Le tribunal rabbinique ou la justice au nom de la Torah

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Vieux de près d’un siècle, le tribunal rabbinique du Maroc reste très peu connu, voire ignoré, du grand public.

L’affaire a récemment fait le buzz au Maroc et dans le monde entier. Tout a commencé lorsqu’une décision de justice, datant de décembre 2016, a fait surface sur les réseaux sociaux, il y a un peu moins de deux semaines. Relevant du tribunal rabbinique de Casablanca, elle interdisait non seulement à une femme de partager sur les réseaux sociaux des «selfies» où son mari n’apparaît  pas, mais également de fréquenter des clubs de sport mixtes et d’avoir des relations amicales avec des femmes divorcées ou d’autres personnes, hormis ses proches. Et cerise sur le gâteau: « Les deux époux acceptent aussi de laisser leurs téléphones portables et leurs comptes Facebook ouverts et chacun d’entre eux pourra y accéder librement », continuait le jugement.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi un tel jugement, que l’on pourrait considérer comme décalé de notre époque, a fait jaser les internautes et a été relayée par de nombreux médias, même en dehors du Maroc.

Au-delà de son caractère insolite et unique, l’affaire a le mérite d’avoir attiré l’attention sur le tribunal rabbinique du Maroc. Cette institution, vieille de près d’un siècle, reste en effet très peu connue, voire ignorée, du grand public. Comment fonctionne-t-elle? Depuis quand existe-t-elle? Quels types d’affaires traite-t-elle? Autant de questions auxquelles H24Info a essayé de répondre.

Le Maroc, cette exception

La naissance du tribunal rabbinique, devenu aujourd’hui «chambre hébraïque» en raison de la baisse de la population juive marocaine, remonte au début du protectorat français, avec la promulgation des deux dahirs du 22 mai 1918, 11 Chaâbane 1336. Elle a ensuite été reconnue, après l’indépendance, par le gouvernement marocain, qui lui permet de juger les affaires relevant du droit de la famille. «Nous nous occupons de toutes les affaires de mariages, de divorces, d’héritages (testaments), et de donations au sein de la communauté juive marocaine», nous précise David El Haddad, juge-rabbin à la chambre hébraïque de Casablanca.

Toujours lors du protectorat, il existait 7 tribunaux rabbiniques dans les grandes villes du royaume, à savoir Casablanca, Rabat, Fès, Meknès, Marrakech et Mogador (actuelle Essaouira), chaque tribunal étant composé de trois juges-rabbins assistés d’un greffier (musulman). Des rabbins délégués étaient également postés dans des petits centres (Agadir, Debdou, Beni-Mellal, Mazagan, Ouezzane, Kénitra, Salé, Safi, Safrou, Settat, Erfoud, Midelt, Demnate).

Aujourd’hui, l’on ne compte plus que deux chambres hébraïques, notamment à Casablanca, où siègent cinq juges-rabbins, et Tanger, avec un seul juge-rabbin. Alors, comment sont traitées les affaires concernant les juifs marocains résidant dans les autres villes? El Haddad nous répond: «Le président du tribunal de la ville concernée envoie l’affaire au ministère, qui informe le tribunal hébraïque. Trois juges-rabbins se rendent ensuite dans la ville pour traiter l’affaire».

Il est à noter que le Maroc demeure le seul pays, en dehors d’Israël, où le code de la famille des citoyens juifs est régi par les dispositions du droit hébraïque.

Au nom du roi du Maroc…

Les chambres hébraïques du Maroc traitent en moyenne entre 100 et 200 dossiers par an, principalement sur des questions d’héritage, qui concernent aussi bien des juifs marocains résidant au royaume que ceux installés à l’étranger. Très peu d’affaires de divorce atterrissent sur le bureau des juges-rabbins marocains. Quant aux autres types d’affaires, on en voit de plus en plus rarement.

Les tribunaux rabbiniques fonctionnent selon les mêmes codes que les tribunaux de droit commun du Maroc. En effet, les jugements sont rendus en arabe et au nom du roi du Maroc. Cependant, même s’ils sont des fonctionnaires du ministère de la Justice et portent la même robe que leurs collègues musulmans, les juges-rabbins, qui doivent impérativement avoir suivi leur formation en Israël, appliquent les lois fondamentales juives et non celle du code marocain du statut personnel de la famille.

Les fondements du tribunal hébraïque

Le tribunal rabbinique du Maroc se base ainsi sur deux livres principaux. Le premier est le Choul’han ‘Aroukh («Table dressée»), qui est une compilation de toutes les lois énoncées par le Talmud, livre fondamental de la loi juive. Egalement appelé «Code Karo» (en référence à son éditeur le rabbin Yossef Karo), le Choul’han ‘Aroukh est divisé en quatre parties: «Ora’h ‘Hayim» (prière et synagogue, Chabath, fêtes, etc.), «Yoré De’ah» (abatage et kacheroute), «Even HaEzer» (mariage, divorce et sujets afférents) et «’Hochen Michpat» (finance, responsabilités financières, préjudices, règles juridiques, etc.).

Un des dix livres constituant le Choul’han ‘Aroukh. Crédit: H24Info

Le deuxième livre de référence du tribunal rabbinique du Maroc est le «Hamishpat ha’everi bekihlout Maroco», né en 1950, lorsque tous les rabbins du Maroc se sont réunis afin de procéder à une révision  des lois contenues dans la Torah. Un exemple de ces «takana» («réparations») concerne l’héritage de la femme. Selon la Torah, une femme n’a pas droit à l’héritage, mais les modifications de 1950 lui donnent ce droit si elle est célibataire du vivant de son père.

Un exemplaire du Hamishpat ha’everi bekihlout Maroco. Crédit: H24Info.

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