comme une concurrence déloyale», car «au contraire, nous pouvons même apprendre d’eux, non seulement à travers les nouvelles techniques, mais aussi grâce à leur matériel qui serait lui aussi très moderne», poursuit Mohamed pour qui «l’huile d’argan nécessite d’être revalorisée et la recherche dans ce sens encouragée».