Le ministre délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de l’Investissement, de la Convergence et…
Textile: faut-il avoir peur des investissements chinois au Maroc ?
Publié leL’intérêt soudain des investisseurs chinois pour le secteur textile marocain soulève bien des questions. Qu’est-ce qui attire ces capitaux chinois au Maroc ? Ces investissements représentent-ils une menace pour les petits opérateurs locaux ou risquent-ils d’étouffer les champions nationaux ? Et surtout, sommes-nous vraiment dans une situation gagnant-gagnant entre les deux pays ?
Omega Textile, Romantic Co Ltd sont deux entreprises installées au Maroc et opérant dans le secteur du textile. Leur point commun ? Ces entreprises, bien qu’établies au Maroc, sont détenues par des capitaux chinois. Ce sont des filiales marocaines d’entreprises chinoises, la première évolue sur le segment des chaussettes, de la bonneterie et de la lingerie, alors que la seconde produit de la maroquinerie, plus précisément des sacs à main pour femmes. Ces deux entités pourraient bien être l’arbre qui cache la forêt.
En effet, les entreprises chinoises installées au Maroc dans le domaine du textile sont en pleine croissance. Leur activité aussi. Pour ne citer qu’Omega, la filiale a ouvert, entre 2019 et 2022, trois sites entre Casablanca et Kénitra. Et les retombées, en création d’emplois et en valeur ajoutée, déjà enregistrées par ces implantations ne sont rien par rapport à celles à venir, car l’afflux de textiliens en provenance de l’Empire du Milieu n’est pas prête de s’estomper. En effet, des investissements plus conséquents sont en passe de s’opérer. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’actualité du secteur ces derniers jours.
Une coopération en développement
Depuis le début de l’année, l’axe Rabat-Pékin a été sollicité de nombreuses fois dans le cadre d’une coopération étroite dans ce secteur. En avril, l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) a reçu à Rabat le groupe chinois Sunrise, comptant parmi les leaders mondiaux du textile. Le clou de cette rencontre qui s’est déroulée au siège du ministère de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des Politiques Publiques (MICEPP) en présence du ministre, a été la signature d’un mémorandum d’entente. «L’objectif de ce partenariat est la création d’un parc industriel entièrement intégré au Maroc, qui englobera toute la chaîne de valeur du secteur textile, de la filature du coton à la fabrication de vêtements», a indiqué l’AMITH dans sa newsletter de juin 2024. La Fédération a alors indiqué que cette collaboration devrait permettre la création de quelque 10.000 emplois.
Quelques mois plus tard, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch, à la tête d’une forte délégation ministérielle, rencontre à Shanghai le président du groupe Sunrise. Cette autre rencontre s’est effectuée en marge du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) tenu à Beijing du 4 au 6 septembre dernier. Cet échange stratégique a révélé que l’investissement du géant chinois s’élèvera à plus de 4 milliards de dirhams avec, à la clé, 11.000 créations d’emplois.
Par la suite, l’AMITH effectuera une autre mission à la Cité textile du District de Keqiao, ville de Shaoxing dans l’Est de la Chine. Au cours de cette visite de travail, Anas El Ansari, le président de l’AMITH et sa suite se sont imprégnés de cette zone industrielle spécifiquement dédiée au textile, s’étalant sur plus de 3 millions de mètres carrés et exportant pour plus de 9 milliards de dollars chaque année à travers le monde.
La dernière action en date dans ce registre a été le déplacement du Conseil National Chinois du Textile et de l’Habillement (CNTAC) dans le Royaume le 26 septembre dernier. Conduite par Xu Yingxin, son vice-président, la délégation chinoise était «composée de plus d’une vingtaine de chefs d’entreprises, pour une rencontre stratégique destinée à explorer les opportunités de coopération entre le Maroc et la Chine dans le secteur textile», selon le communiqué qui en a émané.
Entre enthousiasme et prudence
Ce ballet entre les deux pays démontre l’intérêt mutuel pour ce secteur. Mieux, l’Empire du Milieu semble s’être particulièrement entiché du Royaume alors qu’il y a à peine une décennie, le Maroc faisait quasiment le pied de grue auprès de la Chine pour y attirer quelques investisseurs. En 2015, lors du Sommet sino-africain des entrepreneurs dont la tenue à Marrakech, les 26 et 27 novembre, a été négociée de haute lutte, comme le signale un article de notre confrère Jeune Afrique, les décideurs publics usaient d’arguments et d’appâts pour tenter de convaincre les investisseurs chinois. Sans trop de résultats, et des perspectives encore plus optimistes, surtout qu’une idée persistait alors affirmant «que les entreprises chinoises passent à une production locale, à condition d’avoir en face un marché d’au moins 100 millions de personnes».
Cette idée d’un professeur d’économie politique à l’Université du Peuple, nommé Jean-Christophe Iseux von Pfetten, et réputé proche du pouvoir chinois, était corroborée par des chiffres officiels. «Selon des données du ministère chinois du Commerce, entre 1998 et 2012, le Maroc n’a jamais fait partie des 20 destinations africaines préférées des entreprises chinoises. Le China-Africa Development Fund, qui a accompagné plus de 80 projets d’entreprises chinoises sur le continent, n’a pour l’instant mené aucune opération dans le royaume. Et entre 2009 et 2013, les investissements directs chinois dans le pays n’ont représenté que 63,6 millions de DH, soit 12,7 millions par an», écrivait le média parisien.
