Tribune. Le «gérant libre» entre la loi du commerce et la loi du travail

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adil daoui
Maître Adil Daoui, Avocat au barreau de Casablanca.

Maître Adil Daoui est avocat au barreau de Casablanca. Dans cette tribune, il clarifie les ambiguités qui entourent le statut de gérant libre souvent confondu avec celui de gérant de société ou de salarié, à la lumière de la loi.

Le Maroc est parmi les pays qui ont fait le choix de garantir les libertés relatives à l’exercice du commerce dans le texte de la constitution. En effet, l’article 35 du texte le plus élevé de l’ordre juridique national dispose dans son alinéa premier ce qui suit : «L’État garantit la liberté d’entreprendre et la libre concurrence».

Ainsi, et depuis les premières tentatives de codification des activités commerciales, il a été communément admis que les usages de l’entreprenariat font naître des institutions diverses et variées, en suite, la loi intervient pour structurer et organiser leur fonctionnement et interaction. Or, il n’en demeure pas moins que certaines ambigüités peuvent subsister à ce processus, pourtant bien rodé. Il en est de même pour le statut du gérant libre qui peut parfois être confondu avec celui du gérant de société, ou celui du salarié. C’est la raison pour laquelle une lecture de la loi s’impose, comme étape préliminaire.

Dans ce sens, l’article 152 du code de commerce précise ce qui suit : «Tout contrat par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l’exploite à ses risques et périls est régi par les dispositions ci-après». D’un autre côté, l’article 153 de la même loi dispose ce qui suit «Le gérant libre a la qualité de commerçant et il est soumis à toutes les obligations qui en découlent».

Cet aperçu du code de commerce pose deux principes de base, le premier étant la nécessité de rédaction d’un contrat formel, entre le propriétaire du fonds et son gérant, à savoir le contrat de gérance libre. Le deuxième étant le fait que ledit contrat donne à son titulaire la qualité de commerçant, avec les bénéfices et les obligations qui en découlent.

C’est en effet, ce qui ressort de l’arrêt N°323/2022 rendu en date du 06/04/2022 dans le dossier N°2540/5/2/2019 dans lequel la cour de cassation a précisé ce qui suit : «Le contrat de gérance libre, tel que prévu aux articles 152 à 158 du code de commerce, est tout contrat par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce accepte d’en louer tout ou partie à un gérant libre qui l’exploite sous sa responsabilité».

Il en est de même de l’arrêt N°188/2023 rendu en date du 15/03/2023 dans le dossier N°926/3/2/2020 dans lequel la cour de cassation a précisé ce qui suit : «La cour a correctement motivé sa décision quand elle a refusé de prendre en considération le contrat oral, dont l’existence pouvait être appuyée par des témoignages, sur la base des dispositions de la loi qui exigent un contrat écrit en matière de gérance libre».

Il apparait clairement que bien qu’il puisse y avoir des similitudes entre le statut de gérant libre et celui de gérant d’une société, cela va sans dire qu’il s’agit de deux entités fondamentalement distinctes l’une de l’autre, que ce soit dans l’aspect conceptuel ou l’aspect purement pratique de l’activité commerciale. Après l’avoir distingué du gérant de société, la question qui se pause, est de savoir ce qu’il en est du statut de salarié.

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Cette question a été porté au regard de la cour de cassation à plusieurs reprises, il en est ainsi de l’arrêt N°48/2022 rendu en date du 18/01/2022 dans le dossier N°831/1/5/2021 qui a précisé ce qui suit : «Quand la cour a considéré que le contrat de gérance libre, dont l’exécution effective avait commencé, constituait un nouveau contrat qui mettait fin à la relation de travail, tant du point de vue de sa nature que de sa durée, puisque les éléments constitutifs de la relation de travail, tels que la subordination, le contrôle, l’orientation et le paiement du salaire, n’existaient plus dans la gérance libre, a rendu son arrêt sur une base légale, correctement fondée et suffisamment motivée».

Il en est de même de l’arrêt N°37/2023 rendu en date du 18/01/2022 dans le dossier N°302/5/1/2021 qui a précisé ce qui suit : «Les critères qui distinguent un contrat de gérance libre d’un contrat de travail sont les éléments de subordination et de contrôle. Outre le fait que le demandeur n’a pas apporté la preuve de l’existence d’un contrat écrit de gérance libre entre lui et le défendeur conformément aux exigences des articles 152 et suivants du code de commerce régissant le contrat de gérance libre, les deux témoins du demandeur entendus en première instance ont confirmé l’existence d’une relation de travail au sens légal de la subordination, du contrôle et du paiement du salaire, laissant ainsi sans fondement l’argument de l’employeur selon lequel il n’existe pas de relation de travail et qu’il n’est lié que par un contrat de gérance libre».

Il ressort de ces deux arrêts, qui font partie d’une longue série rendue à ce sujet par la cour de cassation, que le gérant libre ne peut être ni confondu ni assimilé au salarié, et cela pour deux raisons fondamentales.

Premièrement, le statut de gérant libre obéit à un formalisme légal impératif et incontournable, ce qui est totalement à l’opposé de la relation de travail qui peut être prouvée par tous moyens de preuve, conformément aux dispositions de l’article 18 du code de travail.

Deuxièmement, ce qui caractérise le salarié c’est qu’il est subordonné à son employeur, orienté et rémunéré par lui, ce qui est en totale contradiction avec la nature même de l’activité commerciale, dans la mesure où, le gérant libre n’est ni subordonné ni orienté ni rémunéré par le propriétaire du fonds. A la lumière de ce qui a précédé, il est utile de souligner que la gérance libre est une activité commerciale à part entière, qui a son propre régime juridique et qui se distingue des notions voisines.

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