Liberté du culte ou faute grave: peut-on prier au travail?

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Me Adil Daoui, avocat au barreau de Casablanca. DR

Au Maroc, il est parfaitement normal de voir les employés concilier leurs obligations religieuses avec leurs impératifs professionnels. Un salarié prend-t-il un risque en priant pendant ses horaires de travail ? Entre la liberté de culte et la faute grave, Me Adil Daoui, avocat au Barreau de Casablanca nous fait le point sur les pratiques religieuses au travail.

« L’Islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes. ». C’est ce que dispose l’article 3 de la constitution marocaine, qui insiste sur la garantie du droit de chaque citoyen d’exercer librement les cultes religieux de toutes les confessions. 

Mais cela va sans dire que dans chaque société organisée, il est important d’établir des règles de conduite, des impératifs, ou plus communément des lois. Et s’il est assez fréquent que la règle de droit converge avec la règle morale, dans la mesure où, les deux règles ont pour objectif commun l’organisation du vivre ensemble des individus au sein du même groupe, il arrive cependant que les deux règles divergent.  

Constitutionnellement garantie, théoriquement absolu, la liberté du culte se trouve néanmoins modérée par l’exigence socio-économique de se conformer à un standard comportemental, propre au statut de salarié. Lequel salarié est soumis aux dispositions du code du travail, qui dispose dans son article 21 ce qui suit : «Le salarié est soumis à l’autorité de l’employeur dans le cadre des dispositions législatives  ou réglementaires, du contrat de travail de la convention collective du travail ou du règlement  intérieur.» 

Ainsi, on peut se demander si le droit du salarié au libre accès à l’exercice du culte religieux, peut se heurter au droit de l’employeur d’exercer une autorité sur le salarié durant les heures du travail, et de par cette faculté d’organiser et de réorganiser le travail, restreindre, voire même interdire l’exercice du culte religieux au salarié. 

Il n’est pas rare que deux impératifs se confrontent devant la justice, que l’intervention de la Cour de cassation soit requise pour définir et redéfinir les notions de base qu’on croyait pourtant claires, pour tracer et retracer les limites et frontières subtiles entre la jouissance de l’exercice d’un droit et l’abus dans l’exercice du droit. 

Il en est ainsi du dossier N°687/5/1/2017 dans lequel la Cour de cassation a rendu en date du 23/10/2018 l’arrêt N°964, qui précise ce qui suit : 

« Attendu que la cour d’appel est habilitée à apprécier la gravité de la faute, et quand elle a considéré  que l’absence du salarié pour faire la prière du vendredi, n’a pas été la cause directe des dommages  subis par la société, dans le mesure où, le règlement intérieur de cette dernière prévoit que dans  l’absence du salarié spécialisé, c’est la société qui désigne son remplaçant pour l’approvisionnement  du Fioul, et que la société en donnant l’ordre à un autre salarié assume la responsabilité totale du  dommage, et que le salarié n’a pas commis une faute grave en s’absentant pour aller faire la prière du  vendredi, laquelle est considérée comme une obligation religieuse, la cour d’appel a correctement motivé sa décision. »  

Avec cet arrêt, la Cour de cassation dégage la responsabilité du salarié du dommage subis par son employeur suite à son absence pour répondre à l’appel de la prière du vendredi, et considère que la responsabilité du dommage incombe à celui qui en est la victime. Ainsi, dans ce cas d’espèce, l’employeur est à la fois victime et responsable du dommage, alors que la responsabilité du salarié est totalement désengagée, et conclut par le fait qu’il n’y a pas de faute grave pouvant justifier le licenciement.  

Par contre, il en est autrement de l’arrêt de la cour de cassation N° 552 en date du 16/04/2019 dossier N° 2169/5/1/2017 qui précise ce qui suit :

« Attendu qu’il est légalement admis que l’employeur a le droit de surveiller et de contrôler l’exécution du travail pendant les horaires du travail.  

Attendu que l’employeur qui a interdit au salarié d’aller se préparer pour faire la prière à 19 h 00, après que l’heure de la prière soit passée selon les affirmations du témoin M.M., n’a pas privé le salarié de son droit de faire la prière.

Attendu que lorsque la cour d’appel a considéré que le droit de faire la prière est un droit personnel ne  pouvant faire d’objet d’aucune atteinte, n’a pas pris en considération que la prière à des horaires  déterminés et limités, et que l’exécution du travail a des horaires précis, et n’a pas pris en considération les dispositions des articles 20 et 21 du code du travail, et n’a pas basé sa décision sur un fondement,  et n’a pas suffisamment motivé sa décision, ce qui expose sa décision à cassation». 

Avec cet arrêt, la Cour de cassation considère que l’employeur est en droit de restreindre l’accès au culte religieux à des horaires déterminés, et que cette restriction rentre dans le cadre de l’exercice de son autorité de contrôle et d’orientation qui va de pair avec son statut d’employeur. Ainsi, le salarié qui refuse de se conformer aux directives de son employeur est fautif, et légalement responsable de la résiliation du contrat de travail. 

Il faut finalement rappeler que jouissance paisible de l’exercice d’un droit, même constitutionnellement garantie, ne peut être interprétée comme une porte ouverte à l’abus de ce droit, ni comme une incitation pour en faire usage abusif, ni comme la faculté d’en user pour l’unique raison de nuire aux intérêts légitimes d’autrui.  

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