Réforme de l’école marocaine: qui payera la facture?

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Pour fixer le cap de la réforme de l’école marocaine durant les 15 prochaines années, l’État s’apprête à adopter une loi-cadre n°51-17. Un projet qui veut imposer la contribution des familles aisées au financement de l’enseignement, mais qui rencontre de la résistance. Tour d’horizon.
Contribution des familles aisées au financement de l’enseignement, contractualisation des enseignants, préscolaire obligatoire, introduction des langues étrangères de plus en plus tôt, soutien financier aux élèves nécessiteux… Le cap de la réforme de l’école marocaine a été pris. Pour le maintenir durant les 15 prochaines années et éviter toute rupture que peut causer un éventuel changement de politique, l’État s’apprête à adopter une loi-cadre.
Mais ce texte ne fait pas l’unanimité. Et ce, même parmi les membres du conseil supérieur de l’Éducation auteur de la vision stratégique de la réforme de l’éducation 2015-2030 à l’origine de cette loi.
Sur les 57 articles qui composent ce texte, un point principal crée le clivage. Il s’agit de la contribution des familles aisées au financement l’enseignement supérieur et secondaire, stipulée par l’article 42.
«Le problème c’est que la 8e partie de cette loi qui a trait au financement de l’enseignement cite en priorité les familles aisées comme principale source de financement et n’impose aucun engagement à l’État pour augmenter le budget consacré à l’enseignement», a déclaré Abdelkrim Madoun, ancien membre du conseil présidé par Omar Azziman, Conseiller du roi.
Pour exprimer son opposition à cette disposition, Madoun qui est président du Syndicat de l’enseignement supérieur s’était, déjà en 2016, retiré du Conseil.
Qu’entend-on par les familles aisées au Maroc?
«Cette classe aisée ne fait l’objet d’aucune étude. Comment le gouvernement ose proposer ce genre de contribution alors qu’il ne dispose d’aucune base scientifique?», s’indigne, pour sa part, Ali Lotfi, secrétaire général de l’ODT.
Selon ce syndicaliste, ce projet de loi qui devra être approuvé par le parlement dissimule un piège. Il est question de l’article 45 qui souligne que la définition des classes aisées et le taux de contribution se fera par un texte organique du gouvernement. «C’est un chèque à blanc que le gouvernement veut s’octroyer du parlement pour décider comme bon lui semble des détailles de cette mesure», s’inquiète M.Lotfi.
Même crainte exprimée par Abdelkarim Madoun: «Au Maroc, les familles aisées éduquent leurs enfants ou bien dans des instituts et écoles supérieurs privés ou à l’étranger. Donc au final, c’est encore une fois la classe moyenne, les salariés et les fonctionnaires qui seront sacrifiés alors qu’ils contribuent déjà en versant 38% de leurs revenus. Pourquoi ces impôts ne sont pas mis à profit dans l’école?»
Et Abdelkrim Madoun de proposer d’autres sources de financement: «Où sont partis les évadés fiscaux? Le Maroc perd 65 milliards DH en évasion fiscale, c’est l’équivalent du budget de l’enseignement supérieur durant 65 ans. Et pourquoi ne pas imposer simplement un impôt sur la fortune?»
Nourredine Ayouch pour une contribution des familles fortunées
Nourredine Ayouch, membre de du conseil défend cette mesure. Pour lui, l’école publique accueille bel et bien des étudiants issus de familles qui ont les moyens. «Bien que 80% des établissements publics sont de très bas niveau, on distingue des écoles publiques de qualité, notamment des écoles de commerces, d’ingénieurs, des facultés de médecine, et des lycées de très haut niveau, sans parler des classes préparatoires marocaines dont le taux de réussite est l’un plus haut un monde», souligne-t-il.
Selon lui, ce n’est pas normal que ces familles qui ont les moyens bénéficient de l’enseignement gratuit. «Elles vont contribuer non pas pour payer la scolarité, parce que l’école restera gratuite, mais pour s’acquitter de simples frais de scolarité comme ça se fait dans beaucoup de pays», explique-t-il.
Pour ce qui est des familles ciblées, Ayouch annonce que les autorités sont en train d’élaborer des études pour fixer le seuil de pauvreté, celui de la classe moyenne, et des couches aisées. «Mais malheureusement les choses vont lentement au Maroc. Ce genre d’études aurait dû être fait il y a 15 ans», déplore Ayouch.
Des bourses pour les familles nécessiteuses
La loi-cadre relative au système de l’Éducation, la formation et de la recherche scientifique comprend également des mesures de nature à compenser la contribution des familles aisées. On cite dans ce sens, l’instauration (article 17) de bourses en faveur des jeunes issus de familles nécessiteuses pour les empêcher d’abandonner leur scolarité.
Mais là encore, les détracteurs de cette loi trouvent à redire. «Nous sommes dans un pays marqué de la corruption et la mauvaise gestion. Les bourses des étudiants qui sont accordées par la préfecture ne profitent pas à qui de droit», relève Abdelkrim Madoun. Ce dernier illustre ses propos en avançant le cas du fils d’un secrétaire général de la préfecture qui bénéficie d’une bourse, alors qu’un étudiant en est privé sous prétexte que son, instituteur, touche plus de 3000 DH.
Par ailleurs des dispositions de la loi, notamment contenues dans l’article 11, favorisent le secteur privé en l’exonérant des impôts, « afin qu’il contribue à l’effort de l’État pour généraliser l’enseignement obligatoire notamment dans les zones rurales, périurbaines, et celles soufrant de déficit en infrastructure ».
Un indice parmi d’autres de la tendance libérale des concepteurs de cette loi-cadre et qui pousse ses détracteurs à appeler à son retrait pour que son contenu soit débattu par la société. «Parce que ce qu’impose cette loi c’est avant tout la vision d’une société libérale, qui ne relève ni des syndicats, ni de la société, ni du conseil, ni des technocrates, mais qui doit être débattue par l’ensemble la société», conclut Abdelkrim Madoun.
Des mesures positives occultées
Toutefois selon des acteurs du secteur, cette loi contient également des points positifs. En effet, des articles de cette ce texte consacrent l’instauration d’un système de motivation pour les enseignants des les zone rurales. Il est également question de l’évaluation et la réforme des programmes et des méthodes pédagogiques ainsi que la mise en place de la contribution des collectivités territoriales et des entreprises privées dans le financement de l’école.
L’article 17 stipule l’engagement de l’État pour mettre en place, dans un délai de six ans, toutes les infrastructures scolaires et mobiliser les ressources humaines nécessaires dans les zones souffrant de déficit.
Nouredine Ayouch, pour sa part, applaudit l’appel de cette loi-cadre à la généralisation de l’enseignement préscolaire, à l’enseignement des langues internationales de manière beaucoup plus importante, notamment la langue française qui va être enseignée dès la première année du primaire, ainsi que la consécration de l’école de la deuxième chance, entre autres mesures.
 

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