Tariq Sqalli Houssaini: «Les chiffres de contaminations au Covid sont largement inférieurs à la réalité»

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Pr. Tariq Sqalli Houssaini, président de la Société Marocaine de Néphrologie et chef de Service de néphrologie au sein du CHU de Fès./DR

Le vendredi 30 octobre, 16 cas de contaminations au Covid-19 ont été enregistrés à Fès, le samedi 31 octobre, 19 cas ont été recensés tandis que le dimanche 1er novembre, 16 cas ont été découverts. Des chiffres qui suivent une constante qualifiée de « douteuse » par le professeur Tariq Sqalli Houssaini, président de la Société Marocaine de Néphrologie et chef de service de néphrologie au sein du CHU de Fès. Selon le médecin, ces chiffres ne peuvent être que faux. Interview.

H24 Info : Dans une récente publication sur les réseaux sociaux, vous remettez en cause la véracité des chiffres de contaminations au Covid-19 dans la région de Fès-Meknès. Qu’est-ce qui vous fait croire cela ?

Pr Tariq Sqalli Houssaini : Ce n’est pas un constat, mais un vécu. En tant que professionnel de santé, nous sommes tous les jours confrontés à des patients qui sont symptomatiques ou cas contacts, mais qui ne peuvent pas bénéficier de tests de dépistage.

Les chiffres annoncés sont réellement devenus la risée de la population. Dans les cafés, nous entendons souvent les gens dire «on parie qu’ils annonceront 16 cas aujourd’hui pour la ville de Fès». Un chiffre qui ne bouge pas depuis cinquante jours, et qui se situe toujours entre 13 ou 19 cas . C’est anormal, surtout qu’à l’hôpital nous constatons les variations entre le nombre de patients que nous recevons et ceux annoncés officiellement.

Ainsi nous perdons toute crédibilité vis-à-vis de la population qui elle-même se méfie allègrement des chiffres publiés par le ministère.

La baisse de cas dans la région n’est que récente, mais selon vous elle ne serait donc que trompeuse ? 

En effet, d’abord tout ceci est relativement récent. La région a connu durant le mois de juillet et août, une flambée des cas de Covid. Fès-Meknès se trouvait d’ailleurs dans le trio de tête des régions les plus touchées avec à ses côtés Tanger et Casablanca.

Brusquement durant ces dernières semaines les chiffres officiels ont baissé, mais sur le terrain nous avons au moins autant de cas en réanimation que durant le pic des mois de juillet et août. C’est pourquoi nous ne pouvons absolument pas croire les chiffres qui nous sont communiqués.

 

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Deux indicateurs confirment nos craintes. D’abord, le taux de mortalité qui est de 5% à Fès-Meknès, alors que la moyenne nationale est de 1,7%. À préciser que cela ne veut pas dire que les gens meurent plus du Covid à Fès, mais simplement que le dénominateur, le cas de contaminations donc, est inférieur.

Par ailleurs, le taux de positivité est lui aussi à prendre en considération. Le Maroc réalise en moyenne 22.000 tests par jour. Le taux de positivité nationale en juillet et août était 5 à 7% en moyenne, aujourd’hui à l’échelle nationale, il est de 16 à 20%. À Fès, et c’est là où le doute se précise, il est autour de 40%, parce que finalement nous ne réalisons des tests que lorsque nous sommes sûrs que le patient est atteint.

De ce fait, les chiffres actuels de contaminations sont donc pour moi largement inférieurs à la réalité. Et ce n’est pas une impression, je le dis avec des preuves chiffrées.

Les laboratoires privés accrédités par le ministère ont été sommés de ne plus effectuer de tests. Pourquoi ?

Ce sont des instructions jusque-là incomprises. D’ailleurs, en plus de l’interdiction visant les laboratoires privés, il y a eu une réduction dans le nombre de tests effectués par le centre hospitalier de Fès.

Je dirai que c’est là, une politique de l’autruche visant à rassurer la population. Mais notre crainte, c’est qu’en annonçant moins de cas positifs, nous rassurant faussement la population, qui peut avoir des comportements plus insouciants face au virus. De plus, ce qui nous gêne fortement dans notre travail c’est le recours au test sérologique, qui révèle de nombreux faux négatifs, car le test sérologique ne peut s’avérer positif qu’après une semaine d’infection au Covid.

 

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Aujourd’hui les médecins prescrivent un scanner à tous ceux qui n’arrivent pas à se faire dépister. Ainsi, nous avons tous les jours énormément de patients qui sont hospitalisés après la réalisation d’un scanner. Ce qui fait qu’au sein de l’hôpital, ils sont considérés comme malades, c’est-à-dire traités et pris en charge, mais dans les statistiques officielles ils n’y figurent pas, puissent qu’ils n’ont pas réalisé de test PCR.

La situation dans la région est-elle donc alarmante ?

La situation est certes moins alarmante que dans d’autres villes, mais elle n’est pas aussi rassurante que l’on croit. Le ministre citait la région comme un modèle dernièrement. Mais si le modèle de Fès est basé sur la politique de l’autruche, alors ce n’est nullement un bon modèle, car nous n’avons pas une véritable baisse des cas positifs. Notre espoir est d’arrivée à ces données-là, mais sur le terrain.

Les lectures que vous faites de la situation sanitaire actuelle mériterait-elle un reconfinement de la population ?

Nous ne pouvons pas répondre de façon tranchée. Il y a beaucoup de considérations à prendre, et seul le gouvernement dispose de toutes les données pour se prononcer. Mais ça ne m’étonnerait pas qu’on en ait besoin, ne serait-ce qu’à l’échelle régionale.

 

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Malheureusement la région la plus touchée (Casablanca) est aussi la région la plus active économiquement, ce qui rend la décision encore plus difficile à prendre. Et donc nous avons trois possibilités, soit ne pas reconfiner, mais durcir l’application des mesures de gestes barrières, soit procéder à un reconfinement partiel ou bien total. Mais il n’y a pas de mauvaises ou de bonnes décisions, étant donné que la situation est évolutive.

 

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