Une réticence des opérateurs chinois, qui les rendait presque sourds à l’argumentaire que tenaient les dirigeants de l’époque. «En produisant du textile au Maroc, vous pouvez exporter sans taxe vers les États-Unis», répétait sans cesse Mamoune Bouhdoud, à l’époque ministre délégué auprès du ministre de l’Industrie au cours de l’événement de Marrakech.
Le point de rupture
Depuis un quinquennat environ, l’écosystème textile marocain reçoit un flux important d’investissements chinois. Entre 2019 et 2022, Omega Textile, cité plus haut, a inauguré trois sites de production. Le coût de ces investissements se chiffre à 78 MDH pour la création de 240 emplois directs. D’après le MICEPP, depuis le début de cette année, plusieurs entreprises chinoises du secteur textile se sont implantées en divers endroits du pays. Les investissements opérés se chiffreraient à plus de 300 millions de dirhams pour employer 2000 personnes d’ici fin 2025.
Une réalité qui contraste bien avec la situation d’antan. Pourtant, la population marocaine n’a pas évolué à 100 millions d’habitants, et l’argumentaire commercial est resté le même. Une telle situation conduit raisonnablement à s’interroger sur les inputs qui ont occasionné ce vent favorable pour l’industrie marocaine, et dont le secteur textile tire de substantiels dividendes.
«La Chine voit dans le Maroc la possibilité de contourner les mesures visant à exclure ses produits sur les marchés américains et européens», écrit Alexandre Aublanc, correspondant du « Monde » à Casablanca, dans un article publié le 6 septembre dernier sur le site du quotidien français. Le confrère affirme dans cet article que les officiels chinois ne font pas mystère des raisons qui poussent leurs entreprises à jeter leur dévolu sur le Royaume. Il cite à cet effet Li Changlin, l’ambassadeur de Chine en poste, qui explique que le regain d’intérêt des investisseurs chinois pour le Maroc est essentiellement lié à ses accords de libre-échange avec les États-Unis et l’Union européenne. Cela d’autant plus que depuis cet été, l’usine du monde est sous le feu des sanctions de ces derniers, l’accusant de pratique de dumping. Rabat, pour sa part, n’en rougit pas, et met également en avant son appartenance à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) qui le positionne également comme «porte d’entrée stratégique pour les investisseurs cherchant à accéder au marché africain en pleine croissance».
Anticiper la menace.
Si l’afflux de ces investissements semble être de bon augure, certains observateurs mettent pourtant en garde. Ils soulignent que l’essaimage de ces filiales pourrait, sur le moyen terme, s’avérer défavorable aux entreprises constituées à 100% de capitaux marocains. Si quelques grands fabricants locaux n’ont pas répondu à nos sollicitations sur la question de ces investissements chinois, pour les PME, c’est bel et bien une concurrence. «De la concurrence, comme toute autre», affirme la responsable d’une petite entreprise du secteur. Pour elle, il ne faudrait pas en avoir peur, fut-elle chinoise. Qui plus est, «cette concurrence nous permet de nous maintenir dans la qualité», exprime cette actrice.
Un autre acteur interrogé, M.S, directeur général d’une SARL marocaine du secteur, appréhende la situation avec un peu plus de mesure. Même s’il admet que la concurrence fait partie du jeu et du marché, il trouve que c’est le rôle de l’État de veiller à ce qu’elle soit saine. Dans ce cas d’espèce, il a exprimé son souhait «que des mesures idoines soient prises pour que les petites entreprises à capitaux marocains soient protégées». Et de renchérir: «C’est vrai qu’aujourd’hui nos décideurs sont enthousiastes et focalisés sur ces investissements chinois qui arrivent, mais ils devraient par la même occasion anticiper toutes menaces éventuelles qu’ils constitueraient».
Du côté de la Fédération, on ne voit pas les choses du même œil. S’exprimant sur la question, Fayçal Ahmadi, en charge de l’écosystème textile technique au sein de l’AMITH, se veut rassurant. À l’en croire, loin d’être une menace, ces investissements sont une opportunité qui permettra aux industriels marocains du textile de maîtriser les filières qu’ils ne maîtrisent pas encore, notamment l’amont textile. «La Chine est après tout le premier producteur mondial dans le secteur du textile, nous avons besoin de leur savoir-faire, leurs capitaux et leurs machines pour augmenter la valeur ajoutée au Maroc», fait-il savoir. Un avis partagé par Abderrahmane Atfi, un expert du secteur. «C’est nous qui sommes allés chercher les Chinois qui représentent une véritable opportunité pour le développement de notre écosystème». Il n’y a donc aucun risque selon lui.
Le boom du textile marocain est manifeste, et le secteur a déjà atteint les 45 milliards de dirhams. Il est certain que le trend haussier des investissements chinois dans le secteur y est pour beaucoup. Il le sera encore plus les mois et années à venir et c’est à saluer. Mais attention de ne pas tomber dans l’euphorie et de prendre en compte les craintes des petits producteurs qui ont besoin d’être protégés pour être des champions nationaux. Une autre préoccupation, et non des moindres, qui mérite d’être posée dans cette conjoncture est de faire connaitre les dispositions prises pour ajuster la répartition de ces investissements à travers les régions pour atténuer les disparités existantes.